HomeA la uneMe BENEWENDE SANKARA à propos de l’autorisation de l’identification des restes de Thomas Sankara:« Pour moi, c’est une grande victoire à laquelle je ne m’attendais pas »

Me BENEWENDE SANKARA à propos de l’autorisation de l’identification des restes de Thomas Sankara:« Pour moi, c’est une grande victoire à laquelle je ne m’attendais pas »


L’affaire Thomas Sankara refait surface. En effet, dans son allocution lors de la cérémonie de passation de charges, le président du Faso, chef de l’Etat,  Michel Kafando, a autorisé les investigations pour identifier le corps du président Sankara, assassiné le 15 octobre 1987. Un soulagement pour la famille Sankara et pour leur avocat, Me Bénéwendé Sankara qui, sous le régime de Blaise Compaoré, avait en vain demandé cette autorisation. Dans cette interview que Me Bénéwendé Sankara nous a accordée, il livre son sentiment sur la déclaration du président Michel Kafando, particulièrement sur celle relative à l’affaire Thomas Sankara. Lisez plutôt !

Comment avez-vous apprécié le discours du président de la transition, Michel Kafando, lors de la passation de charges entre lui et le lieutenant-colonel Isaac Yacouba Zida ?

De mon point de vue, c’est un discours de rupture avec l’ordre ancien. C’est un discours qui augure d’une ère nouvelle, avec une vision tournée vers la lutte contre l’impunité, la corruption, la gabegie ; c’est-à-dire ramener l’autorité de l’Etat, mais aussi amener une gouvernance qui va aller dans le sens des attentes de nos populations. C’est aussi un discours qui colle et qui a pour référentiel la Révolution d’août 1983. Il l’a cité, il a employé le mot « révolution » à plusieurs reprises, ce qui signifie que c’est un discours qui renvoie à l’image du président Thomas Sankara, qui renvoie à l’idéal défendu par ce dernier. Ce discours colle également avec les valeurs consignées dans la charte de la transition et je pense qu’en tant que chef de l’Etat, garant de l’ensemble des valeurs de la Constitution et de la charte de la transition, il a été à la hauteur. Ce d’autant que dans son discours, il a annoncé des mesures très fortes pour les martyrs des 30 et 31 octobre, en érigeant le monument jadis dédié aux héros nationaux en panthéon des martyrs de la révolution. Il a aussi décidé de faire une enquête sérieuse sur l’assassinat du président Thomas Sankara, en annonçant déjà des mesures d’expertise de sa tombe. C’est un discours, de mon point de vue, qui a été suffisamment applaudi par tous les Burkinabè, et nous pensons qu’il reste à coller le discours à la réalité. C’est ça aussi les hommes politiques. Il ne s’agit pas de faire un discours que tout le monde va applaudir pour après dire, « vous savez, j’avais dit ça, mais… ». Je crois que le président Kafando doit se sentir dans l’âme d’un révolutionnaire qui fait ce qu’il dit et qui dit ce qu’il fait.

Pour ceux qui ont suivi la cérémonie de passation de charges, vous avez jubilé lorsque le président Kafando a autorisé l’expertise de la tombe de Thomas Sankara. Considérez-vous cette annonce comme une victoire pour l’avocat de la famille Sankara que vous êtes ?

Pour moi, c’est une grande victoire à laquelle je ne m’attendais pas du tout, au cours de cette cérémonie. Je sais que le président Kafando avait envoyé une invitation spéciale à la veuve du président Sankara, mais vu le calendrier très court, Mme Sankara ne pouvait pas être là. Elle a donc envoyé une lettre aux nouvelles autorités. Mais pour une surprise, c’en est une. Pour moi, c’était une émotion et je n’étais pas le seul. Toute l’assistance a ovationné le président Kafando lorsqu’il a, d’une voix sereine, annoncé qu’au nom de l’autorité de l’Etat, il prenait ses responsabilités d’ordonner l’expertise de la tombe. J’avoue que je n’ai pas dormi après la cérémonie ; je recevais des messages de gens qui témoignaient que devant leur petit écran, ils ont dû écraser des larmes, tellement l’émotion était forte.

Quand on parlait de l’affaire Sankara, à la limite, des magistrats se moquaient de nous

Cela fait 27 ans que le peuple burkinabè cherche la vérité et la justice pour le président Sankara. Nous avons fait le tour de toutes les juridictions. Au Burkina, quand on parlait de l’affaire Sankara, à la limite, des magistrats se moquaient de nous ! Qu’au plus haut sommet, un chef d’Etat décide un jour de mettre fin à l’impunité en disant que les deniers publics de l’Etat ne seront plus dilapidés impunément, c’est normal d’être vraiment aux anges. Comme je l’ai dit tout à l’heure, c’est une mesure ordonnée ; nous allons certainement suivre l’évolution des choses.

Quelle a été la réaction de la famille du président Sankara après cette annonce ?

Après le discours du chef de l’Etat, j’ai eu la veuve du président Sankara au téléphone. Elle est vraiment sous le coup de l’émotion, plus que soulagée que le bout de tunnel soit en train de se dessiner dans la recherche de la vérité sur l’assassinat de son époux. J’ai également suivi le frère du président Sankara qui s’exprimait dans les médias, pour apprécier très positivement cette mesure. J’ai par ailleurs reçu des messages venant du village du président Sankara. Des gens de ce village m’ont appelé tard dans la nuit, pour signifier à quel point ils étaient contents et fiers de cette décision. J’ai aussi échangé avec les oncles directs du président Sankara qui, aujourd’hui, saluent cette décision . La famille du président Sankara est en train de se concerter, mais il est encore tôt pour vous donner tous les détails. Car il ne s’agit que d’un discours. Il reste la mise en œuvre et nous allons attendre qu’on indique les mesures idoines qui conviennent. Il ne faut pas perdre de vue que la famille attend depuis 27 ans de pouvoir faire le deuil de Thomas Sankara, ne serait-ce que pour la dignité humaine. En Afrique, les morts sont sacrés et quand vous perdez quelqu’un, il faut faire des rites, il faut faire ses funérailles. Vous comprenez donc que la famille Sankara est attachée à cette expertise, pour enfin s’assurer qu’on pourra ensevelir le président Sankara dans la dignité et lui rendre tout l’hommage qu’il mérite. C’est important.

Je veux bien qu’on certifie sa tombe, mais qu’on aille au-delà pour magnifier l’homme. Si on a pu élever le monument aux héros en Panthéon des martyrs de la Révolution des 30 et 31 octobre, je pense que, conformément à ce que le Collège des sages avait dit en 1999, à savoir qu’un mausolée soit érigé en la mémoire du président Sankara, les autorités de la transition ne poseront pas des actes en deçà de ce que ce Collège avait décidé.

Lorsqu’on parle d’identification des restes, comment cela se réalise concrètement ?

Cela se fait par voie d’expertise. Concrètement, la procédure qu’on avait initiée pour demander à l’Etat, sous Blaise Compaoré, de procéder à l’identification des restes du président Sankara était simple. Des gens ont été massacrés un 15 octobre 1987, enterrés à la sauvette nuitamment. C’est sur des « on-dit » que le commun des mortels a indiqué que telle tombe était celle de Thomas Sankara, telle autre était celle de Fréderic Kiemdé, etc. Il semble aujourd’hui, avec un certain nombre de témoignages, que ce sont des détenus de la MACO, aidés de quelques militaires qui les ont enterrés. Vous vous imaginez ! La famille Sankara n’a pas assisté à l’enterrement de Thomas Sankara. Il a été enterré à la sauvette.

Aujourd’hui, du point de vue scientifique, sur la base de test ADN qui, du reste, ont déjà été réalisés sur les enfants du président Sankara, on peut ouvrir la tombe pour attester ou non qu’il s’agit de la sépulture du président Sankara. Rien n’empêchait Blaise Compaoré, s’il était mu par la volonté de laisser la Justice faire son travail, d’offrir ce minimum à la famille Sankara. Mais il a même résisté à une décision de justice rendue depuis 2006 par le Comité des droits de l’Homme de l’ONU. Je voudrais d’ailleurs profiter de l’occasion pour dire qu’il n’y a pas une immixtion du chef de l’Etat dans le système judiciaire, contrairement à ce que les gens pensent. Les constatations du Comité des droits de l’Homme avaient décidé en 2006 que l’Etat du Burkina est tenu d’assurer un recours utile et effectif à Mme Sankara et ses fils. Ce recours consistait notamment en une reconnaissance officielle du lieu de sépulture de Thomas Sankara et une indemnisation des angoisses subies par la famille Sankara.

Thomas Sankara a été enterré à la sauvette

Le Comité des droits de l’Homme de l’ONU donnait à l’Etat du Burkina un délai de 90 jours pour fournir les informations sur les mesures qu’il aura prises pour donner suite au recours de Mariam Sankara. Cela fait 8 ans maintenant ! Blaise Compaoré a préféré prendre des avocats pour refuser d’appliquer cette décision. A un moment donné, nous avons introduit une simple demande pour l’expertise. Nous n’avons pas eu de suite. On était donc obligé d’assigner l’Etat en justice, parce qu’il refusait d’appliquer une décision de justice pour qu’on puisse faire l’expertise. Si aujourd’hui, le même Etat, parce que le régime a changé, est pour qu’on procède à l’identification, notre joie est légitime et fondée.

Je profite de vos colonnes pour clarifier les choses, parce certains se demandent si avec la séparation des pouvoirs, il n’y a pas d’intrusion. De façon limpide, il n’y a aucune intrusion de l’Exécutif dans le Judiciaire, du fait de cette décision. On aurait pu le faire sans même qu’il y ait eu la moindre démarche de la famille. Si le Burkina Faso de Blaise Compaoré était effectivement attaché à la Justice, à la recherche de la vérité dans l’affaire Sankara, c’était à l’Etat de procéder.

Si aujourd’hui, le chef de l’Etat a pris une telle décision, il faut saluer son esprit de justice, de respecter et de faire respecter la dignité humaine. Et je pense que cela ne va pas s’arrêter seulement à Thomas Sankara et à ses compagnons. Il y a tellement eu de macchabées sous l’ancien président Blaise Compaoré, des crimes non élucidés qui sont dans les placards de la Justice que pour moi, cette décision doit être un exemple et ouvrir la voie dans la lutte contre l’impunité. Mais je ne parle pas de la justice des vainqueurs. Il faut travailler à ce que nous ayons un système judiciaire libre, indépendant, des magistrats intègres qui disent le droit et rien que le droit, dans l’intérêt du peuple.

A la lumière des derniers évènements, peut-on espérer connaître rapidement la vérité sur l’assassinant du président Sankara ?

Pourquoi pas ! Il suffit simplement qu’une enquête sérieuse soit ouverte. On peut reconstituer les faits. Il y a des acteurs qui vivent. On peut les interpeller, on peut faire une information judiciaire où la présomption d’innocence est garantie. On peut aboutir à la justice. On peut avoir la vérité.  On a l’habitude de dire qu’aussi longue que soit la nuit, le jour viendra ! Et le jour commence à se lever !

Propos recueillis et retranscrits par Thierry Sami SOU


Comments
  • Merci Me SANKARA. Nous voulons maintenant la fusion de tous les parties sankaristes, de tous les parties de l’e ADJ. Il faut barrer la route au CDP (MPP). Le meilleur hommage à Sankara c’est la fusion des partie de ADJ et leur victoire en 2015 (la présidence et/ou l’assemblée). Dommage que le vieux Arba ne soit pas parmi nous aujourd’hui, mais son esprit est avec nous..

    24 novembre 2014
    • Le combat est ailleurs et continue. Restons sur nos gardes. Je pense que ce qu’il ne faut surtout pas perdre de vue, c’est le fait que Zida et Kaf ont été depuis des décennies de très proches collaborateurs de la “galaxie compaoré”. Le RSP dont est issu Zida n’est autre que l’épine dorsale, la charpente osseuse et surtout la cheville ouvrière de ce régime autocratique et corrompu qui a dirigé notre faso pendant ces longues décennies. Jusqu’à preuve du contraire, je n’ai pas confiance aux loups devenus subitement agneaux que sont Zida et Kaf. J’ai foi en l’homme et en sa capacité de mutation mais ces deux là doivent me prouver que je fais un mauvais jugement sur eux.
      Sinon, comment comprendre que le général Diendéré Gilbert, patron du RSP se pavane avec arrogance toujours à Ouaga après tant de mal commis ? Et le procureur Sagnon ? Est-il si amnésique au point d’oublier son rôle sous le régime cmpaoré et avoir le culot de surgir comme ministre ? Qui l’a invité ? Zida ?
      Le double jeu de Zida s’étale au grand jour. Restons sur nos garde. Qu’il dégage de notre vue et le plus vite.

      25 novembre 2014

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