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AUTO-PROCLAMATION DE CELLOU DALEIN DIALLO


Moins de vingt-quatre heures après la fermeture des bureaux de vote, l’opposant guinéen, Cellou Dalein Diallo, a revendiqué la victoire à la présidentielle, fauchant ainsi l’herbe sous les pieds du président sortant, Alpha Condé. Cette auto-proclamation qui intervient en pleine compilation des résultats, fait craindre le pire dans un pays où la violence a pignon sur rue. Pouvait-il d’ailleurs en être autrement quand on sait que le délai d’une semaine donné par les autorités guinéennes pour rendre publics les résultats, n’était pas raisonnable et ne pouvait d’ailleurs qu’en rajouter au climat de méfiance et de suspicions qui prévaut à Conakry ? Pour un scrutin qui s’est tenu dans un climat de fortes tensions pour les raisons que l’on sait, et dont l’enjeu principal reste, quoi qu’on dise, la question de l’alternance que cherche à piéger le président sortant, une telle attente peut être un véritable supplice pour les électeurs qui n’attendent rien d’autre que la victoire de leur candidat. Dans le cas d’espèce, sur les douze candidats en lice, tout porte à croire que les choses vont se jouer entre le président Alpha Condé et son principal challenger, Cellou Dalein Diallo, qui ont beaucoup plus qu’un simple contentieux électoral à régler, en raison de la rivalité entre les deux hommes. Surtout depuis que le premier a accédé, en 2010, à la magistrature suprême dans les conditions que l’on sait, et se retrouve, dix ans plus tard, à jouer les prolongations après avoir épuisé ses deux mandats constitutionnels.

Condé joue gros dans ce scrutin où il a dû faire face à de nombreux obstacles

C’est pourquoi, à l’heure où la tendance globale sur le continent, est à la réduction des délais de proclamation des résultats sous 72 heures à défaut de faire mieux, le délai d’une semaine paraît une bien piètre performance pour la Guinée. Pire, cela est caractéristique d’un « pays de merde », pour reprendre l’expression de l’iconoclaste président américain, Donald Trump, parlant des pays africains. Et Alpha Condé ne devrait pas en être particulièrement fier. Car, c’est une situation qui est, quelque part, la traduction de son refus d’avancer sur le terrain des nouvelles technologies de l’information et de la communication qui ont pourtant permis de relever le défi de la proclamation accélérée des résultats dans bien des pays du continent, comme au Burkina Faso, en 2015. Aussi, si certains pays l’ont réussi, pourquoi pas la Guinée ? A moins que tout cela ne cache finalement une volonté de se laisser une marge de manœuvre pour tourner résolument le dos à la transparence dans la compilation des résultats, ouvrant la voie à tous les possibles y compris celui de la fraude, dans un pays où la fin, pour bien des hommes politiques, semble largement justifier les moyens. A commencer par le président Alpha Condé qui joue gros dans ce scrutin où il a dû faire face à de nombreux obstacles pour une candidature qui continue d’être contestée par nombre de ses compatriotes. A ce propos, on se demande toujours si le chef de l’Etat guinéen saura faire montre de grandeur en acceptant les résultats de l’élection, si ceux-ci venaient à lui être défavorables. La question mérite d’autant plus d’être posée que le Professeur semble plus dans la logique du « on gagne ou on gagne » que dans celle d’un véritable Homme d’Etat prêt à accepter une éventuelle défaite, à l’instar d’un Abdou Diouf dont on ne cesse de louer la grandeur d’esprit, qui était resté digne et n’avait rien entrepris pour forcer en son temps son destin à la tête du Sénégal.

Ce temps d’attente des résultats, ne joue pas forcément en faveur de la paix en Guinée

Malheureusement, tous les signaux semblent indiquer qu’Alpha Condé n’a pas fait une telle débauche d’énergie et de moyens, au propre comme au figuré, pour se laisser facilement ravir son « trône », au détour d’une élection qu’il s’est largement donné les moyens de remporter sans coup férir.  Cela dit, cette période de compilation des résultats est un moment crucial du processus électoral. Elle l’est d’autant plus que de sa transparence et de sa fiabilité, dépendra l’acceptation des résultats par toutes les parties. Mais quand on signale des incidents comme l’absence de procès-verbal dans certains bureaux de vote ou que « par endroits, certains délégués de partis politiques ou de candidats ont été empêchés d’accéder aux bureaux de vote », on se demande où est-ce que cela va conduire la Guinée. D’autant que l’accessibilité aux fameux procès-verbaux, seuls documents autorisés pour la comptabilisation des résultats, semble faire l’objet de restrictions. Comment vouloir que seuls les résultats de la CENI puissent faire foi si les conditions de transparence dans la compilation des résultats, ne sont pas réunies pour éviter toute contestation ? Sachant qu’avant même le début de l’opération de compilation des résultats, des tentatives de bourrage d’urnes ont été dénoncées par endroits par l’opposition dont des responsables locaux ou représentants dans des bureaux de vote, ont aussi fait l’objet d’expulsions voire d’arrestations. De son côté, le parti au pouvoir, le RPG arc-en-ciel du président Condé, dénonce le refoulement de certains de ses délégués qui se seraient vu empêchés d’accès à des bureaux de vote dans certaines parties du pays. L’un dans l’autre, ces récriminations de part et d’autre, peuvent être lues comme autant de signes de méfiance, annonciateurs d’une situation potentiellement explosive. On peut d’autant plus craindre des contestations que l’opposition ne semble pas dans la logique du respect de la mesure d’interdiction gouvernementale de publication des résultats par un organe autre que la CENI. C’est dire si ce long temps d’attente des résultats, ne joue pas forcément en faveur de la paix en Guinée. Car, non seulement rien ne dit que le délai d’une semaine sera effectivement tenu, mais aussi, plus l’attente sera longue, plus les soupçons de fraudes risquent de polluer davantage l’atmosphère sociopolitique déjà tendue. C’est dire si cette période d’après-vote peut, à bien des égards, être celle du calme avant la tempête si d’ici-là, les autorités guinéennes ne donnent pas de véritables gages de transparence dans la compilation des résultats. C’est pourquoi l’on est amené à se demander si après une élection globalement apaisée, la Guinée saura à présent conjurer le mauvais sort de la contestation des résultats, qui ouvre bien souvent la voie aux violences post-électorales. On attend de voir.

« Le Pays »


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