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CHRISTOPHE BOISBOUVIER, JOURNALISTE A RFI  


Christophe Boisbouvier.  Tous les auditeurs de Radio France Internationale (FRI) savent presque de qui il s’agit. Dans son émission “L’invité Afrique”, cet éminent journaliste fait parler tous les jours, chefs d’Etat, acteurs politiques, économiques et médiatiques du continent africain. Il collabore également à l’hebdomadaire « Jeune Afrique ». Au détour d’un séjour au Burkina Faso, il a rendu visite à votre quotidien, « Le Pays », le 16 octobre dernier. Occasion pour la Rédaction de lui tendre le micro.

 

« Le Pays » : Dans quel cadre séjournez-vous au Burkina Faso ?

 

Christophe Boisbouvier : Je suis venu au Burkina avec mes confrères de France 24 pour une interview du chef de l’Etat. Comme sa parole n’est pas fréquente, c’est un homme politique qui mesure ses propos et qui n’est pas très bavard, nous avons sollicité son interview depuis plusieurs mois. On a eu un feu vert, il y a deux semaines, pour venir au Burkina Faso. Pour nous, évidemment, c’est un bon moment puisque nous sommes à quelques semaines du scrutin du 22 novembre. Donc, on est vraiment content d’avoir pu faire cet entretien dans lequel le président Roch a dit un certain nombre de choses intéressantes.

 

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué durant votre séjour au Burkina ?

 

D’abord l’hospitalité, parce que le Burkina Faso a une tradition d’accueil que j’apprécie depuis mon premier séjour ici en 1990. Cela est sans doute lié aussi à la tradition de votre pays avec ses manifestations culturelles, notamment le SIAO, le FESPACO, la SNC, organisées de façon régulière. Au Burkina Faso, le visiteur est toujours reçu avec beaucoup de respect. Ça, c’est la première chose et la deuxième chose, c’est le vivre-ensemble. J’apprécie beaucoup le vivre-ensemble des Burkinabè même si, aujourd’hui, les évènements (le contexte sécuritaire, ndlr) ont compliqué les choses. Il reste qu’il y a une sorte de tolérance au sein de la société burkinabè, qui est très appréciable.

 

Avez-vous l’impression que quelque chose a changé au Burkina Faso depuis votre premier séjour qui date de 1990 comme vous l’avez dit ?

 

L’atmosphère politique a changé. La liberté a changé, notamment depuis l’insurrection populaire de 2014.  La parole est plus libre. En 1990, moi j’ai connu une presse qui n’était pas libre. Aujourd’hui, je vois une presse libre. Je salue d’ailleurs le fait que « Le Pays » ait été l’un des pionniers de la presse burkinabè dès 1991. Vous vous êtes battus pour la liberté de presse. Au moment de la naissance de votre journal, que le combat était difficile ! Beaucoup de journalistes étaient en prison en Afrique. Aujourd’hui, les journalistes en prison, c’est l’exception. Donc, le progrès le plus important, c’est cela.

Que pensez-vous justement de cette presse burkinabè ?

 

D’abord une grande liberté de parole et d’expression. Vous avez un vrai débat démocratique dans la presse burkinabè ; ce n’est pas le cas partout sur le continent. De plus, il y a une qualité dans les commentaires, notamment les commentaires politiques, non seulement sur le Burkina Faso, mais aussi sur les pays environnants. C’est pour cela que la presse burkinabè est citée sur RFI.

 

Depuis quand exercez-vous le métier de journaliste ?

 

Depuis 1982. J’ai fait les études à Sciences-Po Paris, au Centre de formation des journalistes et après, j’ai fait mon service militaire qui était, à l’époque, obligatoire en France. J’ai démarré le journalisme en 1982 dans une radio libre, Radio Expresse.

 

On voit que vous ne faites pas que la radio. Vous signez souvent dans Jeune Afrique !

 

J’ai eu la chance, en effet, de travailler pendant 15 ans pour la presse écrite à Jeune Afrique. C’est pourquoi j’ai beaucoup de respect pour ce que vous faites au « Pays » et ce qui est fait dans les autres journaux dans la presse écrite au Burkina Faso. La presse écrite est sans doute le média le plus exigeant en termes de rigueur journalistique. On ne peut pas écrire un mot à la place d’un autre. Il faut faire attention à ce qu’on écrit. Les paroles s’envolent mais les écrits restent.

 

Pourquoi êtes-vous venu dans ce métier ?

 

Sans doute à cause de mon amour pour l’histoire. Quand j’étais enfant, je dévorais les livres d’histoire. Les manuels scolaires que je préférais étaient ceux se rapportant à l’histoire, notamment la Révolution française, la guerre de 1914. Au fond, pour moi, le journaliste, c’est l’historien du temps présent. Une de mes passions, c’est d’aller dans les pays où l’histoire se fait et se construit. Mon premier reportage, par exemple, c’était en 1985 en Centrafrique, au procès de Jean-Bedel Bokassa (Jean-Bedel Bokassa, né le 22 février 1921 à Bobangui et mort le 3 novembre 1996 à Bangui, fut président de la République centrafricaine de 1966 à 1976 et empereur sous le nom de Bokassa Ier de 1976 à 1979, ndlr). C’était 25 ans après l’indépendance centrafricaine.

 

On dit que le journalisme est un noble métier. Partagez-vous cet avis ?

 

J’ai envie de vous dire que tous les métiers sont nobles mais le journalisme est un métier peut-être plus exigeant, qui demande beaucoup de temps, qui demande beaucoup de sacrifices au niveau de la vie de famille car il faut beaucoup travailler ; il faut beaucoup s’investir, quelquefois avec une charge mentale très forte. Même quand vous rentrez à la maison pour vous reposer, vous continuez de penser à ce que vous avez écrit aujourd’hui et à ce que vous allez écrire demain. C’est un métier qui accapare, qui oblige, qui exige mais qui, après, donne des satisfactions professionnelles quand le travail est bien fait.

 

Et si c’était à recommencer, le referiez-vous au regard de ce que vous venez de dire ?

 

(Long temps de réflexion) ! Si c’était à recommencer, je le referais malgré toutes les occasions manquées, malgré sans doute les évènements dont je n’ai pas bien compris la portée au moment même où je les vivais parce que, comme tout le monde, on n’a pas le recul. On est dans l’instant. Oui, si c’était à recommencer, je le referais.

 

Vous parlez d’évènements manqués. Il s’agit de quel évènement par exemple ?

 

Le Rwanda par exemple. Je suis arrivé le dimanche 10 avril 1994 au matin à Kigali. Le massacre avait commencé mais on ne savait pas ce qui allait se passer dans les semaines qui suivaient. Le mot « génocide » a été prononcé un mois plus tard, précisément le 15 mai 1994. Le 10 avril, je ne savais pas que j’étais en train d’assister à un évènement catastrophique. Je n’avais pas imaginé immédiatement la portée de ce que je voyais et en vérité, personne ne savait, le 10 avril, ce qui allait se passer. Mais, en même temps, je ne peux pas m’empêcher de dire qu’il y avait des signes annonciateurs, les trois années précédentes, que mes collègues et moi n’avions pas bien vus. Quand on assiste à un évènement d’une telle portée, on se sent tout petit.

 

Quels sont les souvenirs qui vous ont le plus marqué dans ce métier ?

 

Les souvenirs les plus marquants, évidemment, ce sont les reportages de guerre parce que ce sont des moments où vous vous exposez, vous prenez des risques. C’est surtout des moments où vous voyez des choses qui marquent pour la vie. En Somalie, au Tchad, en Côte d’Ivoire, il y a eu des scènes de violences auxquelles j’ai assisté, qui m’ont marqué pour la vie. En ce moment, je pense beaucoup aux victimes, aux gens dont je voyais la peur dans les yeux. A ce moment-là, l’approche est d’abord humaine. Il faut que je parle à ces gens-là ; il faut que j’essaie de les rassurer, que je les écoute. Il faut que je leur montre qu’on est toujours en vie.

 

Quels sont vos bons souvenirs dans ce métier ?

 

Ah les bons souvenirs, … ! C’est boire la bière fraiche à 18h avec les moustiques qui tournent autour (rires).

 

Vous pensez à quel pays par exemple ?

 

Au vôtre ! (Rire) ! On discute politique et on n’est jamais d’accord.

 

Après près de 38 ans d’expérience, si on vous demandait de définir un bon journaliste, que diriez-vous ?

 

Un bon journaliste, c’est d’abord un journaliste qui a un bon coup d’œil, qui voit tout de suite les choses intéressantes, qui ne fait pas parler seulement les chefs d’Etat et les hommes politiques, mais aussi les gens de la rue. Un bon journaliste est celui qui est capable de sentir une opinion publique à travers deux ou trois témoignages. Ensuite, un bon journaliste, c’est quelqu’un d’honnête. On a tous des convictions personnelles, des avis personnels mais cela ne doit pas transparaître à l’antenne. Il faut être le plus équilibré possible.

 

Quel est votre parcours académique que vous avez commencé à aborder plus haut ?

 

J’ai eu la chance de faire Sciences-Po Paris avec de bons professeurs d’histoire, d’économie, de politique et de droit. Ensuite, j’ai pu me spécialiser dans le journalisme. C’est un professeur d’histoire qui m’a dit : « Boisbouvier, ce qu’il vous faut, c’est le journalisme ». Il s’agit de Jean-Pierre Azéma qui travaille toujours. Il avait raison. Quand on aime l’histoire, on s’intéresse logiquement au temps présent. J’ai eu la chance aussi d’appartenir à une génération qui a vu se construire les nations africaines après les indépendances. Je n’ai pas eu la chance de connaître les années des indépendances mais j’ai connu les années 90. C’était des moments qui correspondaient au discours de La Baule (le discours de La Baule a été écrit par Erik Orsenna et prononcé par le président de la République française, François Mitterrand, le 20 juin 1990, dans le cadre de la 16e conférence des chefs d’Etat d’Afrique et de France à laquelle étaient invités 37 pays africains, ndlr), après laquelle se sont organisées des conférences nationales souveraines, d’abord au Bénin et ensuite dans les autres pays.  Dans beaucoup de pays, l’esprit national s’est cristallisé et la démocratie s’est forgée.

 

 

En quoi votre parcours académique vous a-t-il aidé dans l’exercice du métier de journalisme ?

 

Par exemple, le fait d’étudier la Révolution française, la bataille entre les Montagnards et les Girondins, entre Robespierre et Danton, a été très instructif pour moi dans le cadre de mon travail sur les combats politiques, les joutes politiques comme au Burkina Faso, par exemple, au temps de Thomas Sankara. Il y avait aussi dans cette démarche révolutionnaire au Burkina Faso, quelque chose qui faisait écho à ce que j’avais étudié dans la Révolution française de 1789, la Révolution bolchévique en 1917. C’est toujours intéressant d’avoir des références historiques quand vous assistez à un évènement fort. Cela vous donne, non pas une vision d’ensemble parce que vous êtes toujours dans l’instant, mais un petit recul qui vous permet de pouvoir mieux comprendre les évènements qui se passent devant vous.

 

« Le jour où je ne serai plus journaliste, où je partirai à la retraite, je sais que ces chefs d’Etat ne m’appelleront plus »

 

Vous interviewez régulièrement des chefs d’Etat africains. Est-ce que vous entretenez de bons rapports avec eux ?

 

Là, on est dans les rapports avec des hommes politiques. Les rapports que vous avez avec eux sont des rapports professionnels. Le jour où je ne serai plus journaliste, où je partirai à la retraite, je sais que ces chefs d’Etat ne m’appelleront plus. Ils ne prendront plus le temps de me recevoir parce que l’homme politique, quand il vous rencontre, il vise toujours l’objectif politique qu’il se fixe. Vous êtes pour lui un partenaire dans son objectif politique. Donc, ce sont des rapports professionnels et d’intérêts mais en même temps, cela n’empêche pas des rapports de confiance. Ce n’est pas parce qu’on est dans des rapports professionnels qu’il ne peut pas s’instaurer des rapports de confiance. Cela fait plus de 30 ans que je suis dans ce métier et je connais un certain nombre de chefs d’Etat depuis longtemps, même depuis l’époque où ils n’étaient pas des chefs d’Etat (ministres, opposants, prisonniers voire rebelles). Et comme je leur donnais la parole à cette époque-là, ils ont appris à me connaître, j’ai appris à les connaître. Il s’est instauré une sorte de relation de confiance qui fait qu’ils acceptent encore de me parler.

 

Quel est le chef d’Etat qui vous a marqué, négativement parlant ?

 

Aucun ! Il y a, chez chaque homme politique, une part de lumière. Il n’y a pas de grand méchant et de grand gentil. Même un chef d’Etat comme Mobutu qui n’a pas laissé un bon souvenir à beaucoup d’Africains, avait sa part de positif parce qu’il a quand même fait des choses pour son pays. C’était, certes, un dictateur, mais c’était un homme qui, en même temps, acceptait le jeu de questions-réponses avec les journalistes, qui donnait des conférences de presse et qui, à partir de la chute du mur de Berlin en 1989, avait vite compris qu’il lui fallait ouvrir le jeu politique. Il avait une certaine intelligence politique.

 

« J’ai   même beaucoup de respect pour les chefs d’Etat qui acceptent de quitter le pouvoir, qui acceptent la défaite. De ce point de vue, j’ai beaucoup de respect pour Abdou Diouf par exemple »

 

Nous reformulons la question autrement. Quel est le chef d’Etat qui n’est plus en activité, et qui vous a le plus marqué ?

 

(long temps de réflexion) ! C’est difficile de dire quel est le chef d’Etat qui m’a le plus marqué mais j’ai quand même beaucoup de respect pour les chefs d’Etat qui acceptent de quitter le pouvoir, qui acceptent la défaite. De ce point de vue, j’ai beaucoup de respect pour Abdou Diouf par exemple. Je me souviens de la présidentielle de l’an 2000 où il a été battu par Abdoulaye Wade. Il m’a accordé une interview, entre les deux tours de l’élection, avec Olivier Roger qui est le correspondant de RFI à Dakar, au palais présidentiel. Il était préoccupé ; il était soucieux ; il avait le visage grave. Avec le recul, je me suis dit qu’il savait qu’il allait perdre les élections. La plupart des opposants s’étaient ligués contre lui mais il a accepté de m’accorder cette interview. Le soir du premier tour, il a téléphoné à Abdoulaye Wade pour le féliciter et il a empêché la guerre civile dans son pays. Respect à Abdou Diouf. Il n’est pas le seul. Il y a par exemple Nelson Mandela que je n’ai pas eu la chance d’interviewer.

 

Qu’avez-vous à dire aux plus jeunes qui embrassent le métier de journaliste ?

 

Le journalisme est un métier qui a encore plus de raisons d’être aujourd’hui que dans le passé. Il y a toujours cette bataille pour la liberté d’expression qui est la principale raison pour laquelle je salue les jeunes qui veulent embrasser ce métier, parce que les journalistes sont les pionniers de la démocratie comme le journal « Le Pays » l’a été en 1991. Votre journal appartient à une génération de journaux dans plusieurs pays, qui ont dû se battre, jour après jour, pour la liberté d’expression à une époque où il y avait encore beaucoup de dictatures en Afrique. Je pense que les jeunes qui ont envie de travailler aujourd’hui dans ce métier, doivent perpétuer cet héritage. Ils doivent faire vivre cet héritage de ce combat quotidien pour la liberté d’expression parce que ce n’est pas parce que ça va mieux aujourd’hui que la bataille est gagnée. Il faut la mener au quotidien pour garder les conquêtes et empêcher que des prédateurs de la liberté de la presse, ne puissent venir faire du mal. L’autre combat qui appartient plus à cette nouvelle génération, c’est celui contre la désinformation et contre les fake news. Sur les réseaux sociaux il y a plus de bobards et de fake news qui sont diffusés et c’est le travail des jeunes journalistes de dénoncer l’intoxication, les fake news et de redoubler de vigilance pour donner des informations vérifiées, crédibles. Et je pense que les gens vont, petit à petit, apprendre à faire attention.

 

Propos retranscris par Michel NANA

 


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