HomeBaromètreCENTENAIRE DE LA REVOLTE DES PEUPLES VOLTAIQUES : Les historiens saluent le devoir de mémoire

CENTENAIRE DE LA REVOLTE DES PEUPLES VOLTAIQUES : Les historiens saluent le devoir de mémoire


1916-2016, voilà cent ans que les peuples de la Haute Volta, notamment les Bwa, ont résisté à la colonisation. L’Association des historiens du Burkina Faso (AHBF), dans cet écrit, relate les faits et donne la portée de l’événement, dont les parlementaires ont décidé de se souvenir à l’occasion de la rentrée de la 2e session parlementaire.

 

Pour la rentrée parlementaire du 28 septembre 2016, l’Assemblée nationale du Burkina Faso a décidé de se souvenir de la grande révolte des peuples voltaïques contre la domination coloniale en 1915-1916. La majeure partie de l’Ouest burkinabè  (région de la Boucle de l’actuel Mouhoun) fut alors secouée par une vaste insurrection populaire communément appelée la révolte des Bwaba. L’Association des historiens du Burkina Faso (AHBF), section nationale de l’Association des historiens africains (AHA), se félicite de cette initiative qui concourt, à n’en point douter, à l’œuvre de construction de la mémoire collective.

Au-delà de la dimension commémorative de cet épisode pluriethnique et transfrontalier en réalité,  les historiens ont aussi le devoir d’en rappeler brièvement les raisons et la portée historique dans la perspective d’une écriture inclusive et apaisée de l’histoire africaine.

 

Quand l’Homme n’est pas d’accord, il dit « non » !

 

La grande révolte de 1915-1916 a une explication à la fois événementielle et structurelle. Elle éclata effectivement le 17 novembre 1915, parce que les Marka du village de Bona situé à 14 kilomètres au sud de Safané, refusèrent le recrutement militaire et décidèrent d’aller en guerre contre l’Administration coloniale. C’est chez les Bwaba que la rébellion va atteindre, à la fin du mois, son pic. Le casus belli provint du zèle d’un garde, Allamasson Diarra, chargé de surveiller les travaux de réfection de l’actuelle route Dédougou/Bobo-Dioulasso. D’après Blami Gnankambary  (1968, p. 65-66), « une femme  à terme, travaillant sur le chantier, sentant des maux de ventre, demanda la permission pour rejoindre le village et y accoucher. Non seulement, le célèbre garde refusa, mais aussi  les coups de fouet et de cravache la renvoyèrent au travail. La pauvre femme donna naissance le jour à un enfant sur la route, et cela même au vu de tout le monde ». C’est alors que les Bwaba, après avoir découpé le garde en plusieurs morceaux, appelèrent au soulèvement de tout le pays contre l’autorité administrative.

Mais, l’analyse de la préparation du mouvement insurrectionnel et de son expansion géographique permet de lui trouver des facteurs bien plus déterminants que de simples exactions passagères  de l’Administration coloniale. A la lecture de l’ouvrage « Crépuscule des temps anciens » de Nazi Boni (1962, p. 219-222), il est clair que l’éducation des enfants nés après l’occupation coloniale, les préparait systématiquement à affronter un jour « Humu-la-mort ». Les événements de 1915-1916 ont été eux-mêmes précédés de quelques mois d’intenses préparations stratégique, militaire et religieuse sur toute l’étendue du territoire concerné, sans oublier par ailleurs, que des révoltes similaires sont intervenues à la même période chez les Touareg et Peulh du Nord du Burkina Faso, les Dioula de Casamance (Sénégal), les Bariba et les Somba du Dahomey.

En somme, la grande révolte de 1915-1916 dans l’Ouest du Burkina Faso aura été, en réalité, l’expression d’une grande crise politique et identitaire. C’est le rejet global de la colonisation et de ses structures administratives centralisées par des communautés villageoises, jadis indépendantes les unes des autres. Autrement dit, l’augmentation des corvées de toutes natures, à commencer par celle du recrutement militaire un an après l’éclatement de la première guerre mondiale, aura été le simple catalyseur et non pas la cause exclusive d’une guerre de libération dont on n’avait pas prévu les répercussions.

 

Beaucoup flanchèrent mais certains résistèrent

 

La grande révolte de la Boucle de la Volta noire a duré près de 10 mois et fut caractérisée par un embrasement général de presque toute la partie occidentale du Burkina Faso actuel. Certes, il est mal aisé de donner le nombre exact des insurgés et des victimes. Retenons simplement qu’en lieu et place de 50 000 tirailleurs que l’on voulait recruter dans la colonie du Haut Sénégal et Niger (capitale Bamako et dont relevaient la majeure partie des peuples voltaïques) pour l’année 1916, c’était au moins autant de personnes qui prenaient la brousse dans la Boucle de la Volta noire, les armes à la main, dès novembre 1915. Au total, le révérend père Jean Hébert (1968, p. 27) estime à plus de 300 000 le nombre de personnes originaires du cercle de Dédougou et d’une partie des cercles de Bobo-Dioulasso et de Ouagadougou ayant suivi le mouvement insurrectionnel.

A partir du moment où cette rébellion essentiellement menée par des Bwaba, des Marka, des Samo, des Bobo et des Gourounsi, venait renforcer l’insoumission chronique des autres peuples du Burkina Faso actuel, elle affaiblissait dangereusement l’autorité de l’administration coloniale en pleine guerre mondiale. On comprend aussi pourquoi le colonisateur n’a pas lésiné sur les moyens de répression.

En effet, placé à la tête de la colonne de Dédougou à compter de février 1916, le colonel Molard, principal artisan de ladite répression, reçut pour mission de détruire systématiquement tous les villages révoltés. Comme l’a si bien noté Jean Carpon (1973, P.101), « cette mission sera scrupuleusement exécutée… les pays bwa et marka sont dévastés, les opérations militaires ont fait plusieurs dizaines de milliers de victimes; la famine a sévi dans des régions entières où les récoltes ont été brûlées et le cheptel abattu. Il n’y a de communauté villageoise qui n’ait payé un lourd tribut à la guerre d’indépendance».

Et comme l’indépendance n’a pas de prix, l’administrateur Vidal, chargé d’enquêter sur les causes de l’insurrection, a pu souligner (rapport du premier novembre 1916), non sans une certaine émotion frisant l’Administration, le fait que « des hommes, en grand nombre des vieillards, des femmes, des enfants, en groupe ou isolément, préféraient se faire tuer ou se laisser enfumer ou griller dans les cases incendiées, plutôt que de se rendre, malgré la promesse de vie sauve qui leur a été faite (…). J’ai vu, poursuivit-il, des femmes, des enfants, s’enterrer vivant dans les caveaux de famille, parmi les ossements; un vieillard se pendant au-dessus du cadavre de son fils pour ne pas tomber entre nos mains ». De ce qui précède, il apparaît que cette répression sanglante et aveugle des insurgées serait qualifiée de nos jours de génocide, ou de crime contre l’humanité.  

Quoi qu’il en soit, le plus important à retenir à la fin de l’insurrection, c’est que l’Administration coloniale avait largement reconnu sa responsabilité et celle de ses auxiliaires africains dans l’avènement de cette situation on ne peut plus dramatique. Dans le cercle de Dédougou comme ailleurs, en tout cas, le recrutement militaire, précédé d’une mission de sensibilisation du député sénégalais Blaise Diagne, en mai 1918, se fit sur la base du volontariat et de la distribution de primes aux volontaires.

 

Bien plus, la création de la Haute Volta, un an plus tard, s’explique en partie par la nécessité de rapprocher l’Administration de l’administré dans l’Ouest du Burkina Faso en particulier. D’après le rapport Delafosse du 26 février 1918 fait à cet effet, en tout cas, il fallait créer cette colonie pour, à la fois, mieux rentabiliser la main-d’œuvre mossi et éviter à jamais une autre insurrection populaire dans l’Ouest du Burkina.

Alors, pourquoi rappeler ces massacres les plus hallucinants à la veille de la naissance de la colonie voltaïque, surtout que l’autorité coloniale elle-même en avait tiré les leçons de façon positive? La réponse à cette question est pourtant simple: en ce début du 21e siècle, la pire des erreurs que puisse commettre un peuple, consiste, pour lui, à sombrer dans une sorte d’amnésie collective. Le Burkina Faso est une nation en construction. A l’occasion de la commémoration du centenaire de la grande insurrection de 1915-1916, tous les patriotes de l’Etat-Nation en construction, le Burkina Faso, doivent méditer sur le message de ses martyrs et héros.

 

Pour l’Association des historiens du Burkina Faso (AHBF)

 

Le Président

Pierre Claver HIEN

 

Tél. : 76 65 28 99

E-mail : [email protected]

 

Source :

BONI, N. 1962, Crépuscule des temps anciens, Paris, Présence africaine

CAPRON J. 1973, Communautés villageoises bwa (Mali- Haute-Volta), Paris, Institut d’ethnologique.

GNANKAMBARY, B. 1968, « Révolte bobo de 1916 dans le cercle de Dédougou » ; Notes et documents voltaïques.

HEBERT, R.P.J., 1968, « Révoltes en Haute Volta de 1914 à 1918 », Notes et documents voltaïques.


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