HomeA la uneCANCER CHEZ L’ENFANT « 101 enfants souffrant de cancers, enregistrés dans deux CHU au 1er trimestre de 2018», dixit l’onco-pédiatre Chantal Bouda

CANCER CHEZ L’ENFANT « 101 enfants souffrant de cancers, enregistrés dans deux CHU au 1er trimestre de 2018», dixit l’onco-pédiatre Chantal Bouda


 

Le cancer chez l’enfant est une réalité au Burkina Faso. Malheureusement, cela est méconnu du grand public et de certains agents de santé. Dans cette interview, le médecin onco-pédiatre au Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo (CHU-YO), Gabrielle Chantal Bouda, lève le voile sur cette maladie qui tue les enfants de tout âge.

Votre Santé : Recevez-vous souvent des enfants qui souffrent de cancers ?

Chantal Bouda : Oui, nous recevons de plus en plus des enfants de tous les âges souffrant de cancers. En 2005, quand nous avons commencé la prise en charge structurée dans les services de pédiatrie, nous avons enregistré 12 patients contre 213 cas en 2017 et pour le premier semestre de 2018, nous avons reçu 101 patients dans le Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo (CHU-YO) et le Centre hospitalier universitaire de Tengandogo (CHUT).

Qu’est-ce que le cancer de l’enfant ?

Disons que le cancer résulte de la transformation d’une cellule normale en cellule anormale. Cette cellule anormale perd toutes ses caractéristiques habituelles et devient comme « folle » : elle se multiplie de façon exagérée et donne une colonie de cellules qui envahissent et étouffent le voisinage ; elles ne meurent pas dans les délais et se propagent à distance.
La spécificité chez l’enfant, c’est que les cancers sont moins connus, car relativement moins fréquents. Selon le type de cancers, sont pris en charge en pédiatrie, les enfants et les adolescents jusqu’à la fin de la croissance (18 ans et parfois au-delà). Ces cancers représentent 0,5 à 3% de l’ensemble des cancers soit 10 à 15 nouveaux cas /100 000 enfants de moins de 15 ans, de façon générale. Sur cette base, on peut estimer entre 700 et 1 000 cas de cancers pédiatriques au Burkina Faso.
D’autres spécificités chez l’enfant : il y a moins de variétés (types de cancers) ; la majorité des cancers se développent très rapidement et ils sont très sensibles à la chimiothérapie, contrairement à ceux des adultes. Ils ont donc un meilleur pronostic et doivent être diagnostiqués et traités rapidement.

Quelles sont ses causes ?

Les principaux facteurs de risques de cancers chez l’enfant sont :
– d’ordre constitutionnel : certaines anomalies de développement embryonnaire conduisent au développement de certains cancers et rarement certaines anomalies génétiques,
– l’environnement : exposition précoce et/ ou répétée à certaines infections surtout virales, exposition à certains agents physiques ou chimiques (insecticides ? herbicides ? pesticides ?).
D’une façon générale, c’est la combinaison de plusieurs facteurs qui aboutit au développement d’un cancer et dans la majorité des cas, on ne retrouve pas la cause.

Comment la maladie se manifeste-t-elle chez l’enfant ?

C’est un groupe de maladies. Donc, selon le type de cancers, le siège (allant de la tête aux pieds) et le stade d’évolution, les manifestations varient. La manifestation la plus patente est la tumeur (gonflement d’une partie du corps) qui peut se retrouver sur toutes les parties du corps. Mais le cancer peut se révéler par des signes généraux qui sont communs à beaucoup de maladies (fatigue, amaigrissement, malaise général persistant) et qui peuvent passer inaperçus s’ils ne sont pas associés à d’autres signes qui orientent plus. On peut avoir des anémies à répétition nécessitant des transfusions répétées ou des saignements à répétition ou alors des infections répétées qui peuvent traduire une leucémie (cancer du sang). Certaines manifestations sont caractéristiques de certains types de cancers comme la tache blanche dans l’œil avec un reflet à la lumière (ou l’œil qui se met à loucher) qui traduit un cancer de l’œil chez les nourrissons et les enfants de moins de 5 ans (rétinoblastome). L’apparition d’une tuméfaction sur le visage, une mâchoire, avec des douleurs dentaires et des dents qui bougent (tombent parfois) doit faire redouter un lymphome de Burkitt qui est le cancer le plus fréquent chez nous. Certaines fois, les signes sont extrêmement variés et souvent peu spécifiques comme des douleurs sur une partie du corps (ventre, os et articulations…). D’autres patients sont diagnostiqués suite à une urgence chirurgicale digestive ou à des difficultés respiratoires ou urinaires. Il est donc nécessaire de consulter le plus tôt possible.

Depuis quand avez-vous constaté que le cancer de l’enfant existe au Burkina ?

Le cancer, chez l’enfant, a probablement toujours existé au Burkina Faso. Le diagnostic est de plus en plus fait, parce que les conditions de diagnostic se sont améliorées et il y a une prise en charge qui est proposée. Il y a aussi le fait qu’on assiste à une transition épidémiologique qui fait que les épidémies (méningite, rougeole, paludisme…) font de plus en plus place à des maladies non transmissibles dont les cancers. En l’espace d’une quinzaine d’années, nous avons vu un changement quasi radical sur le type de maladies recensées en pédiatrie.
Enfin, sans en avoir la preuve formelle, nous pensons que notre environnement (certains pesticides ? certains insecticides ? certains herbicides ?) joue un rôle dans l’émergence de certains cancers.

Quelle partie du corps est la plus touchée chez l’enfant atteint par cette maladie ?

Comme vu plus haut, les cancers les plus fréquents chez nous sont :
– – Le lymphome de Burkitt (50%) qui est un cancer du sang et des ganglions. Il peut toucher le visage, le ventre, le thorax ou un membre. Il peut se révéler par une paralysie.
– Le rétinoblastome (15%) qui est un cancer de l’œil chez le jeune enfant et le nourrisson,
– Les leucémies (15%) qui sont des cancers du sang,
– Le néphroblastome (15%) qui est un cancer du rein.

Quelle est la tranche d’âge des enfants souffrant de cette maladie ?

Toutes les tranches d’âge sont concernées et cela est fonction du type de cancer. Le rétinoblastome est parfois diagnostiqué durant le premier mois de vie (et avant 4 ans ) et les lymphomes et d’autres types de cancers sont vus chez les enfants plus grands ( à partir de 5 ans) et les adolescents.

Pourquoi retrouve-t-on le cancer chez l’enfant et à quoi est-il lié ?

Malheureusement, le cancer peut atteindre l’enfant et la plupart du temps, on ne trouve pas de raisons. De ce fait, les parents n’ont pas à se culpabiliser comme c’est le cas souvent ; ce n’est pas eux qui ont transmis la maladie ; ce n’est pas un sort jeté sur l’enfant.

Le cancer de l’enfant est-il connu du grand public ?

Le cancer de l’enfant n’est pas connu du public et un grand nombre d’agents de santé ne le connaît pas non plus, parce que durant la formation, on n’insiste pas assez là-dessus ; mais il va falloir que ça change, car le mal est d’actualité.

Comment se fait la prise en charge du cancer chez l’enfant ?

La prise en charge est faite sur 2 sites : dans le département de pédiatrie du Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo et au Centre hospitalier universitaire pédiatrique Charles De Gaulle. Nous nous sommes répartis les tâches de telle sorte que certains cancers sont pris en charge à Charles De Gaulle et d’autres à Yalgado. Cette prise en charge est possible grâce à un partenariat que nous avons avec le Groupe Franco-Africain d’Oncologie Pédiatrique (GFAOP) dont nous sommes membre. Ce groupe nous offre les anticancéreux, des antibiotiques et des anti- douleurs. Nous espérons que bientôt, l’hôpital de Bobo-Dioulasso pourra également assurer cette prise en charge.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans le domaine ?

La première difficulté réside dans le fait qu’il n’y a pas d’infrastructures adaptées pour la prise en charge. Aussi bien à Yalgado qu’à Charles De Gaulle, nous prenons en charge ces patients dans des ailes plus ou moins aménagées de la pédiatrie. Ce qui est loin d’être adéquat. De plus, les capacités de ces secteurs sont largement dépassées. Par exemple, à Yalgado, pour une capacité initiale de 14 lits, depuis janvier 2018, nous avons en hospitalisation régulièrement 20 à 25 patients et parfois plus. La situation n’est guère meilleure à Charles De Gaulle.
Nous rencontrons encore d’énormes problèmes pour avoir des précisions dans le diagnostic pour certains cancers, parce que le plateau technique est insuffisant.
Le troisième problème est qu’il y a un déficit en personnel formé. Il n’y a que 4 médecins formés pour tout le pays (par le biais du GFAOP) dont un à Bobo-Dioulasso. Les infirmiers (ères) détachés pour l’oncologie pédiatrique (puisqu’il n’y a pas de personnel propre à cela) n’ont pas reçu de formation spécifique à cette prise en charge.
Les conditions ne sont pas réunies pour une préparation sécurisée (aussi bien pour les patients que pour le personnel qui fait la préparation) des chimiothérapies.
Les patients arrivent très tardivement avec des tumeurs très avancées, ce qui réduit considérablement les chances de guérison. De plus, nous enregistrons beaucoup d’abandons de traitement pour des raisons essentiellement financières. Et enfin, il n’y a pas de subvention pour la prise en charge lourde de ces pathologies.

Avez-vous autre chose à ajouter ?

La réalité est là, plus du 1/3 des enfants hospitalisés à Yalgado en dehors de la période d’endémie palustre, souffrent de cancers. La majorité des cancers chez l’enfant que nous avons chez nous, est curable à 80 et 95%, à condition que les patients soient vus précocement, que le diagnostic soit rapide et que le traitement soit disponible et mis en route à temps et dans de bonnes conditions. Nous en appelons à nos autorités afin qu’une attention particulière soit accordée aux cancers de façon générale et à ceux de l’enfant en particulier, à une période où des traitements efficaces existent et l’espoir de guérison du cancer de l’enfant est réel.

Valérie TIANHOUN

 


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