HomeA la une15e SOMMET DE LA FRANCOPHONIE : Quand la révolution burkinabè donne des ailes à François Hollande

15e SOMMET DE LA FRANCOPHONIE : Quand la révolution burkinabè donne des ailes à François Hollande


Les lampions du 15e sommet de la Francophonie à Dakar viennent de s’éteindre. C’est à Michaëlle Jean que l’honneur est revenu de succéder à Abdou Diouf au poste de Secrétaire général de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Avant cette élection, ce sommet a été l’occasion pour le président français, François Hollande, d’effectuer une sorte de rattrapage sur bien des sujets. Il a pris le contrepied de son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, en reconnaissant le rôle des Africains dans l’histoire et le fait que l’Afrique est une partie de l’avenir même du monde. Il aura également rectifié le tir dans la négligence dont la France avait jusque-là fait montre, par rapport au massacre dont elle s’est rendue coupable envers les anciens combattants, en l’occurrence les tirailleurs sénégalais, qui ne réclamaient que le juste paiement de leurs indemnités dans le camp Thiaroye de sinistre mémoire. Cette France qui avait fait étalage de son ingratitude envers les Africains, comme cela a été le cas avec l’ancien président sénégalais, Léopold Sédar Senghor. Jusque-là, la France n’avait pas par exemple salué à sa juste valeur, l’apport de cet agrégé de grammaire, membre de l’Académie française et défenseur acharné de la langue et de la culture françaises de son vivant, et qui a également su se retirer volontairement de la scène politique, donnant une chance à l’alternance au sommet de l’Etat sénégalais, au moment où bien d’autres dirigeants africains posaient les bases de leur pouvoir à vie.

La Francophonie ne rend pas vraiment service à la démocratie

A Dakar, Hollande aura ainsi su quelque peu réconcilier la France avec son histoire africaine. Comme on le sait, Hollande est particulièrement monté sur ses grands chevaux pour défendre la démocratie sur le continent. Mais, on imagine bien que le discours aurait été tout autre, si la révolution burkinabè n’était pas passée par là. C’est cette révolution qui a donné des ailes à Hollande, qui a délié sa langue. Avec Blaise Compaoré encore au pouvoir, l’actuel locataire de l’Elysée n’aurait pas prêté attention à la nécessité du respect des Constitutions, d’une démocratisation réelle des pays de l’OIF. Même la lettre de Hollande demandant à Blaise Compaoré de respecter les textes juridiques qui l’empêchaient de modifier la Constitution pour se maintenir au pouvoir, serait certainement restée secrète, si les choses s’étaient passées autrement au Burkina Faso. La diplomatie souterraine de l’OIF n’a jusque-là pas été à la hauteur des enjeux. On peut même dire qu’elle a échoué face à des dirigeants africains « pouvoiristes ». C’est à se demander comment on aurait pu, du reste, s’attendre à autre chose, quand on sait à quel point la pratique démocratique est biaisée au sein même de l’OIF. En effet, de quelle démocratie cette OIF peut-elle se prévaloir en son propre sein ? Du reste, le choix du Secrétaire général de cette organisation en dit long sur son niveau de démocratie interne. On se rend bien compte que c’est la France qui décide et les autres pays subissent. En d’autres termes, quand la France a un candidat, elle l’impose au reste des Etats membres de l’OIF. Abdou Diouf n’avait-il pas été mis à ce poste par la volonté de Jacques Chirac, alors chef de l’Etat français ? François Hollande n’avait-il pas proposé ce poste à l’ex-chef de l’Etat burkinabè, Blaise Compaoré, pour lui offrir une porte de sortie honorable  ? On sait bien que si Blaise Compaoré avait accueilli favorablement cette offre, son élection aurait été actée sans aucune difficulté. Sa candidature aurait été parrainée, portée par la France. On a donc envie de dire que les choses ne traînent en longueur que si la France n’a pas de candidat précis, comme ce fut le cas lors de ce sommet de Dakar. Difficile pour une organisation de convaincre de sa foi en la démocratie, quand elle est elle-même l’objet de telles manœuvres. Et il est évident que les chefs des Etats membres de l’OIF observent ces pratiques anti-démocratiques et ne se privent pas de s’en inspirer dans la gouvernance de leur propre pays.

C’est dire qu’il est utopique voire hypocrite de la part de l’OIF, de prétendre faire la promotion de la démocratie quand la désignation de son premier responsable procède d’un marché de dupes comme c’est le cas actuellement. Et si cela devait continuer, il faut bien craindre que ce secrétariat général soit un point de chute pour dirigeants rejetés par leurs populations, un dépotoir pour anciens dictateurs privés de pouvoir. Ajouté au fait que l’OIF a eu, de par le passé, à féliciter des dictateurs réélus lors d’élections contestées et ce, bien avant même la confirmation des résultats des urnes par les instances habilitées à le faire, comme les Cours constitutionnelles des Etats concernés. On est en droit de penser que la Francophonie ne rend pas vraiment service à la démocratie. De toute façon, l’argument de la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat, brandi urbi et orbi pour justifier cet attentisme de l’OIF, est irrecevable du moment où il est question de défendre des valeurs universelles et de protéger des populations prises en otage par des potentats et leurs clans.

L’Afrique tire très peu profit de sa participation à cette organisation

Comment croire, du reste, en la sincérité de François Hollande lui-même, quand il se contente de souhaiter qu’il y ait des élections libres et transparentes au Tchad de Idriss Déby Itno, au Cameroun de Paul Biya et au Togo de Faure Gnassingbé, quand on connaît l’état réel de démocratie dans ces pays ? Il est notoire qu’on ne chasse pas un dictateur par les urnes et bien des régimes africains sont passés maîtres dans l’art d’organiser des fraudes et autres manipulations électorales. On peut penser que François Hollande fait preuve, dans le meilleur des cas, d’une méconnaissance des réalités du continent africain et dans le pire des cas, d’une sordide hypocrisie. Et, l’on a du mal à croire en la thèse de l’ignorance. Le président français fait donc preuve d’une hypocrisie qui s’explique par la manie des dirigeants français de défendre bec et ongle, et au mépris des standards démocratiques, des chefs d’Etat plus soucieux de préserver les intérêts de la France, et qui attendent en contrepartie que l’Elysée ferme les yeux sur leurs turpitudes. Comment Hollande peut-il être crédible, en exigeant le respect du principe de l’alternance au sommet de l’Etat, à un Joseph Kabila qui n’a qu’une dizaine d’années de pouvoir, tout en caressant dans le sens du poil, des présidents qui capitalisent déjà environ trois décennies de règne ? Au fait, les dirigeants français ne prennent le parti du peuple dans les pays où règnent des dictateurs, que quand ils n’ont plus d’autre choix.

Il faudra donc que l’OIF opère une vraie mue, si elle veut avoir du crédit vis-à-vis des peuples. L’Afrique, en ce qui la concerne, tire très peu profit de sa participation à cette organisation. Pourtant, elle représente une immense portion de ce regroupement autour de la langue française, du point de vue démographique, à telle enseigne qu’il aurait même été plus juste que le siège de cette organisation soit basé sur le continent africain. Et puis, aujourd’hui encore, pour les populations du Sud, avoir un visa pour un pays comme la France, même pour des études, relève du parcours du combattant. D’immenses efforts demandent à être faits. En tout cas, il ne saurait y avoir un espace francophone viable sans libre circulation des personnes. Il serait donc bien de penser à créer un visa unique pour l’espace francophone. Tout ce qui importe pour les dirigeants français, c’est de défendre la langue française chez les autres, quand eux-mêmes ne se gênent pas pour se mettre à l’anglais.

Il appartient de ce fait aux pays africains de prendre à bras-le-corps leurs propres problèmes, y compris ceux de gouvernance politique. Pour ce faire, les présidents africains bien élus, ont une grande responsabilité. Forts de leur légitimité, ces présidents bien élus, à l’image de Macky Sall,  ne devraient pas hésiter à dire haut et fort ce qu’ils pensent aux mauvais exemples de dirigeants. L’Afrique leur devrait ainsi une fière chandelle s’ils œuvraient à donner plus de chances et de poids aux véritables aspirations démocratiques des peuples, à se libérer de toutes ces souverainetés confisquées.

« Le Pays »


No Comments

Leave A Comment