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AUDIENCES PUBLIQUES EN COTE D’IVOIRE : La fin justifie la démarche


 

Depuis hier  8 septembre, et ce, pendant les deux mois à venir, les victimes de la crise post-électorale, sont appelées à la barre à Abidjan. C’est, en effet, le début des audiences publiques, dernière étape du mandat de la Commission dialogue-vérité et réconciliation (CDVR), présidée par le banquier et ancien Premier ministre, Jean Konan Banny.

Ces audiences foraines sont d’un grand intérêt pour la Côte d’Ivoire, et au-delà, pour toute l’Afrique de l’Ouest. La région a été sérieusement affectée par les pogroms enregistrés durant les périodes troubles de l’histoire récente de ce pays frère et voisin. Mais pourquoi maintenant ? Ces assises interviennent dans un contexte d’accalmie. Certes, des tiraillements existent toujours à propos de la composition du bureau de la Commission électorale indépendante (CEI). Entre certains opposants et le pouvoir, la lune de miel n’est sans doute pas pour demain. Il est probable aussi que les audiences foraines viennent rouvrir des plaies. Mais pouvait-on attendre davantage ?

Quatre ou cinq ans après les événements, la société ivoirienne ne baigne plus dans les mêmes émotions que celles des périodes troubles de son histoire. Elles ont largement eu le temps de diminuer en intensité. Bientôt auront lieu de nouvelles élections. Il va bien falloir présenter des bilans qui puissent convaincre et mobiliser. Parallèlement, il faut travailler à assainir le paysage politique, à en extirper les éléments qui jouent aux fossoyeurs de la démocratie. Les audiences foraines pourraient beaucoup y aider. Elu au suffrage universel direct, Alassane Dramane Ouattara (ADO) fait bien d’être prudent. Aujourd’hui président de tous les Ivoiriens, il a intérêt à bien manœuvrer de manière à élargir sa base électorale, afin de se faire réélire au prochain scrutin présidentiel. De même, ses partisans n’ont pas droit à l’erreur. Il leur faut se départir de tout esprit revanchard, s’ils veulent éviter que le lit de la réconciliation nationale ne charrie des eaux boueuses.

Les options faites par le gouvernement, s’expliquent donc. Elles constituent une réponse au triptyque Dialogue-Justice-Réconciliation. Mieux, elles sont susceptibles d’aider les Ivoiriens à vivre continuellement ensemble. Au plan du format, on a préféré prélever un échantillon de personnes à faire défiler aux audiences. Quant au déroulement du procès, on a choisi de laisser tomber le côté médiatisation à outrance. Elle aurait pourtant été fort utile, ne serait-ce que pour des raisons pédagogiques.

 

Ces audiences publiques ne doivent pas être assimilées à des séances d’exorcisme, au risque de l’emporter sur la nécessité de rendre justice aux familles endeuillées

 

Les choix faits par ADO et les siens, visent sans doute à éviter que ne se ravivent les rancoeurs. Ce serait contraire et dommageable à la politique de réconciliation en cours. En guise de réparations, le principe des indemnisations a été retenu. Il faut s’en féliciter, même si l’on sait que jamais, et quel qu’en soit le montant, l’argent ne fera revenir les disparus à la vie. Indemniser, c’est tout de même reconnaître des torts ; et il est du devoir de l’Etat, de chercher à les réparer dès lors que la puissance publique s’est trouvée mêlée à la crise.

 

Les audiences publiques ne doivent pas non plus se muer en une vaste comédie où des individus sans vergogne, viendront amuser la galerie

 

Mais, il ne faut pas prêter le flanc : le gouvernement ivoirien ne doit pas laisser tomber la justice. Ces audiences publiques ne doivent pas être assimilées à des séances d’exorcisme, au risque de l’emporter sur la nécessité de rendre justice aux familles endeuillées et meurtries. De sinistres individus ont agi sans scrupules ; ils doivent être traités selon la rigueur de la loi. A leur égard, toute complaisance devrait être bannie durant les assises. La vérité, rien que la vérité, pour confondre les auteurs d’actes abjects que l’on souhaite ne plus revoir à l’oeuvre.

Les violences post-électorales ont tout de même coûté trois mille morts. Aussi faut-il éviter de s’enliser dans la recherche d’un hypothétique modèle ivoirien, que d’aucuns se dépêcheraient d’exploiter à des fins d’opérations marketing. Les audiences publiques ne doivent pas non plus se muer en une vaste comédie où des individus sans vergogne, viendront amuser la galerie. Après tout, il est question de vies humaines.

Des reproches, il n’en manquera pas à l’occasion de ce grand rendez-vous d’Abidjan. Par exemple, les audiences seront filmées, mais pas par des journalistes. La CDVR dispose de sa propre équipe technique, laquelle remettra tous les jours un montage vidéo que la télévision nationale se chargera de diffuser. La décision des autorités gouvernementales ivoiriennes, est discutable. Ne pas assurer la diffusion intégrale des audiences, ne nous semble pas convenable. En raison même du fait que ces assises ont un aspect pédagogique très important.

 

Longtemps, en tout cas, des gens porteront dans leur conscience, la lourde responsabilité d’avoir orchestré, magnifié et célébré la mort de milliers de leurs semblables.

 

Par ailleurs, peu de gens sont admis dans la salle consacrée aux travaux : elle ne dispose que de 80 places. En outre, certains déplorent un manque de transparence au niveau du processus. Lors de l’audience, la victime doit répondre aux questions du commissaire, citer les bourreaux, si elle les connaît. Si le bourreau se trouve sur place, l’on entreprendra une rencontre et une tentative de conciliation. Certains des commissaires des commissions locales -37 au total- se plaignent de la concentration des assises  en un seul lieu : Abidjan. Ils estiment important pour les victimes, de pouvoir s’exprimer face à des gens de leur région, victimes comme bourreaux. Qu’adviendra-t-il de la réconciliation nationale,  au sortir de ces audiences publiques ? La réconciliation est un processus de longue haleine. Elle se négocie au quotidien. Mais, il faut prendre un bon départ, afin qu’elle devienne réalité.  Sans conteste, en Côte d’Ivoire, du chemin a été fait pour se retrouver. Depuis quelque temps, le vivre-ensemble se art de manière concrète. Accorder aux uns et aux autres la parole, aide beaucoup à se libérer. D’autres devront répondre de leurs actes.  La fin justifie la démarche des autorités ivoiriennes. Ceux qui évoquent « une justice des vainqueurs », devront se rappeler constamment que c’est suite à leur oppression sans limites, que certains citoyens ivoiriens ont dû recourir aux moyens du bord, puis aux armes, pour assurer leur autodéfense, et la sécurité de leurs familles. C’est d’ailleurs pourquoi il y a nécessité d’aller en profondeur dans l’analyse et l’appréciation des éléments que ces audiences vont véhiculer. Longtemps, en tout cas, des gens porteront dans leur conscience, la lourde responsabilité d’avoir orchestré, magnifié et célébré la mort de milliers de leurs semblables.

 

« Le Pays »

 


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