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Béchir, la CPI et la RDC


L’œuf sait où danser !

Quatre-vingt-dix associations de défense des droits de l’Homme ont lancé, le mardi 25 février dernier, un appel au gouvernement congolais pour que celui-ci respecte ses engagements vis-à-vis du traité de Rome, en mettant à la disposition de la CPI, Omar El-Béchir. Rappelons que le président soudanais contre lequel la CPI a déjà émis deux mandats d’arrêt internationaux pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, est à Kinshasa pour un sommet du Marché commun de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique centrale.

Depuis que l’épée de Damoclès de la Justice internationale plane sur la tête de l’homme fort de Khartoum, celui-ci sait où mettre les pieds

Comme il fallait s’y attendre, le gouvernement congolais, par la voix de son porte-parole, Lambert Mendé, a opposé une fin de non- recevoir à cette demande des mouvements des droits humains, malgré la ratification par le Congo du traité de Rome. Le ministre congolais a justifié le refus de son gouvernement de livrer Béchir à la CPI en invoquant les consignes de l’Union africaine (UA) en vertu desquelles les présidents en exercice ne peuvent être livrés à la CPI. Cette attitude de l’UA, qui est relayée par la RDC, peut recevoir le décryptage suivant.

D’abord, les conditions calamiteuses et anti-démocratiques dans lesquelles Joseph Kabila a usurpé le pouvoir en RDC, font de lui un allié naturel de Omar El-Béchir. Ce dernier sait qu’il n’a rien à craindre de Joseph Kabila qui, en plus d’être un imposteur, compte également dans ses placards plusieurs cadavres qui pourraient faire de lui un client sérieux de la CPI. En effet, depuis que l’épée de Damoclès de la Justice internationale plane sur la tête de l’homme fort de Khartoum, celui-ci sait où mettre les pieds. Il n’ose pas par exemple s’aventurer dans les pays de droits caractérisés par une implantation réelle de la démocratie et où la société civile représente véritablement un contre-pouvoir. Par contre, Omar El-Béchir peut se permettre un pied de nez à la CPI dans certaines capitales africaines où les questions de droits humains et de justice comptent pour moins que du beurre. Joseph Kabila et Omar El-Béchir peuvent donc s’assembler, puisque sur les questions des droits humains, ils se ressemblent.

L’on pourrait ensuite dire que l’attitude de l’UA vis-à-vis de la CPI, illustre parfaitement une des incongruités de bien des Etats africains. En effet, les Etats africains, par snobisme ou pour donner l’impression qu’ils sont soucieux de la défense des grandes valeurs partagées par l’Occident, sont prompts à ratifier les traités internationaux, tout en sachant que dans la pratique, ils vont les considérer comme des torchons qui ne les lient aucunement.

La décision de l’UA, de ne pas livrer les présidents en exercice à la CPI, constitue un danger pour l’alternance et la démocratie

Cette attitude de l’UA, reprise en chœur par certains chefs d‘Etat, au demeurant, n’est pas surprenante. En effet, ces chefs d’Etat qui n’ont cure des traités internationaux qu’ils ont librement ratifiés, comme celui de Rome, ont le même comportement vis-à-vis des Constitutions de leur pays. Ils excellent dans le tripatouillage même des lois fondamentales de leurs pays respectifs. N’allez donc pas dire à cette catégorie de présidents, de respecter des traités internationaux qui les lient pendant qu’ils bafouent, parfois dans l’indifférence totale des pays Occidentaux, leurs propres textes fondamentaux. A ce propos, les Occidentaux qui ne manquent pas de pousser des cris d’orfraie, à chaque fois que des chefs d’Etat africains épinglés par la CPI la narguent, auraient mieux rendu service aux populations africaines en faisant de la prévention. Cette intervention en amont leur aurait permis de dissuader certains chefs d’Etat, au moment où ceux-ci sont en train de réunir les ingrédients pour embraser leur pays. Une telle démarche préventive aurait évité à l’Afrique bien des drames. Si l’on prend le cas de la Centrafrique, les signes avant-coureurs du pogrom actuel pouvaient se percevoir dans la gouvernance de François Bozizé. L’Occident et en particulier la France a préféré fermer les yeux sur les dérives dictatoriales du général Bozizé pour les rouvrir au moment où elle ne peut faire autrement que d’accourir en sapeur- pompier.

Enfin, la décision de l’UA, de ne pas livrer les présidents en exercice à la CPI, constitue un danger pour l’alternance et la démocratie. Les dictateurs et autres autocrates ont désormais l’antidote de la CPI. Il leur suffit de mettre en application ce syllogisme. Tant que je suis au pouvoir, je peux massacrer mon peuple puisque je ne peux pas être inquiété par la Justice internationale. Je fais tout par conséquent pour ne jamais quitter le pouvoir. Avant d’être une astuce de dictateurs, c’est avant tout une question d’instinct de conservation.

Pousdem Pickou


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