HomeA la uneALTERNANCES EN AFRIQUE : Normale au Bénin, un crime en Sierra Leone

ALTERNANCES EN AFRIQUE : Normale au Bénin, un crime en Sierra Leone


Les deux événements suffisent à traduire, à eux seuls, la qualité de la démocratie dans les pays concernés. Ces événements, ce sont les déboires du vice-président de la Sierra Leone et la création de son côté, sans couac, de sa formation politique par le président de l’Assemblée nationale béninoise. En effet, le vice-président sierra léonais, Samuel Sam Sumana, qui a été évincé de son parti, s’est caché pour sauver sa vie et a demandé l’asile aux Etats-Unis d’Amérique. Des militaires ont procédé à une sorte de « perquisition » de son domicile, et sont repartis avec des documents. On imagine bien avec cette descente musclée, ce qu’il aurait pu advenir de lui s’il avait été à son domicile, au moment de l’irruption des bidasses. Il aurait certainement passé, au mieux des cas, un sale quart d’heure. Etant donné qu’il s’agit de son vice-président, difficile de se convaincre que le président Ernest Bai Koroma n’est absolument pour rien dans les ennuis de Sam Sumana. Bien au contraire. Tout porte à croire que les ennuis du vice-président viennent de ses rêves d’un destin national, que son président perçoit sans doute comme une menace.

Au Bénin, le chef du Perchoir ne se sent nullement traqué par l’Exécutif

Le président de l’Assemblée nationale béninoise, Mathurin Nago, lui, ne connaît pas, du moins jusque-là, ce genre de problèmes. Pourtant, il ne fait pas mystère de ses ambitions présidentielles. En effet,  dénonçant les velléités supposées ou réelles du président Boni Yayi   d’opérer des réformes constitutionnelles pour se maintenir au pouvoir, il a créé sa propre formation politique, l’Alliance des Forces Démocratiques Unies (FDU). Un scénario qui ressemble, à quelques détails près, à ce qui s’est passé au Burkina Faso avec la démission d’anciens bonzes du parti présidentiel. Autant dire qu’il a déclaré la guerre à ses camarades de la formation au pouvoir.   Pourra-t-il les vaincre ? Il faudra attendre de voir. Mais on peut déjà remarquer que, contrairement au vice-président sierra-léonais, le président de l’Assemblée nationale béninoise  n’est pas traqué. En tout cas, jusqu’à preuve du contraire, il ne se sent nullement persécuté par l’exécutif.   Il connaît un sort meilleur que celui du vice-président sierra-léonais. Son droit d’avoir des ambitions est, d’une manière ou d’une autre, reconnu. Or, dans bien des majorités présidentielles africaines, il faut être « fou » pour oser lorgner le fauteuil présidentiel. Dans le premier cercle des chefs d’Etat, on n’ose pas s’y aventurer, au risque de subir le courroux des princes régnants. Tout se passe comme si le chef de l’Etat est la seule personne qui a le droit   d’être là où il est. Ce qui est fort dommageable. Sous d’autres cieux, les choses se passent quelque peu autrement, le droit de vouloir être chef d’Etat étant reconnu à tous. Il revient à chaque candidat à la candidature de se battre, conformément aux textes en vigueur dans le pays  et dans sa formation politique, pour avoir la confiance des électeurs.

Il est vrai qu’on peut s’interroger sur la pertinence des récriminations du président de l’Assemblée nationale béninoise. Il est notoire que le président Boni Yayi a pris, à maintes reprises, à l’intérieur du pays comme à l’extérieur, l’engagement de ne pas tripatouiller la Constitution et de quitter le pouvoir au terme de ses deux mandats. La mésaventure de Blaise Compaoré qui voulait tripatouiller la Constitution burkinabè, a sans aucun doute participé à convaincre Boni Yayi de l’ampleur du risque que représenterait pour lui, toute tentation de s’éterniser au pouvoir. Il a juré la main sur le cœur, de ne pas chercher à se donner le droit de briguer un autre mandat à la tête de l’Etat. Tant et si bien qu’on se demande si ses opposants ne lui font pas un procès en sorcellerie. Peut-être cette décision de créer une nouvelle alliance cache-t-elle d’autres motivations. C’est peut-être pour le chef du perchoir, la manière d’afficher clairement ses ambitions. Mathurin Nago aurait-il pressenti qu’il n’avait pas les faveurs de Boni Yayi pour être désigné candidat de la majorité et aurait-il décidé de ce fait de prendre les devants ? Si tel était le cas, sa stratégie serait donc de mettre le chef de l’Etat et les autres candidats potentiels devant le fait accompli. Mais, même dans un tel cas de figure, il n’est pas évident qu’il ait gain de cause, car ce n’est pas parce qu’il s’est déjà positionné que Boni Yayi se sentira obligé de le soutenir, lui et non un autre candidat.  

La Sierra Leone semble atteinte du syndrome du Soudan du Sud

En tout état de cause, on en vient à se convaincre, à l’analyse de ces événements, qu’il ne s’agit là que d’une tempête dans un verre d’eau au Bénin, alors qu’on assiste à un véritable recul démocratique en Sierra Leone. En effet, au Bénin, si Boni Yayi est sincère dans les annonces qu’il a faites sur sa volonté de quitter le pouvoir à la fin de son mandat actuel, les agitations auxquelles on assiste sont sans objet et le calme s’imposera de lui-même. Le chef de l’Etat serait alors bien inspiré de ne pas prêter  attention à ces procès d’intention qui lui sont faits. Quant au pays de Bai Koroma, il semble atteint du syndrome du Soudan du Sud : un président et son vice-président qui n’arrivent pas à régler leurs contradictions de façon civilisée et apaisée. Les conséquences de l’animosité entre Salva Kir et Rieck Machar, faut-il le rappeler, sont la guerre, les violences dans le pays. La Sierra Leone étant un pays qui a connu, dans un passé récent, une des guerres civiles les plus atroces qu’ait connues le continent africain, il faut craindre des risques de basculement, si le jeu politique se vicie encore davantage. La vie démocratique du pays avait connu une certaine embellie après cette guerre meurtrière. Mais, cette demande d’asile du vice-président Samuel Sam Sumana, qui craint pour sa vie, atteste d’un vrai recul en termes de qualité de la gouvernance démocratique. Et c’est déplorable pour ce pays. Surtout qu’en plus de ces bisbilles politiques, la Sierra Leone n’en a pas fini totalement avec l’épidémie d’Ebola. Il faudra donc éviter que cette bataille pour le pouvoir vienne troubler la vigilance et impacter négativement la qualité de la lutte contre la fièvre rouge. En tout état de cause, traquer un vice-président, juste parce qu’il a des ambitions présidentielles, est une pratique digne des républiques bananières. Ces ambitions relèvent de l’ordre normal des choses et il est nécessaire qu’elles soient reconnues comme telles et acceptées, pour les démocraties qui se respectent.   

« Le Pays »

 


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