HomeA la uneAN V DE LA REVOLUTION TUNISIENNE : Un héritage globalement positif

AN V DE LA REVOLUTION TUNISIENNE : Un héritage globalement positif


Le 17 décembre 2010, devant le gouvernorat de Sidi Bouzid, Mohamed Bouazizi, dans un acte désespéré, s’immolait par le feu. En se transformant en un ardent brasier, le jeune vendeur ambulant de légumes, pris dans la spirale du désespoir et déjà consumé de l’intérieur par le feu de la misère et de l’injustice, allumait le flambeau qui allait guider la marche du peuple tunisien des ténèbres de la dictature à l’éclat du triomphe de la révolution. En 28 jours,  il a contraint la galaxie Zine el-Abidine Ben Ali à quitter dans une retraite en débâcle le pouvoir, après 23 ans de règne autoritaire. Quel bilan peut-on faire 5 ans après cette révolution dite du Jasmin ?

Le sacrifice de Bouazizi traduit  le refus de la servitude

L’acte héroïque du jeune Bouazizi a permis à la Tunisie d’ouvrir une nouvelle ère de son histoire. Le renouveau démocratique consécutif à la révolution, s’est soldé par une nouvelle Constitution et par une alternance politique qui reflète la volonté du peuple tunisien. L’effet induit de ce changement est l’immense gain en libertés individuelles, une gageure sous le régime policier de Ben Ali. Le plus grand mérite cependant de la révolution tunisienne est l’éveil des consciences. Le sacrifice de Bouazizi traduit  le refus de la servitude et la prise de conscience de la majorité anonyme de la population tunisienne jusque-là muette et apathique du fait de la pauvreté. Dans un sursaut de dignité, ce «  peuple de l’ombre », contre toute attente, a brandi l’étendard de la révolte et ce mouvement de foule des zones rurales a trouvé un écho favorable dans le terreau de la précarité urbaine. Et debout comme un seul homme, le peuple tunisien a rappelé à la conscience universelle que seul le peuple est dépositaire du pouvoir et qu’il a en main sa destinée. En transformant son essai, le peuple tunisien, par sa détermination, a ouvert la brèche salutaire du printemps arabe dont les vents ont aussi balayé le Sud du Sahara. La Libye, l’Egypte, le Yémen, la Syrie, le Burkina Faso ont répondu à l’appel de l’air frais venu de la Tunisie. Même si ce mouvement a eu un succès limité dans certains de ces pays, la révolution tunisienne, après l’intermède exogène des années 90, a ouvert le deuxième grand mouvement d’éveil des consciences des peuples africains après l’essor des mouvements nationalistes, qui avait permis la libération du continent du joug colonial. Le symbolisme est puissant et le gain en image et en sympathie sur la scène internationale est inquantifiable. De « mère du printemps arabe », la Tunisie est devenue le phare démocratique du continent. Mais les défis restent nombreux. Au plan politique, la révolution, déjà dans le viseur des forces réactionnaires de l’ancien ordre, a libéré des démons qui tentent de s’emparer de l’âme du pays. Après la vague des assassinats qui a emporté l’opposant de gauche Chokri Belaïd et le député nationaliste Mohamed Brahmi, le pays reste piégé par le volcan islamiste dont les éruptions mortelles se sont multipliées avec les attaques du mont Chaambi, du musée du Bardo, de Sousse et du bus de la garde présidentielle à Tunis. S’il faut incriminer la dictature du régime de Ben Ali qui a contribué à l’émergence des ferments du terrorisme et de la radicalisation d’une frange minoritaire de la population, à travers sa politique particulièrement répressive à l’égard de la pratique religieuse, souvent appliquée sans réel discernement, la révolution a aussi sa part de responsabilité.

La révolution n’a pas apporté les changements escomptés

En cause, le premier décret-loi postrévolutionnaire accordant amnistie générale à tous les prisonniers dits d’opinion, y compris ceux… condamnés pour terrorisme. Libérés, les extrémistes islamistes, manipulant la partie la plus déshéritée de la population, ont recouvert le pays du voile de la violence. Sur le plan social et économique, pour de nombreux Tunisiens, la révolution n’a pas apporté les changements escomptés. « L’éléphant annoncé comme disent les Ivoiriens est arrivé avec un pied cassé ». Et beaucoup estiment être dans la même situation  d’avant 2011. «  Tout ce qui a changé, c’est que nous avons davantage de chômeurs et davantage d’extrémistes ».  La situation est aggravée par la menace djihadiste croissante qui affecte gravement le tourisme d’où le pays tire d’importants subsides (7% du PIB et plus de 400 000 emplois directs et indirects). Le désespoir est si grand que de nombreux jeunes tunisiens, face au « no future », estiment n’avoir d’autre choix que de se faire hara kiri à nouveau par le feu, comme l’a fait Bouazizi ou de rejoindre les djihadistes. Si les nouvelles autorités peuvent opposer à l’impatience des Tunisiens l’excuse du temps, elles ne doivent pas perdre de vue cette implacable loi de la physique selon laquelle «  les mêmes causes produisent les mêmes effets ».

« Le Pays »


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