HomeA la uneANNICK NONOHOU, A PROPOS DU RESPECT DES DROITS DES PATIENTS : « La démocratie sanitaire n’existe pas en Afrique »

ANNICK NONOHOU, A PROPOS DU RESPECT DES DROITS DES PATIENTS : « La démocratie sanitaire n’existe pas en Afrique »


Les droits des patients, qu’est-ce que c’est ? Qui peut bénéficier de ces droits et comment en bénéficier ? Ce sont autant de questions qui trouvent réponses dans cet entretien réalisé avec la sage-femme juriste publiciste qualifiée en protection des droits des patients en humanisation des soins, en clinique de la santé de la reproduction et en assurance qualité, Annick B. Nonohou, de nationalité béninoise, par ailleurs présidente du Réseau des soignants amis des patients. Lisez !

 

Votre santé : Comment peut-on définir le droit des patients ?

 

Annick B. Nonohou : Quand on parle du droit des patients, c’est une prérogative qu’il faut garantir. C’est l’essentiel. En effet, il y a deux définitions : le droit objectif et le droit subjectif. Le droit objectif, c’est l’ensemble des règles qui régissent la société. Le droit subjectif est l’ensemble des prérogatives. Et quand on précise que c’est un droit de patient, c’est une prérogative dont  doit bénéficier le patient.

 

Pouvez-vous nous citer les différents droits des patients ?

 

Il faut préciser qu’en matière de droits de patient, il en existe 10, notamment le droit à l’information, le droit d’accès au centre de santé, le droit au choix, le droit à la sécurité, le droit à la confidentialité et à la sécurité professionnelle, le droit à la continuité des soins, le droit d’exprimer son opinion, le droit au confort et le droit à la dignité.

Qui peut avoir accès à ces 10 droits ?

 

Toute personne est un potentiel patient. Tout individu a le droit de jouir de ces droits de patient quand il se trouve dans un établissement de santé.

 

Le droit du patient est-il connu de l’opinion publique ?

 

Il faut signifier que la vulgarisation de ces droits passe d’abord par la formation du personnel de santé sur la protection des droits des patients. Parce que certains agents de santé ignorent l’existence de ces droits, c’est pour cela qu’on entend souvent parler de maltraitance dans les hôpitaux ou de violences faites aux patients dans les centres de santé. Mais les  patients aussi doivent connaître leurs droits et savoir les protéger.

 

Pourquoi doit-on protéger les droits des patients ?

 

Il faut protéger les droits des patients, car les violences subies par ces derniers augmentent le taux de mortalité dans nos hôpitaux. En réalité, j’ai fait une formation au Maroc sur les droits des patients en 2012 et un autre stage au Japon en 2014 sur l’humanisation des soins. Nous avons appris, lors de ces différentes formations, que le respect des droits des patients peut assurer la santé. Quand ces droits sont respectés, cela permet de réduire les taux de mortalité maternel, néonatal et infantile. Les cas d’exemples sont le Japon et le Maroc. En effet, le Maroc, en 2009, était à 225 décès pour 100 900 vivants par rapport aux femmes qui meurent. En respectant les droits des patients, ils ont pu réduire le taux de mortalité à 112. C’est cela que l’on veut dupliquer chez nous afin de réduire la mortalité et d’assurer le bien-être.

Comment appréciez-vous le respect des droits des patients dans votre pays ?

 

Au Bénin et en Afrique de façon générale, les droits des patients sont totalement bafoués. On parle de droits mais, dans la pratique, ils ne sont pas respectés. Cela est notamment visible quand on fait un tour dans les hôpitaux. Nous travaillons à ce que cela s’améliore, parce que si les droits sont respectés,  nous aurons la démocratie sanitaire. Malheureusement, dans les centres sanitaires, nous remarquons que les agents de santé décident de tout à la place des patients.  Alors que c’est le malade lui-même qui devrait prendre ses décisions en matière de soins qu’on doit lui administrer. C‘est pour dire que tant que  nous n’avons pas  compris cela, nous ne pourrons pas réduire le taux de mortalité en Afrique.

Et que faut-il faire, face à cela ?

 

Il faudrait que les agents de santé, en particulier les sages-femmes, sachent qu’elles sont chargées de vulgariser le droit des patients, mais qu’elles doivent aussi garantir la protection de ces droits. C’est dans ce cadre que j’ai créé, en 2013, un réseau appelé « Soignants amis des patients ». C’est un réseau dans lequel nous militons essentiellement pour l’élimination des violences faites aux femmes et pour l’amélioration de la qualité des soins.

 

Comment appréhendez-vous l’idée de la santé de la reproduction ?

 

La santé de la reproduction concerne tout le monde : femme, enfant, jeune. Mais dans la pratique, les agents de santé ne s’intéressent pas à la famille. On pense seulement qu’il faut agir sur la femme et l’enfant alors qu’il faut agir sur tout le monde pour pouvoir atteindre les résultats escomptés.

 

Quelles sont vos relations avec les autres acteurs de la santé ?

 

J’entretiens de bonnes relations avec eux, surtout que je suis l’actuelle présidente d’un réseau qui ne regroupe pas que des sages-femmes, mais aussi d’autres acteurs de la santé. Et la preuve est que nous avons mis en place le comité des droits des patients et de la promotion de l’humanisation des soins. Nous avons, dans ce comité, au moins 4 groupes de travail : celui des médecins, celui des sages-femmes, celui des infirmiers et celui des aides-soignants. Nous collaborons aussi avec tous les acteurs de la santé, car il faut une intégration pour pouvoir atteindre les objectifs.

 

Quelles sont vos relations avec vos collègues sages-femmes du Burkina Faso ?

 

J’apprécie les sages-femmes du Burkina Faso qui sont de braves travailleuses. Au-delà de la courtoisie, nous travaillons beaucoup ensemble pour la promotion de la santé de la reproduction et des droits des patients. Le réseau des soignants amis des patients existe déjà au Burkina Faso, au Togo, au Niger, en Côte d’Ivoire et au Mali. Mais nous collaborons aussi avec d’autres grands pays qui sont nos modèles, tels que le Japon, le Maroc, le Canada, la Belgique et la Suisse. A ce sujet, j’ai eu la chance d’être nominée sage-femme leader par l’OMS en janvier 2017. Alors, nous ne devons pas baisser les bras, mais plutôt montrer  notre leadership afin de former d’autres sage- femmes pour déplacer les montagnes.

 

Qu’est-ce que les sages-femmes du Burkina Faso pensent du respect des droits des patients ?

 

J’ai fait le tour de quelques hôpitaux au Burkina Faso et je souligne que les sages-femmes ont compris l’enjeu. Pendant que nous parlons de soins humanisés au Bénin, les sages-femmes parlent de soins compatissants au Burkina Faso. Même si ces sages-femmes n’ont pas reçu de formation en la matière, le respect des droits des patients est quelque peu respecté dans ces formations sanitaires.

 

Quelles sont les opportunités et  les difficultés que vous rencontrez ?

 

Pour les opportunités, ce sont les différentes  sociétés savantes qui nous accompagnent sur le plan scientifique.  Nous avons beaucoup de soucis sur le plan financier. C’est avec mon propre salaire que je fais le tour de l’Afrique. Autre difficulté, c’est que les agents de santé n’aiment pas entendre parler de droits parce qu’ils se disent que si on accepte les droits des accompagnateurs, on ne pourra plus faire de rackets. Surtout que quand les agents de santé apprennent qu’on est sage-femme juriste, on n’est pas bien acceptée, parce que les collègues pensent qu’on veut enquêter sur leur travail. Mais nous continuons la sensibilisation et nous essayons de nous mettre au-dessus de la mêlée.

 

Les sages-femmes sont souvent traitées de racketteuses. Que répondez-vous ?

 

Ce ne sont pas toutes les sages-femmes qui rackettent. Laissez-moi vous dire que la profession de sage-femme est une profession médicale à responsabilité définie. C’est un travail noble et nous pouvons bien faire notre travail dans la confiance. L’appel que je lance est que la sage-femme soit un modèle et un leader pour atteindre les objectifs fixés. Ce sont d’ailleurs les sages-femmes  qui forment les gynécologues avant qu’ils ne deviennent plus tard nos supérieurs. Donc, il faut qu’on respecte la sage-femme et qu’on lui donne la place qui lui revient. En 2015, l’OMS a appelé qu’on arrête la discrimination à l’égard des sages-femmes. Nous ne sommes pas dans les instances de prise de décisions alors que nous sommes incontournables. Nous sommes des femmes braves, des femmes modèles et je suis fière d’être sage-femme et juriste.

 

Un mot pour conclure !

 

Je demande à toutes les sages-femmes d’avoir le courage, car la victoire est proche.  Il ne faut pas que les sages-femmes dorment. Même si on ne nous appelle pas dans les instances de décisions, nous allons y amener nos chaises, nous y asseoir et nous imposer. La sage-femme ne doit pas avoir peur. Nous avons la connaissance et nous allons amener tout le monde à collaborer avec nous, dans le respect mutuel.

 

Valérie TIANHOUN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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