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24e EDITION DU FESPACO : Le Burkina a osé


« A cœur vaillant, rien d’impossible », dit-on. La détermination des nouvelles autorités burkinabè a permis à la 24e édition du Festival panafricain du Cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO) d’être une réalité. La tenue de cette biennale du cinéma, qui vient d’ouvrir ses portes, certes dans la sobriété mais par un spectacle haut en couleurs, était loin d’être un acquis. En effet, ce ne sont pas les raisons de la reporter, voire de l’annuler, qui manquaient aux autorités de la transition. Comme on le sait, le contexte économique général est difficile. En plus de cela, il y a la menace Ebola qui a déjà eu raison de bien des manifestations un peu partout sur le continent africain. Au Burkina Faso par exemple, la crainte de cette épidémie mortelle a conduit à l’annulation de certains événements majeurs, comme la plus grande Course cycliste du continent, le Tour du Faso, et le Salon international de l’artisanat de Ouagadougou (SIAO). Une autre  difficulté et non des moindres, est la situation politique du pays des Hommes intègres. Cette édition du FESPACO, faut-il le rappeler, se tient environ quatre mois après l’insurrection populaire qui a emporté le régime de Blaise Compaoré et ouvert la voie à la transition. Cette transition, faut-il le souligner,  fait face à des chantiers des plus énormes.

Le FESPACO est une fierté pour le Burkina

Dans ce contexte, réussir à tenir le FESPACO,  relevait, pour le capitaine du bateau « Burkina », Michel Kafando et son équipe,   de la gageure. Cette effectivité est tout un symbole. Le symbole d’un Burkina toujours debout, et déterminé à jouer sa partition dans le concert des nations. Le FESPACO, on le sait, est une fierté pour le Burkina, mais aussi pour l’Afrique tout entière. C’est l’un des fleurons les plus emblématiques de la culture panafricaine. On connaît, du reste, l’attachement des Africains en général et des Burkinabè en particulier, à leur cinéma. On ne peut donc que se réjouir que tout ait été mis en œuvre pour que cette édition soit une réalité. Ni le spectre d’Ebola, ni la menace islamiste, encore moins les difficultés politiques, sociales et économiques du pays, ne seront donc venus à bout de cette volonté du peuple burkinabè de célébrer le 7e art africain. Certes, l’annulation de la rue marchande constitue un bémol au succès de cette grande fête, mais la volonté d’éviter de créer un terreau fertile à Ebola ou à l’insécurité, est somme toute, fort compréhensible. Du reste, cela n’enlèvera pas grand-chose au bonheur des festivaliers qui ne se priveront pas de prendre d’assaut les stands au siège du FESPACO, entre deux séances de films.

FESPACO des défis, cette édition l’est assurément. En plus des autres difficultés auxquelles il a fallu faire face, les organisateurs ont dû gérer un autre souci et non des moindres : la menace islamiste. En effet, le problème s’est posé de savoir s’il fallait ou non retenir « Timbuktu », le film du Franco-Mauritanien, Adbderrahmane Sissako, qui vient de rafler les César, en raison de la menace islamiste autour de ce film. Finalement, avec la recommandation du président du Faso himself, les organisateurs ont fait le choix du refus de la peur. Le film sera donc en compétition, et c’est tant mieux pour le spectacle et pour la compétition. On a là l’occasion de voir si ce film aura l’onction du jury du FESPACO ou pas. Car, faut-il le rappeler, 19 films sont en lice pour le « saint graal », et rien n’est gagné d’avance pour quelque film que ce soit. Le FESPACO a ses canaux d’appréciation qui lui sont propres et le suspense sera bien au rendez-vous. Il faut juste espérer que le jury travaillera en toute quiétude, objectivité et impartialité.

Cette édition du FESPACO est également placée sous le signe du renouveau. C’est ce qu’on peut constater avec l’entrée en scène du numérique. Cette question a longtemps fait des gorges chaudes. Cette fois-ci, le virage est amorcé. Cette acceptation du numérique permettra de réduire un tant soit peu les difficultés financières des producteurs africains. Les films coûtent énormément d’argent et cela plombe la production. Le numérique permet de réduire les coûts et il était certainement temps que la biennale du Cinéma panafricain tire pleinement profit de cette opportunité technologique. Autre innovation : l’amélioration de la valeur des prix qui seront décernés à cette édition. Par exemple, la valeur de l’Etalon d’or de Yennenga est passée du simple au double, de 10 millions   à 20 millions de francs CFA. Il y a également la prise en compte de la diaspora africaine qui parachève la dimension panafricaine de l’événement. Autre élément nouveau et non des moindres, signe certainement du changement des temps, c’est le prix Thomas Sankara du court métrage. Le vent de la révolution burkinabè aura également soufflé sur le FESPACO. L’ex-président burkinabè, assassiné en 1987, était très attaché à la promotion de la culture et a été un des artisans du rayonnement du FESPACO. Le cinéma africain lui rend ainsi un hommage bien mérité, qui n’aurait été possible si un vent de renouveau n’avait soufflé sur le Burkina, avec cette insurrection populaire de fin octobre 2014.

Ouagadougou doit se mettre à nouveau à la hauteur de son statut de capitale du cinéma africain

Ce renouveau du FESPACO contraste avec le sort des salles de cinéma au Burkina et ailleurs en Afrique. Bien des salles ont été transformées en lieux de culte si ce n’est en boutiques. D’autres sont purement et simplement fermées. Le coupable de cette sombre réalité est à rechercher notamment dans la piraterie. Aujourd’hui, pour moins de 500 de nos francs, les populations peuvent se procurer un CD contenant souvent une dizaine de films. Les plus nantis peuvent télécharger de nombreux films sur Internet, ou les voir sur les chaînes cryptées. Ce faisant, il y a moins d’engouement pour les salles de cinéma, les spectateurs préférant voir et revoir ces films à domicile. Mais, en plus de la piraterie des œuvres contre laquelle il convient de prendre des mesures fortes, il y a incontestablement le manque de volonté politique. Ouagadougou est la capitale du cinéma africain et les nouvelles autorités de l’Etat seraient bien inspirées d’aider les gestionnaires des salles à relever la tête. Ils peuvent, à cet effet, agir en termes de subventions et au besoin, rouvrir des salles publiques. Il ne faudra pas céder à la tentation de ne voir que l’argent dans l’exploitation des salles de cinéma. Il faut y voir aussi les aspects promotion de la culture notamment ; il urge donc de remettre à flot ces salles de cinéma et de donner un coup de main aux cinéastes burkinabè. Car, comme on le voit, il n’y a que deux films burkinabè en compétition. Certainement, du fait de la cherté des coûts de production. Ouagadougou doit se mettre à nouveau à la hauteur de son statut de capitale du cinéma africain.

En ce qui concerne la gestion de cette 24e édition du FESPACO, la prise de mesures sécuritaires tel le recours au gel anti-Ebola et la mise à disposition du public, de numéros verts de la gendarmerie, sont à saluer. Les menaces étant à la hauteur de la détermination des organisateurs du festival et des dirigeants burkinabè, il ne faudra, pour rien au monde, baisser la garde. Un déploiement sécuritaire bien visible serait de nature à rassurer les festivaliers et, d’une manière générale, les populations. Ce dispositif aura également l’avantage d’être dissuasif, pour tout individu qui nourrirait le sinistre dessein de troubler cette belle fête. Avec la programmation de Timbuktu surtout et le péril islamiste que connaît la sous-région, il faudra que la sécurité ouvre l’œil et le bon. Sans prétendre donner des leçons aux « sécurocrates », on peut dire qu’il faudra qu’ils ne perdent pas de vue que les terroristes ont la rancune tenace. L’islamisme radical fait sienne la maxime selon laquelle « la vengeance est un plat qui se mange froid ».

En d’autres termes, les islamistes auront désormais le Burkina dans leur viseur et sont capables de se faire oublier pour n’agir qu’au moment où on s’y attend le moins. Il ne faudra pas leur laisser la moindre opportunité. Le Burkina qui a ainsi refusé de céder au diktat des « obscurantistes » devra mettre un point d’honneur à rester longtemps sur ses gardes, pour ne pas dire toujours. En attendant de voir vers quel pays l’Etalon de Yennenga va, dans un peu moins d’une semaine, s’élancer de son galop fier et ferme, croisons les doigts pour que ce FESPACO soit à la hauteur du renouveau du cinéma panafricain tant attendu.

« Le Pays »


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