HomeA la uneASSAINISSEMENT EN MILIEU URBAIN : La gestion des boues de vidange, un casse-tête chinois à Ouagadougou

ASSAINISSEMENT EN MILIEU URBAIN : La gestion des boues de vidange, un casse-tête chinois à Ouagadougou


 

 

C’est environ 700 à 16 000 m3 d’excréments qui sont tirés chaque jour des fosses d’aisance des familles dans la ville de Ouagadougou, la capitale burkinabè. Une masse importante de déchets organiques dont la gestion n’est pas sans désagréments. Face aux risques sanitaires qui peuvent en découler, trois stations de traitement de boues de vidange ont été construites. Malgré tout, les déversements sauvages continuent, au risque d’entamer les efforts d’assainissement. Alors que bien traitées, ces boues de vidange procurent des avantages socioéconomiques, faute de quoi elles deviennent nuisibles. Aussi est-on en face d’une problématique qui interpelle populations et autorités.   

 

Le constat n’est pas du tout reluisant à Ouagadougou. Peu de foyers sont raccordés au réseau d’égouts urbains qui, du reste, est au stade embryonnaire et limité au centre commercial. Certaines habitations ne disposent d’aucun système d’assainissement, d’autres sont équipées de latrines traditionnelles  améliorées ou de fosses septiques. Il faut dire que la configuration de ce qui est appelé «petit coin», est généralement fonction du niveau de vie des populations, son mode de vidange aussi. C’est dire que la vidange des fosses d’aisance est un problème crucial pour la ville de Ouagadougou. En effet, chaque jour, on estime à environ 700 à 16 000 m3 de matières fécales, autrement appelées boues de vidange, qui sont enlevées des latrines et W.C des familles de façon mécanique par des camions citernes vidangeurs ou de façon manuelle. Et à chacun de ces modes, ses nuisances pour les populations.

Odeurs pestilentielles et germes à ciel ouvert

Les risques sanitaires pour les Ouagalais et les habitants des localités environnantes de par les modes d’évacuation des boues de vidange, sont très grands. En pleine ville, ce sont les vidanges manuelles qui menacent la santé des citoyens pendant que les camions vidangeurs, eux, polluent l’environnement des quartiers périphériques et exposent les habitants à des maladies contagieuses telles que le choléra, la typhoïde, la filariose, etc.

Dans le premier cas, la technique, qui est des plus archaïques, est exécutée par des personnes qui en ont fait un métier. Ainsi, généralement, les ménages à faibles revenus font appel à des vidangeurs manuels dont le nombre est estimé à plus de 200, selon un rapport de l’ONG WaterAid qui fait dans le domaine de la construction des latrines et la sensibilisation sur l’hygiène et l’assainissement, qui débarrassent la fosse des excréments à l’aide de la pelle et du seau, sans, pour la plupart d’entre eux, aucune mesure de protection. Ils travaillent le plus souvent à partir de la tombée de la nuit. Après avoir enlevé la dalle de couverture de la latrine, ils y déversent du grésyl ou du pétrole pour atténuer l’odeur, puis commencent par déverser l’eau de la fosse sur la voie publique et la boue est entassée derrière la concession. Les matières fécales sont ensuite parfois transportées vers des champs, après que le soleil les a asséchées. Mais il arrive qu’elles restent là, jusqu’à la prochaine saison des pluies et ce sont les eaux de ruissellement qui les emporteront vers les bas-fonds, créant de ce fait d’énormes risques pour la santé publique, des nuisances esthétiques et olfactives. Cela s’explique par le fait que l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA) n’a pas encore mis en place une stratégie pour faire face aux vidanges manuelles, hormis le travail de sensibilisation en partenariat avec les services d’assainissement de la commune de Ouagadougou. « Nous sommes en contact avec l’association des vidangeurs manuels et d’autres partenaires comme le Réseau projection et WaterAid, afin de trouver une solution pour qu’ils puissent envoyer leurs boues dans nos stations de traitement », a indiqué un responsable de l’ONEA qui a requis l’anonymat. Au niveau de la direction de la salubrité et de l’assainissement de la mairie centrale, on fait savoir que la loi prévoit des amendes pour ceux qui évacuent les eaux d’aisance sur la voie publique. Cependant, il serait difficile de sévir, selon un agent de ladite direction, d’autant plus que les fautifs sont généralement des indigents. De l’avis d’un chef du service à la direction générale du ministère de l’Environnement, de l’économie verte et du changement climatique, la seule action qui vaille, c’est de sensibiliser les vidangeurs pour qu’ils ne déversent pas les boues de vidange à proximité des concessions, en attendant de les convaincre de les amener dans les stations de traitement construites par l’ONEA avec le soutien de l’Agence française de développement (AFD). Et il rappelle qu’en 2005, à la suite de l’épidémie de choléra, les autorités avaient identifié un site de dépotage, mais la consigne a été vite transgressée.

Pour ce qui est de la vidange mécanique, au niveau de l’association des vidangeurs, on dénombre au moins 43 sociétés disposant d’un à trois camions. Mais il y en a qui ne font pas partie de l’association dont le nombre croit chaque jour et selon une estimation de l’ONG WaterAid, ceux-ci disposent d’une dizaine de camions vidangeurs. Mais l’amer constat est que près de la moitié des boues de vidanges retirées des fosses d’aisance par les camions vidangeurs, est acheminée vers des décharges situées à la périphérie de la ville ou dans des champs pour servir de nutriment végétal, à la demande d’agriculteurs. Alors que l’ONEA dispose de trois stations de traitement situées à Kossodo, Zagtouli et Bassinko. « Les déversements sauvages sont très fréquents dans la zone de Ouaga 2000, route de Pô et route de Léo  et par le passé dans la zone de Yagma et Bassinko, avant qu’on y construise la 3e station de traitement. Ce qui fait que la moitié des volumes de boues produites est toujours déversée dans des sites de dépositaires sauvages, avec les risques qu’on connaît, déplore un ingénieur sanitaire chez l’ONEA, tout en indiquant qu’il y a aussi les vidangeurs manuels qui ne peuvent pas pour le moment envoyer leurs boues vers les stations. » C’est dire donc, que les champs aux alentours de Ouagadougou et dans des villages proches, restent des réceptacles des boues de vidange. Selon certains spécialistes, parallèlement au risque de maladies contagieuses, le déversement anarchique des boues de vidange dans les champs, peut avoir de sérieux impacts négatifs sur les récoltes et les consommateurs, à cause de leur composition pas toujours appropriée. D’ailleurs, l’expérience a édifié certains exploitants agricoles qui acceptent de façon sélective ces boues. «Pendant la saison sèche, les paysans nous supplient de venir déverser les boues dans leurs champs, mais une fois qu’ils commencent à cultiver, ils ne veulent plus nous voir parce que les excréments sont très puants et sous l’effet du soleil, ils sont plutôt nuisibles aux plants », témoigne Yves, responsable technique de Burkina Vidange, une des premières sociétés de la capitale, prestataire dans le domaine.

Il se pose alors avec acuité, le problème de gestion de ces boues de vidange et  donc de santé publique. Pour le chef du service d’hygiène alimentaire et de la salubrité de la commune de Ouagadougou, on peut relever trois niveaux d’impact dans la gestion des boues de vidange : les impacts liés à la technologie d’assainissement, à la vidange elle-même et aux lieux de déversement de ces produits. A chacun des niveaux, des maladies transmissibles ou non, pourraient être propagées. Ainsi, «l’élimination non hygiénique des excréta peut provoquer le choléra, la dysenterie, la diarrhée, l’ankylostomiase, la schistosomiase. Et les groupes à haut risque sont particulièrement les enfants de moins de cinq ans, à cause de leur système immunitaire non encore arrivé à maturité », relève-t-il. La situation, même si elle n’est pas encore dramatique, interpelle au premier chef les pouvoirs publics, car la question qui se pose est de savoir si les conditions matérielles et infrastructurelles permettent de la corriger à court ou moyen termes.

 Les prestataires privés dictent la loi du marché

A Ouagadougou, les services publics dans le domaine de la vidange et du traitement des boues de vidange sont la mairie, l’armée par le génie militaire et l’ONEA. Et ne disposant pas de camions vidangeurs en nombre suffisant par rapport aux besoins des Ouagalais, les prestataires privés dictent la loi du marché. Les coûts de la prestation varient en fonction du volume de travail et de la position des installations sanitaires par rapport à la voie. Le tarif le plus courant est de 15 000 FCFA. Pour la vidange manuelle sollicitée par les ménages à revenus modestes, le coût varie entre 2000 et 10 000 FCFA. Selon une étude de l’Agence Intergouvernementale Panafricaine, Eau et Assainissement pour l’Afrique (EAA), les recettes mensuelles des sociétés de vidange varient entre 100 000 et 1,2 million de FCFA. On y gagnerait bien sa vie et ce n’est pas à Burkina Vidange que l’on dira le contraire, même si c’est au détriment de la santé publique ; la plupart des vidangeurs s’éloignant   le moins possible de la ville pour déverser les excréments, pour des raisons de rentabilité en termes de carburant. « Les camions vidangeurs vont le moins loin possible pour dépoter dans le but de rentabiliser nos activités», raconte sous couvert d’anonymat, un conducteur de camion vidangeur. Une situation qui ne manque pas d’interloquer un cadre de l’ONEA : « Les 3 stations de traitement sont faites pour recevoir toutes les boues. Cependant, certains vidangeurs préfèrent les dépotages sauvages. C’est pour mettre fin à tout ça que jusqu’à présent, le tarif fixé pour le dépotage sur nos sites n’est pas pour le moment appliqué ». Puis, il en appelle à la conscience de ces vidangeurs en ces termes : « Ils ont un rôle très important dans l’assainissement de nos villes et ils doivent, de ce fait, ne pas être un canal de transfert de pollution mais des acteurs responsables, soucieux de leur gagne-pain et de leur rôle de protection de la santé humaine et de l’environnement, en amenant les boues vers les stations de traitement. L’avenir sanitaire de nos populations dépend de leurs comportements. »  

Dans tous les cas, il apparaît impérieux de mieux renforcer la gestion des boues de vidange en ce qu’autant elles présentent des risques sanitaires, autant elles peuvent nous être profitables, de l’avis d’un spécialiste (lire encadré). Et selon les prévisions de l’ONEA qui reçoit actuellement 700 m3 de boues de vidange par jour au niveau de ses stations de traitements, à l’horizon 2020, le volume passera à 900 m3 par jour. D’où la nécessité d’une quatrième station de traitement.

Drissa TRAORE

 Dr Halidou Koanda, chercheur, directeur Pays de WaterAid

« Les boues de vidange sont des ressources qu’il faut valoriser »

Dr Halidou Koanda est un spécialiste bien au fait des questions des boues de vidange, pour avoir longtemps travaillé sur la problématique au CREPA, actuelle Age_nce Intergouvernementale Panafricaine, Eau et Assainissement pour l’Afrique (EAA) et l’ONG WaterAid dont il est le Directeur Pays depuis 2010. Les  deux structures font la promotion de la recherche et des bonnes pratiques d’hygiène et d’assainissement. Il nous fait, à travers ces lignes, un certain nombre d’éclairages sur la gestion des boues de vidange.

 

Quels risques sanitaires présentent les boues de vidange ?

 

Halidou Koanda (H.K) : Les boues de vidange sont des produits qui sont stockés dans les ouvrages d’assainissement autonome comme les latrines, fosses septiques, etc., et qui doivent être vidangés régulièrement afin de permettre un fonctionnement optimal desdits ouvrages. Ces matières de vidange contiennent des germes issus des urines, des fèces et des eaux usées. Ces germes peuvent être dangereux pour l’homme, étant donné qu’ils peuvent être à l’origine de plusieurs maladies, notamment la fièvre typhoïde, le choléra, etc. Les matières fécales sont extrêmement dangereuses et il faut les manipuler avec beaucoup de précautions, aussi bien au niveau des familles que des vidangeurs et des maraîchers. Et pourtant, on constate que les camions vidangeurs déversent ces matières fécales dans les champs ou les espaces non bâtis. Certaines familles les rejettent dans des fosses creusées à l’intérieur des concessions ou dans les rues et autres caniveaux. Ce sont des pratiques largement répandues aussi bien dans la ville de Ouagadougou que dans les autres villes du Burkina Faso. Ces pratiques exposent les personnes vulnérables telles que les enfants, les femmes enceintes, les personnes âgées, les personnes vivant avec une maladie chronique, à des risques extrêmement graves. Du simple fait de l’inhalation des odeurs de ces boues de vidange, certaines personnes peuvent ressentir des nausées, des ballonnements et même faire un malaise. Ce n’est pas conseillé non plus de déverser les boues de vidange dans les caniveaux qui sont conçus pour drainer les eaux de pluie qui ruissellent vers des exutoires tels que les barrages ou des cours d’eau. Par ailleurs, le déversement des boues de vidange dans l’environnement sans aucun traitement préalable, en plus d’être une réelle menace de santé publique, a des impacts sur l’environnement comme la pollution des eaux souterraines et de surface, la pollution des sols et de l’air. Cela peut altérer la qualité de l’eau brute utilisée par l’ONEA pour le traitement et la desserte des populations en eau potable.

On dit souvent que les boues de vidange fertilisent les sols et que les agriculteurs les sollicitent dans leurs champs. Votre avis ?

 

En fait, les fèces, les urines, les eaux usées et les boues de vidange sont des ressources qu’il faut valoriser. On peut par exemple récupérer l’azote, le phosphore et le potassium qui sont des nutriments pour les plantes. La gestion des boues de vidange doit intégrer la valorisation des sous-produits de traitement en agriculture (eau traitée, boues séchées ou compostées avec des déchets organiques). Les systèmes de traitement ont été revus pour permettre d’avoir des sous-produits aptes à la valorisation en agriculture et en pisciculture. Des normes ont même été élaborées par l’OMS, pour encadrer les conditions d’utilisation de ces sous-produits afin de garantir la santé des maraîchers et surtout des consommateurs. Ces dernières années, on parle de plus en plus d’économie circulaire qui repose sur trois piliers : la réduction, le recyclage et la réutilisation. La réutilisation est envisagée à tous les niveaux, notamment pour l’énergie, les fertilisants organiques et l’eau, comme il en est de la station de traitement des boues de vidange avec récupération d’énergie de Ouagadougou.

 

Propos recueillis par D.T

 

 

 

 


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