HomeA la une15e ANNIVERSAIRE DE L’ASSASSINAT DE JEAN HÉLÈNE ET MARTYRE DES JOURNALISTES EN RDC

15e ANNIVERSAIRE DE L’ASSASSINAT DE JEAN HÉLÈNE ET MARTYRE DES JOURNALISTES EN RDC


La liberté de la presse mortellement piégée

 

Nos confrères de Radio France Internationale (RFI) ont honoré hier, 21 octobre, la mémoire de Jean Hélène, ex- envoyé spécial permanent de la station en Côte d’Ivoire, tué il y a 15 ans dans le quartier chic du Plateau, à Abidjan, alors qu’il couvrait la libération d’une dizaine de militants de l’opposition, arrêtés et détenus pendant plusieurs jours  à la Sûreté nationale pour «complot contre le président Gbagbo ». Il avait été abattu, on s’en souvient, de plusieurs balles par un homme noir de peau et de cœur, le sergent de police Théodore Dago Séri, alors en faction devant les locaux de la direction générale de la police de Côte d’Ivoire. En lui logeant une balle dans la tempe et deux autres dans la tête, le sergent Dago Séri n’avait laissé aucune chance au correspondant de RFI, doublement coupable à ses yeux, d’être Français et journaliste, de ce que bon nombre d’Ivoiriens, au moment des faits, appelaient ironiquement « radio Elysée ». Jean Hélène avait donc été assassiné de sang-froid dans la nuit de ce 21 octobre 2003 par un agent en uniforme au service de l’Etat, qui n’aurait absorbé aucune substance alcoolisée ou hallucinogène avant de passer à l’acte, ce qui a fait croire à plusieurs observateurs qu’il s’était agi en réalité d’un crime politique qui aurait été commandité par les caciques du régime d’alors, celui de Laurent Gbagbo. N’oublions pas en effet qu’à cette époque, la Côte d’Ivoire tout entière était en convulsion, empoisonnée par des crispations politico-ethniques, et la capitale économique, Abidjan où a été perpétré le crime, était livrée à ses démons, notamment les fameux escadrons de la mort et tous ces ivoiriens survoltés et manipulés qui fourbissaient à tort ou à raison des idées et des actions contre les étrangers et particulièrement contre les Français.

Les commanditaires du meurtre voulaient probablement l’empêcher de publier des informations compromettantes

En commettant cet acte sans exemple dans l’histoire de la Côte d’Ivoire, le sergent Séri Dago qui a écopé de dix-sept ans de prison, n’avait pas forcément rendu service au régime d’alors, puisqu’il venait non seulement allonger la liste des crimes imputés à ce dernier, mais il intervenait surtout dans un contexte de tension latente entre Paris et Abidjan, à cause du soutien présumé que la France apporterait aux rebelles qui étaient maitres de la moitié nord du pays. La qualité de journaliste de la victime avait été considérée comme une circonstance aggravante, car, dans ce pays devenu en l’espace de trois ans un véritable théâtre de la cruauté, il n’y avait que les hommes de médias et notamment ceux de la presse internationale, pour rendre compte, de façon impartiale, de toutes les atrocités qui y étaient commises. En faisant taire définitivement le journaliste-reporter de RFI, les commanditaires du meurtre voulaient probablement l’empêcher de publier des informations compromettantes pour eux-mêmes, et, du même coup, dissuader tous les autres de fouiner dans les affaires sales de la Côte d’Ivoire. Pari réussi si on ose dire, puisque beaucoup de journalistes ivoiriens et étrangers étaient devenus moins tranchants sur les sujets d’actualité politique en Eburnie, s’ils n’avaient pas tout simplement quitté le pays. Et comme le singe qui s’est échappé en abandonnant le bout de sa queue dans la gueule du chien n’a pas, dans la débandade la même allure que les autres de la bande, RFI avait été la première à quitter la Côte d’Ivoire, pour n’y revenir que des années plus tard. Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’image du régime de Laurent Gbagbo avait été sérieusement écornée par cet assassinat, comme elle l’avait été suite à la disparition d’un autre journaliste, Guy André Kieffer, en 2004. Un régime qui se veut démocratique ne doit pas être fier d’une presse accommodante, pour ne pas dire servile, comme on en voit dans certains pays du continent où faire du  journalisme d’investigation, ou, pire encore, faire preuve d’indépendance dans les analyses, est quasiment suicidaire. En plus des cas des pays comme le Burundi, l’Egypte, la Guinée Equatoriale et surtout l’Erythrée qui pataugent depuis des années dans les bas-fonds du classement des pays prédateurs de la liberté de la presse en Afrique, on peut regretter le fait que la carte de la presse s’obscurcisse de plus en plus dans d’autres comme la République démocratique du Congo où une dizaine de journalistes ont été assassinés ces quinze dernières années, et des dizaines d’autres persécutés à cause de leur indépendance d’esprit. Les derniers à faire les frais du régime en place en RDC sont les cinq du tri hebdomadaire ‘’Africanews’’, interpellés puis libérés sous condition vendredi dernier, après avoir publié des informations sur des détournements présumés de rations d’élèves-policiers impliquant le premier responsable de la Police congolaise, le Général Célestin Kanyama. Mais c’est surtout dans le Kivu, cette partie du pays abandonnée de Dieu et du gouvernement, que la liberté de la presse est mortellement piégée avec des enlèvements et des disparitions de journalistes locaux, à un rythme dangereusement exponentiel. Il faut craindre que la situation ne s’aggrave avec l’imminence des élections générales dans ce pays, car c’est la période que choisissent habituellement les adeptes de la pensée unique pour mettre au pas  tous ceux qui refusent de vendre leur âme au diable.

 

Hamadou GADIAGA


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