HomeA la uneBASSOLMA BAZIE, SG DE LA CGT-B A PROPOS DE L’ECHEC DU DIALOGUE SOCIAL

BASSOLMA BAZIE, SG DE LA CGT-B A PROPOS DE L’ECHEC DU DIALOGUE SOCIAL


 Le gouvernement et les organisations syndicales du Burkina Faso s’étaient donné rendez-vous du 21 au 26 mai   2019 pour un dialogue social. Malheureusement, cette rencontre, qui n’avait pas eu lieu  en 2017 et 2018, a tourné court puisque les organisations syndicales ont quitté la table des négociations. La raison avancée est la non- satisfaction de leur préalable sur   la question relative à l’Impôt unique sur les traitements et salaires (IUTS) prélevé sur les primes et indemnités servies aux travailleurs du privé et des établissements publics et parapublics de l’Etat.  Pour les syndicats, le gouvernement prend des engagements qu’il refuse de respecter. Mais avant cet incident, plusieurs mots d’ordre de grève ont été lancés par des organisations syndicales. Pour en savoir davantage, nous avons posé 5 questions au Secrétaire général du Collectif CGT-B, Bassolma Bazié.

 

« Le Pays » : Les syndicats ont claqué la porte du dialogue qu’ils devraient avoir avec le gouvernement. Pouvez-vous revenir sur les raisons qui ont conduit les syndicats à quitter la table ?

 

Basolma Bazié : En 1974, le mouvement syndical a répondu favorablement en sacrifice à l’appel des gouvernants d’antan à la mise en œuvre de l’Impôt unique sur les traitements et salaires (IUTS) pour un an (1974), en vue de faire face aux difficultés budgétaires ayant conduit au soulèvement du 3 janvier 1966. En 1975, les mêmes autorités, avec l’ex-ministre de l’Economie, Feu le Général Marc Tiemoko Garango en tête, ont sollicité un renouvellement pour un an de plus (1975). Par malice politique, cela s’est poursuivi jusqu’aujourd’hui. Mais je précise que ce n’est pas cela qui est remis en cause aujourd’hui. En effet, les dirigeants, en plus de l’impact de l’IUTS sur le salaire, l’ont élargi sur les primes et indemnités des agents du privé et du parapublic, à l’insu du mouvement syndical. Donc, dans le cahier de doléances de 2014, nous avons, dans le cadre du pouvoir d’achat des travailleurs, inscrit, entre autres, les points suivants : l’annulation de la TVA sur les prêts bancaires (car elle est payée doublement, en prêt en achats des articles sur le marché) ; l’augmentation des salaires de 25% de tous les travailleurs du Burkina Faso, privé comme public (car les études indiquaient que le pouvoir d’achat a été érodé de plus de 90% depuis la dévaluation du F CFA en janvier 1994) ; de réduire les prix des denrées de première nécessité, les prix des loyers, les frais de scolarité dans les écoles privées, etc. ; l’annulation de l’IUTS sur les primes et indemnités dans le privé et le parapublic. A la rencontre Gouvernement/ syndicats tenue du 1er au 11 septembre 2015, les autorités se sont engagées plutôt à analyser le point sur l’IUTS au vue du « contexte budgétaire difficile ». Un comité technique est mis en place. Il a fait les estimations et des propositions aux autorités depuis la Transition et a rencontré l’UAS avec. Nous avons opté, au vu des bonnes conclusions de cette étude, de retenir l’annulation de l’IUTS sur les primes et indemnités. Il restait à transmettre une correspondance à l’Assemblée nationale pour en tenir compte en relisant l’article 57 du Code des Impôts pour se conformer. A notre grande surprise, non seulement l’Assemblée nationale n’a pas été saisie, et pire, le gouvernement actuel, en 2016, relit cet article 57 du Code des Impôts en généralisant la mise en œuvre de l’IUTS sur toutes les primes et indemnités de tous les travailleurs dans notre pays. D’où le préalable qui a bloqué la rencontre Gouvernement/syndicats, le 24 janvier 2017. Le gouvernement, pour lever le préalable, a pris l’engagement de régler cette question d’ici à fin février 2017, conformément à ce qui a été décidé. De cette date de février 2017 jusqu’à la rencontre du 21 janvier 2019, c’est le statu quo sur la question. Malheureusement, le gouvernement, avec le Premier ministre en tête, nous a servi de la désolation. En effet, et entre autres réactions du Gouvernement sur ce préalable, le Premier ministre nous dit que : « si vous ne levez pas le préalable, nous allons suspendre la rencontre et chacun ira boire sa bière ».  Cette attitude est totalement contraire au sérieux qui doit entourer un tel cadre, et est indicatrice du sort qui sera réservé même aux engagements qui découleront de ces échanges. En effet, couler des larmes à l’Hémicycle le lundi 18 février 2019 pendant son discours sur sa « Déclaration de Politique générale » et venir, le 21 mai 2019 (soit 3 mois d’intervalle temporel) nous balancer ces propos est inconcevable, inacceptable et condamnable, malgré tout le respect que lui devons. Donc, il a été préférable, par respect pour nous-mêmes et pour les travailleurs que nous représentons, de partir afin que le Gouvernement aille réfléchir et nous appeler quand il sera prêt. Donc, la balle est plutôt dans le camp du Gouvernement, dans le respect strict bien entendu des valeurs de bonne conduite, ciment essentiel de construction de toute Nation.

Que faut-il faire pour ramener les syndicats à la table des négociations ?

 

Cette question est à poser aux autorités.  Mais de mon point de vue, le mouvement syndical refuse et refusera de jouer au complice dans le saccage des acquis des populations et notamment des travailleurs, de la violation des libertés, de l’intégrité et de la dignité. Ce sont des valeurs acquises à coups de sueur, de larmes et de sang. Donc, dans toute rencontre où les conditions de respect de la parole donnée sont réunies, où le sérieux des acteurs est prouvé, où le patriotisme et l’exemplarité des acteurs constituent une boussole, le mouvement syndical répondra présent.  Dans le cas contraire, nous répondrons de nos turpitudes devant l’histoire.

 

Le mouvement syndical a, manifestement, durci le ton face au gouvernement (suspension du dialogue syndicats-gouvernement, mot d’ordre sans service minimum dans la santé, blocage du système judiciaire…). Quelles en sont les raisons, selon vous ?

 

D’abord, le niveau du ton du mouvement syndical est toujours impérativement proportionnel au niveau de sérieux des dirigeants. Ne pas le faire ainsi, c’est mettre en berne le drapeau syndical dignement et historiquement dressé par nos devanciers depuis les années des indépendances formelles voire avant, en terme de sacrifice dans la défense des valeurs démocratiques, donc de la dignité, de l’intégrité et de la liberté. Ensuite, le mouvement syndical doit se faire respecter. Par conséquent, il doit refuser les rencontres théâtrales, le dialogue de façade, la diplomatie d’inconséquence et de flatterie de l’ego (ah oui, tel acteur est plus docile et conciliant patati et patata). De toutes les façons, quand des politiciens commencent à adouber un acteur social ou syndical, qui a pourtant un rôle de contre-pouvoir, en chantant qu’il est conciliant et docile, le temps finit toujours par démontrer que celui-ci est à 99,99% officiellement et/ou officieusement trahi. Si face à un Premier ministre, Chef du Gouvernement, qui vous dit au cours d’une rencontre sérieuse, que, « si vous ne levez pas votre préalable, je lève la rencontre, et chacun ira boire sa bière », et que vous manquez de courage pour le rappeler à l’ordre, je pense modestement que vous ne méritez pas de représenter les forces laborieuses de notre pays que sont les populations et notamment les travailleurs (euses).  Enfin, je ne pense pas qu’un syndicat refuse un service minimum dont l’organisation n’est même pas de son ressort. Ce que le syndicat exige, ce sont des réquisitions respectant l’esprit et la lettre des textes et conventions internationales en la matière. D’autant que si le syndicat a été soucieux d’adresser un préavis de grève à la plus haute autorité d’un pays qu’est le Chef de l’Etat, c’est que le syndicat souhaite qu’une solution soit trouvée avant le déclenchement de cette grève. Malheureusement, nous sommes dans un pays où les gouvernants optent d’attendre de voir d’abord le niveau de force de frappe des acteurs avant d’agir. Tout en souhaitant beaucoup de courage aux populations qui sont même déjà dans des situations très précaires à tous les niveaux, de mon point de vue, dans un Etat sérieux où des gouvernants ont un minimum de patriotisme, la solution à des préoccupations posées, dans un secteur névralgique comme celui de la santé,  ne saurait être une question de « service minimum ». Il fallait plutôt travailler à ce qu’il n’y ait même pas de grève en apportant des réponses appropriées aux préoccupations légitimes posées. Ne pas le faire ainsi, laisse légitimement croire que les gouvernants eux-mêmes souhaitent qu’il y ait une telle situation douloureuse. Il en est de même pour le cas du système judiciaire où, en réalité, nos gouvernants n’ont jamais voulu d’une Justice véritable au service du développement et des masses laborieuses. Sinon, il n’y aurait pas eu toutes ces tentatives de destruction de l’insurrection populaire d’octobre 2014 et de la résistance victorieuse au putsch du 16 septembre 2015. Une décision de Justice a été rendue en faveur des camarades du Syndicat national de la Garde de sécurité pénitentiaire (SYNGSP). Mais jusqu’à ce jour, on ne comprend pas ce qui explique la non-mise en œuvre d’une telle décision de justice. Dans un Etat véritablement de droit, l’ego doit-il surplomber une décision d’Institution ? Donc, le climat social délétère doit probablement être politiquement voulu ! Il appartient aux populations laborieuses de comprendre que les luttes menées à tous les niveaux (Agents de la police, de la Santé, de l’Education, des Postes et Télécommunications, des Paysans, de l’Environnement etc.) sont les leurs et elles doivent se montrer solidaires pour la sauvegarde, la protection et la promotion des libertés démocratiques, de la dignité et de l’intégrité.

Avez-vous le sentiment que le gouvernement cache de l’argent quelque part qu’il ne voudrait pas partager avec les travailleurs ?

 

Le refus de la Conférence nationale sur les ressources nationales, la légèreté dans la punition et la récupération des biens détournés de l’Etat, la promotion davantage de délinquants à col blanc à des postes plus juteux par le biais de la politisation à outrance de l’Administration publique, la culture de la médiocrité par la décoration de tout type de personnages peu recommandables, la violation du décret de décembre 2008 fixant les émoluments des ministres, les wagons de charbons aurifères dans la nature, l’application fantaisiste du Code minier en occultant le respect des clauses sur  les communautés minières, l’augmentation vertigineuse des caisses noires et du budget de l’Assemblée nationale qui, jusque-là, sont hors contrôle de l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE/LC), la tenue fantaisiste des conseils de discipline afin de protéger des poulains politiques, et la non-mise en œuvre de la loi sur le délit d’apparence et de lutte contre la corruption, sont des preuves suffisantes d’un manque de gouvernance vertueuse.

Selon vous, comment le Burkina Faso peut-il sortir de ce cycle de revendications et de grèves qui, il faut le dire, contribuent à paralyser notre pays déjà exsangue ?

 

Le climat socio-politique que nous vivons aujourd’hui a peut-être été voulu et cultivé par les dirigeants, pour des desseins inavoués. Et cela se vérifie sur plusieurs faits :

Primo, presque tous les mouvements constatés sont dus à une non-mise en œuvre de protocoles d’accords signés par les dirigeants, et des fois, en présence de plus hautes autorités de toutes les sphères sociales (religieux, coutumiers…). Or, ce qui caractérise notre éducation en tant que Burkinabè, est le respect de la parole donnée (pilier d’honneur de tout homme intègre) :

Secundo, si l’énergie déversée par les dirigeants actuels était utilisée dans la recherche véritable de solutions aux préoccupations sociales et non à des tentatives de division et d’opposition des couches socio-professionnelles, on serait loin de cette situation à tous les niveaux. Pour preuve, l’ex-ministre de la Fonction publique, Clément P. Sawadogo, a dit que la prochaine insurrection allait opposer les travailleurs aux paysans. Des intellectuels de service ont été mis à contribution sur des bases fallacieuses et mensongères pour distiller des positions avilissantes du genre « les fonctionnaires s’accaparent de plus de 50% du budget de l’Etat ». Certains sont de nos jours en train de dire que c’est 90%.

Tertio, le refus des propositions du Collectif syndical CGT-B de convoquer une Conférence nationale sur les ressources de l’Etat, la dissolution des institutions pléthoriques et budgétivores, la punition de tous les crimes économiques avérés et la récupération des biens de l’Etat pillés (et malheureusement cela se poursuit : cas des wagons de charbons aurifères), l’arrêt du bradage du patrimoine national (cas de la concession scandaleuse des rails au groupe Bolloré), le fichier unique sur le foncier dans notre pays en vue d’assainir les lotissements et la récupération des terres expropriées aux paysans.

Quarto, la conquête de notre véritable indépendance politique, économique, sociale et militaire. Nous nous indignons d’assister au contraire à des aberrations du genre :

  • « les Chinois ont dit que…. » ;
  • «le pillage des ressources minières avec un Code minier taillé sur mesure » ;
  • « le Code du travail esclavagiste dont la relecture est bloquée par cynisme » ;
  • « le développement « d’ego démesuré » pour bloquer l’appareil judiciaire » ;
  • « la signature d’accords militaires transformant notre pays en un territoire de non droit pour l’installation de bases militaires étrangères, traversant le pays du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest sans avoir de compte à rendre à qui que ce soit » ;
  • « des intellectuels, politiciens et acteurs de la société civile dont la parole est fonction de la masse des espèces sonnantes et trébuchantes » ;
  • « une Assemblée nationale qui ne contrôle que la superficialité, sans elle-même être contrôlée » ;

Quel niveau de dignité, d’intégrité et de liberté allons-nous léguer aux générations futures dans un pays qui nous a été légué par nos devanciers ?

 

Que répondez-vous à ceux qui disent qu’en réalité, les revendications syndicales tous azimuts ont des mobiles politiques ?

 

Avec tout le respect que je me dois et en supposant que ceux-ci ont un minimum de culture politique sur le parcours historique de notre pays, je me permets ces questions à leur endroit :

Primo, que disent ces mêmes sur la grève historique des 17 et 18 décembre 1975 pour protéger le système de multipartisme dans notre pays en empêchant feu le général Sangoulé Lamizana de mettre en place un parti unique appelé le « Mouvement pour le renouveau national (MNR) » ?

Secundo, que disent ces mêmes sur la grève générale jusqu’à nouvel ordre du 16 septembre 2015, en contribution à la résistance victorieuse contre le putsch pour défendre les valeurs démocratiques, et qui a permis l’organisation d’élections dites démocratiques avec l’arrivée du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) au pouvoir ?

Tertio, ne sont-ce pas les mêmes qui, pour des raisons inavouées et/ou par myopie, et/ou par naïveté, et/ou par discernement, dénigrent le mouvement syndical en l’accusant de n’avoir pas pris suffisamment part à l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 qui a été hautement politique ?

Je rappelle, ici, que le mouvement syndical joue un rôle de contre-pouvoir (qui est différent d’un rôle contre le pouvoir), qui consiste à assurer une veille citoyenne en contrôlant l’action politique, critiquer, éveiller les consciences, revendiquer et résister en cas de dérives. L’une de ses différences essentielles est qu’il n’a pas un rôle de conquête et de gestion du pouvoir d’Etat.

Propos recueillis par Issa SIGUIRE

 

 


No Comments

Leave A Comment