HomeA la uneATTAQUES TERRORISTES AU BURKINA : « Il y a eu un dysfonctionnement de notre système de défense et de sécurité », selon le colonel Charles Lona Ouattara

ATTAQUES TERRORISTES AU BURKINA : « Il y a eu un dysfonctionnement de notre système de défense et de sécurité », selon le colonel Charles Lona Ouattara


Suite aux attaques terroristes du 15 janvier en plein cœur de Ouagadougou, qui ont endeuillé beaucoup de familles et la nation burkinabè, les langues continuent de se délier sur l’intervention des forces de défense et de sécurité nationales qui, pour certains, ont mis du temps pour se déporter sur les lieux. Pour en savoir davantage, nous avons rencontré une personne- ressource habilitée à nous donner un avis à propos. Il s’agit de Charles Lona Ouattara, un officier supérieur de l’Armée burkinabè. Colonel de son état à la retraite, Lona Charles Ouattara était le chef des opérations aériennes des Nations unies, ex-directeur logistique de l’Organisation d’interdiction des armements chimiques (OIAC), ancien conseiller en sécurité aérienne du gouvernement congolais, ancien consultant en sécurité aérienne de la Banque africaine de développement (BAD). Il est aujourd’hui député UPC à l’Assemblée nationale.

« Le Pays » : Selon vous, pourquoi les forces de défense et de sécurité ont-elles mis autant de temps avant de se déporter sur les lieux, dans la nuit du 15 janvier dernier?

Le temps mis par nos forces d’intervention peut être interprété à l’aune des moyens dont elles disposent. C’est-à-dire, le type d’armement, les moyens de déplacement et le professionnalisme des troupes. Le temps mis, tout le monde s’accorde à le considérer excessivement long, parce que les témoignages ont fait état d’un délai d’environ 1h 30mn entre le premier coup de feu et l’arrivée de la gendarmerie.

Non seulement, nos forces sont arrivées en retard mais, apparemment, elles n’étaient pas bien équipées

Un délai de 1h30 mn pour des problèmes de sécurité, c’est énorme, surtout quand des vies humaines sont en jeu. Non seulement, nos forces sont arrivées en retard mais, apparemment, elles n’étaient pas bien équipées. L’armement dont elles disposent n’était pas adapté à une telle situation. Vous avez pu constater avec moi le barda dont disposaient les forces spéciales françaises qui étaient sur le terrain avec, entre autres, des lunettes à vision nocturne. Alors que nos forces sont parties comme de simples policiers. Donc, c’est essentiellement ce manque d’équipements adaptés et probablement le manque de formation à la résolution d’une telle situation, qui a amené nos forces à attendre que les forces spéciales françaises arrivent afin de se mettre, de facto, sous leur commandement effectif. Mais, avant d’en arriver à cette situation, il faut dire quand même que le pays a été alerté au moins deux fois. Notamment, avec l’attaque récente de l’hôtel Radisson Blu à Bamako. Cette attaque ressemble extrêmement à celle que nous avons subie. Et dans la même journée, nous avons essuyé deux autres attaques. Tout cela montre que nous n’avions pas tiré les leçons de la première attaque qui s’est produite chez notre voisin. Alors qu’à l’époque, j’avais dit, sur les médias, que si le pays n’avait pas encore mis en place un plan de sécurité adapté à ce genre de situation, il était grand temps que les autorités le fassent. Et, la partie visible de ce plan serait de sécuriser tous les sites stratégiques du pays, à savoir les institutions, les casernes, les hôtels, les sites touristiques dans nos villes… On est donc étonné de voir qu’en plein centre de la ville de Ouagadougou, sur une rue parfaitement bien éclairée, aux environs de 19h, une telle situation se produise. Ce n’est pas pensable. Pour moi, il y a eu un dysfonctionnement de notre système de défense et de sécurité.

Pourquoi les moyens ont-ils manqué aux forces de défense et de sécurité alors qu’il était connu de tous que le pays était sous menace terroriste ?

Les moyens ont manqué aux Forces de défense et de sécurité depuis le 7 novembre 1982, quand le Conseil de salut du peuple (CSP) est arrivé au pouvoir et a démantelé notre armée, et partant notre système de défense et de sécurité. Que ce soit l’armée ou la police, le CSP est venu politiser ces institutions là. Si vous introduisez la politique au sein de l’armée, vous la rendez partisane, de même vous la rendez inopérante, parce que vous autorisez plusieurs opinions à l’intérieur de l’armée, alors que celle-ci ne peut pas avoir plusieurs opinions. L’armée a une seule opinion, c’est la défense de l’intégrité territoriale de notre pays et de ses institutions démocratiquement mises en place. Les partis politiques sont partisans. Chaque parti a son opinion, son idéologie, et les débats dans les partis politiques sont tous azimuts. Dans l’armée, on ne peut pas avoir cela. La classe politique est responsable de la politisation de l’armée, puisque ce sont ces mêmes acteurs qu’on retrouve aujourd’hui à l’exception de moi-même, parce que j’étais militaire et j’ai dit non à la politisation de l’armée en 1983. Et j’ai quitté le pays pour cela, parce que je n’étais pas d’accord que la politique entre dans la caserne. Donc, ladite politisation est partie du CSP pour atteindre le Conseil national de la révolution (CNR) avec Thomas Sankara qui a dit que « tout militaire qui ne fait pas la politique est un assassin en puissance ». Vous l’avez avalé, vous étiez tous contents alors que vous saviez que c’était une fuite en avant très dangereuse. Parce que cela revient à casser la structure, le fondement même de votre nation qu’est l’armée. S’il n’y a pas d’armée, nous allons tous fuir le pays, parce que ce sont les bandits qui vont régner. Après le CNR, c’était le Front populaire et ensuite la 4e République qui faisait croire qu’elle était démocrate, alors qu’elle ne l’était pas. Le régime de la 4e République était du prétorianisme, c’est-à-dire un régime fondé sur une branche armée qui était le Régiment de sécurité présidentielle (RSP). On a donné tous les moyens au RSP qui était là pour simplement garder le pouvoir et non pour garder le pays. Le RSP était donc, je l’ai toujours dit, une police politique aux mains de Blaise Compaoré et de Gilbert Diendéré. Ils ont fini par casser de l’armée, et craignant toute velléité de contestation au sein de l’armée, ils l’ont privée de ses missions pour en faire une armée de fonctionnaires portant simplement la tenue et allant émarger.

Le Burkina a-t-il les moyens pour faire face à ce type d’attaques terroristes ?

Le pays n’a pas ces moyens, il ne faut pas se leurrer. On entend des compatriotes dire « l’armée française est revenue au Burkina », ça c’est du souverainisme et c’est bien d’être souverain. Je vous rappelle que l’Allemagne est plus souveraine que le Burkina. Mais depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne a les déploiements de l’armée américaine sur son territoire.

A court terme, il faut que le nouveau gouvernement se donne les moyens de constituer une force d’intervention rapide

Des bases américaines sont toujours en Allemagne et en Angleterre. De Gaulle a fait sortir la France du commandement intégré de l’OTAN, Sarkozy a fait entrer la France dans ce commandement. Vous pouvez clamer votre souveraineté, mais il faut le faire quand vous avez suffisamment de moyens. Vous savez que la crise du week-end (les attaques terroristes !) a été dénouée grâce à l’armée française. Il n’y a aucun doute là-dessus. Nos forces de défense et de sécurité n’ont pas de moyens de renseignement. C’est un drone américain d’observation qui a été prêté à la France pour observer le périmètre de la zone des attaques terroristes.

Quelle peut-être, selon vous, la stratégie à mettre en place pour faire face au terrorisme ?

Il faudrait avoir une stratégie à court, moyen et long termes. A court terme, il faut que le nouveau gouvernement se donne les moyens de constituer une force d’intervention rapide. Une force structurée autour d’un objectif et d’un plan. Un plan qui serait du type Vigipirate, mis en œuvre en France. C’est-à-dire un plan axé essentiellement sur la sécurité intérieure au Burkina Faso. Dans les deux années qui suivent, il faudrait que l’armée soit restructurée. Le Conseil national de transition (CNT) a donné l’impression qu’il pouvait le faire en annonçant la création d’une commission de réformes de l’armée. Mais le CNT a mis à la tête de cette commission, des militaires en activité. Vous conviendrez avec moi que l’on ne peut pas être juge et partie. A la tête de cette commission, il y a des militaires en activité, surtout, des hauts galonnés, généraux et colonels-majors qui ont bénéficié de tout temps du système qui a été bâti par Blaise Compaoré. Alors, seront-ils prêts à réformer ce système qui leur a permis d’avoir des galons ? Ce n’est pas parce que je suis à l’Assemblée nationale mais, ma recommandation c’est que, désormais, les parlementaires votent le budget de l’armée. Les parlementaires sont mandatés par le peuple pour contrôler les forces armées. Alors, il est grand temps que le parlement joue son vrai rôle de contrôle de l’action gouvernementale. L’armée ne doit pas être au-dessus du parlement. Le format militaire que le pays souhaite avoir, doit être pensé par le parlement. Ce sont donc des parlementaires qui doivent diriger la commission de restructuration de l’armée.

Propos recueillis par Lonsani SANOGO et Adama SIGUE


Comments
  • EN DEHORS DE TOUTE VISEE POLITICIENNE, moi je crois plutôt que le comportement timide des forces de sécurité est contextuel. Faut-il rappeler aux fins analystes que le gouvernement a une existence d’à peine une semaine et qu’il ne s’était même pas installé et que tout le monde connait la nature de passation d’un gouvernement, celui de la Transition, à un autre, celui des élus.
    Dans tous les systèmes qui gouvernent les hommes, il y’a des points forts et des points faibles, des périodes fragiles et des périodes fortes. Le point faible de tout système est dans les interfaces. L’homme et sa science se cassent souvent le nez à cet endroit. Observez les fusées, les moments les plus délicats sont le décollage, l’atterrissage ou l’amerrissage ou plus sérieusement lors de l’amarrage. La gestion délicate de ses points sensibles est la plus grave erreur des africains. Bref, j’arrête-là mais une analyse plus sérieuse et plus approfondie devrait nous amener à concevoir des procédures claires de passage d’un système à un autre; l’histoire des secrétaires généraux chargés des affaires courantes est bien peu efficace; c’est bien d’avoir prévu au président élu d’accompagner son remplaçant au perron de la salle encore faut-il avoir accompli une séquence des procédures de passation idoine.

    19 janvier 2016
  • Thomas Sankara qui a dit que « tout militaire qui ne fait pas la politique est un assassin en puissance ».

    Il a plutot dit: “Un militaire sans formation politique est un criminel en puissance”. Nuance. Connaitre la politique et la faire, c’est différent.

    19 janvier 2016
  • M. Compaoré Simon pourrait rendre efficace sa stratégie sécuritaire en intégrant une ressource de ce niveau dans la réflexion.

    20 janvier 2016

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