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AFFAIRES NORBERT ZONGO ET THOMAS SANKARA


 A petits pas fermes vers la lumière

Il y a 20 ans, jour pour jour, que le journaliste d’investigation et directeur de l’hebdomadaire « L’Indépendant », Norbert Zongo et ses compagnons  périssaient à Sapouy  sous les balles assassines d’un mystérieux commando. Mais voilà aussi 20 ans que le peuple burkinabè, debout comme un seul homme, demande la vérité et la justice  sur ce crime odieux qui était de trop, après la série meurtrière enclenchée depuis octobre 1987.  Voilà 20 ans que le fantôme du défunt hante  le sommeil des assassins et leurs commanditaires. Mais quel bilan peut-on tirer de la longue quête de justice pour ce journaliste émérite dont la rigueur de l’analyse en a fait un visionnaire ?

Pendant les 16 ans qu’a duré le pouvoir de Blaise Compaoré après la disparition tragique du journaliste, hormis les gains substantiels en matière de libertés démocratiques et plus particulièrement en matière de liberté de presse, les lignes n’ont pratiquement pas bougé sur le plan judiciaire.

Il faut du temps pour détricoter l’épais voile qui avait recouvert le dossier

La mafia politico-judiciaire construite autour de ce qui apparaissait comme un brûlot déstabilisateur du régime Compaoré, avait réussi à plonger le dossier dans les oubliettes de l’histoire. Mais depuis la fin de l’ancien establishment, l’on note avec satisfaction des petits pas fermes  vers la lumière. En effet, sous la Transition, le dossier qui avait été classé sans suite a été rouvert, des inculpations ont été prononcées à l’endroit de présumés coupables et un mandat d’arrêt international a été émis à l’encontre de François Compaoré, frère cadet de l’ancien président Blaise Compaoré, désigné par la Commission d’enquête indépendante mise sur pied au lendemain du crime, sous la pression populaire, comme l’homme qui a planifié l’assassinat de Norbert Zongo. Et l’on peut dire qu’un pas décisif a été franchi la semaine passée, avec l’avis favorable émis par la Justice française sur la demande d’extradition de ce principal suspect dans cette sordide affaire. L’on peut donc dire que les choses vont dans le bon sens, même si le rythme n’est pas celui souhaité par les Burkinabè et particulièrement la Coalition contre l’impunité qui appelle encore à manifester  pour demander la fin de l’impunité pour les auteurs du crime. La question que l’on peut, de ce fait, se poser est  la suivante : pourquoi la justice se hâte-t-elle si lentement ?

Plusieurs raisons peuvent expliquer la lenteur judiciaire dans ce dossier. D’abord, il faut le dire, l’ancien régime, pendant tout le temps qu’il a duré après le crime, a sans doute œuvré à effacer les traces et il faut donc du temps pour détricoter l’épais voile qui avait recouvert le dossier. A cela, il faut, sans doute, ajouter le fait que les juges qui ont joué les premiers rôles dans l’enterrement du dossier sous le défunt régime,  sont encore en exercice et même s’ils n’ont plus de contact avec le dossier, ils peuvent l’influencer par personne interposée. Les jeunes magistrats qui ont hérité du dossier ont peut-être parfois été autrefois leurs protégés.  Ensuite, l’on peut imputer la lenteur dans la manifestation de la vérité dans ce dossier au fait que certains dignitaires de l’actuel régime ont joué des rôles troubles au lendemain du crime, qui ont entravé la marche de la Justice.

La France a accepté de jouer sa partition

Même si l’on ne peut les lier directement au crime, il est tout à fait certain qu’ils sont très mal à l’aise face au film de l’histoire. Et enfin, il y a cette flopée de structures ou d’organisations insoupçonnées qui ont fait du dossier Norbert Zongo un fonds de commerce et qui, de peur de voir le pain retiré de leur bouche, ne font pas grand-chose pour que le dossier avance, contrairement aux postures publiques qu’elles adoptent.

L’autre dossier sous les feux de la rampe, c’est le dossier Thomas Sankara. Conformément à la promesse du président Emmanuel Macron, la France a remis un premier lot d’archives déclassifiées   relatives à ce crime. Un second lot devrait bientôt suivre. Et là aussi, l’on peut se réjouir des avancées enregistrées dans ce dossier même si l’on est encore troublé par les résultats non  concluants des tests ADN. En attendant que ces archives livrent leur  secret, l’on peut se réjouir que dans les deux dossiers qui empoisonnent l’atmosphère politique au Burkina Faso, la France, accusée à tort ou à raison, a accepté de jouer sa partition et l’on peut dire que la balle est maintenant dans le camp de la Justice burkinabè.

Et justement cette Justice burkinabè, même si l’on est d’avis qu’elle a son calendrier qui n’est pas celui de la rue, doit faire diligence dans le traitement de ces dossiers. Et pour cause. L’épilogue de ces deux dossiers agirait comme une catharsis pour la nation burkinabè qui a besoin de se réconcilier avec son passé pour mieux se projeter dans l’avenir. En tout cas, les juges burkinabè qui ont longuement claironné la chanson du manque d’indépendance, sont face à leurs responsabilités. Ils ont eu l’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique à travers le Conseil supérieur de la magistrature. Et, cerise sur le gâteau, ils sont aussi à l’abri du besoin financier, avec les émoluments que leur a concédés le pouvoir de Roch Marc Christian Kaboré.  Désormais, l’histoire du Burkina Faso les regarde.

« Le Pays »


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