HomeA la uneCOMMUNE DE KAYAQuand se loger devient un calvaire pour les victimes des violences terroristes et communautaires

COMMUNE DE KAYAQuand se loger devient un calvaire pour les victimes des violences terroristes et communautaires


A la suite des violences communautaires à Yirgou et des multiples attaques terroristes dans la commune d’Arbinda dans le Soum, la commune de Kaya a accueilli de nombreux déplacés. Selon les statistiques disponibles, au niveau des services de l’Action sociale et ceux de la mairie, on dénombre, à la date du 18 mars 2019, 2 108 déplacés dont plus de 400 élèves. Ces chiffres concernent essentiellement 4 secteurs de la ville de Kaya et 12 villages. Pour ces déplacés, c’est la galère pour se loger. Le loyer variant entre 5 000 et 15 000 F CFA, certains sont obligés de passer la nuit à la belle étoile.

Nous sommes le vendredi 29 mars 2019, à 16h 30mn au secteur 6 de Kaya, dans le quartier Dimassa, à quelques mètres du CSPS du secteur 6, côté sud. Notre première escale est dans la cour qui porte le n°566. Hamado Sawadogo, secrétaire CVD du village de Gasseliki dans la commune d’Arbinda, son épouse Kadi et leurs huit (8) enfants vivent dans une pièce chambre-salon qui leur coûte 5 000 F CFA. Ils ne savent pas comment payer le loyer à la fin du mois ; car ils n’ont pas d’emploi. Ils sont là il y a de cela vingt jours. Le chef de famille raconte qu’ils sont originaires de Fanka, un village situé à une dizaine de kilomètres de Kaya, côté Nord-Est. Pour lui, le refuge en ville serait mieux qu’au village, car il pourrait se débrouiller avec un petit « job ». En attendant de trouver quoi faire, Kadi, la femme, est visiblement sous le choc : « nous avons fui, souffert après l’attaque de Gasseliki. Et jusqu’à présent, je ressens les séquelles de la marche : douleurs abdominales, des côtes et des jambes. Ils ont incendié le marché, les matériels. Nous sommes venus ici bredouilles. Tout le village est jonché de cadavres. Ils ont tué deux (2) frères de mon mari».  Notre prochaine escale fut la Cité des forces vives A, dans le quartier Dondollé sur la route de Pissila. Nous sommes le samedi 30 mars 2019 à 16h 30mn. Là, ce sont des déplacés de Sikiré, village de la commune rurale d’Arbinda, qui sont installés. Ils ont été reçus par l’une de leurs connaissances qui est logée à la cité. Leur maisonnette, une chambre-salon, est située à proximité de la cité, sur la bande ouest. Selon Oumarou Sanga, représentant des déplacés de cette zone, ils y sont il y a de cela deux mois.

Le loyer mensuel varie entre 5 000 et 15 000 F CFA

Leur hôte les a gratifiés d’une maison louée à 5 000 F CFA par mois. Avant d’aborder la question du logement, nos interlocuteurs donnent leur témoignage sur le traumatisme qu’ils ont vécu à Sikiré. «  Magasin, mil, biens et bétail y sont restés. Un des fils de mon frère est tombé sous les balles assassines de ces gens. Il a laissé deux femmes et plusieurs orphelins», souligne l’un d’eux. Là, 19 ménages et 134 personnes sont logés. Et bonjour les difficultés : pas de nattes, pas d’eau, pas de nourriture et pas de moustiquaires.  Devant la porte de la maison, sont assises des jeunes femmes et une vieille de plus de 100 ans. « Nous n’avons rien emporté avec nous ; pas de nourriture, pas de bétail. Nous n’avons pas pris de plats, ni de marmites. On ne faisait que fuir. Certains ont fui avec une bouilloire d’eau, un plat sans tô, d’autres les mains vides», témoigne, en sanglots, Bibata Zoré, épouse de Oumarou Sanga. M. Sanga qui était commerçant, agriculteur et éleveur, se retrouve au chômage forcé. Leur préoccupation, c’est le problème de terrain pour l’hivernage qui se profile à l’horizon et surtout un site d’accueil pour s’abriter. Quelques élèves qui étaient avec eux, ont regagné les classes au lycée de Kaya, non loin de la cité.

« Les bailleurs nous menacent de déguerpissement»

D’une maison à l’autre, nous voilà au côté ouest du CSPS du secteur 6, non loin du barrage de Kaya. Sous le grand neemier, est assis Sidiki Maïga, un jeune homme de 21 ans. Son père est tombé sous les balles des terroristes à Gasseliki. C’est en sanglots qu’il nous l’a témoigné. « Je n’arrive pas à m’exprimer, car je revois les scènes obscures dans ma tête ». Ce n’est pas la première fois que nous venons en ces lieux, considérés comme le « bunker » des déplacés à Kaya. Cette cour n° 66 abrite 208 âmes, enfants, femmes, chefs de ménage et plus de 20 élèves (primaire et secondaire) qui sont sans école. Issa Maïga, représentant des déplacés de cette zone, nous fait une description de la situation : « Le constat est amer ; nous sommes logés dans cette cour de 9 portes, à raison de 15 000 F CFA le mois. Après 3 mois, nous n’avons pu régler qu’un mois de loyer. Nous avons trop de problèmes de prise en charge : santé, nourriture, hygiène et assainissement. Certaines femmes ont même rejoint leurs familles avec quelques enfants pour se sauver.  Et plus grave, il y en a parmi elles qui ont quitté définitivement leurs maris, car pour elles, c’est une honte de vivre cloisonné dans des maisons où leur intimité est exposée». Visiblement, notre interlocuteur cherchait l’occasion pour vider son sac. Voici ce qu’il ajoute: « Jusqu’à présent, nous n’avons pas pu régler les frais de transport du camion qui s’élèvent à 300 000 F CFA. Mes larmes ont coulé le jour où nous étions sous ce manguier, sans perspective à l’horizon. Je ne savais pas quoi faire : les enfants sont affamés, assoiffés et en pleurs, les femmes enceintes en choc et les personnes âgées dépaysées. Je n’ai pas pu résister ; mes larmes ont coulé. J’étais commerçant, j’ai perdu plus de 3 000 000 de F CFA ; la famille a perdu plus de 300 têtes de bétail. Et là, nous n’avons plus rien. Les bailleurs nous menacent de déguerpissement. Nous ne savons pas où aller. Nous n’avons pas de connaissances ici».  Nous sommes au secteur 4 de Kaya, dans les encablures du conseil régional du Centre-Nord. Entre quartiers non lotis et place de défilé du 11-Décembre 2016, nous nous sommes retrouvé dans une cour non loin de la maison de la femme de Kaya, côté sud-est du CHR. A ce niveau, nous avons été bien accueilli et bien servi : à boire et à manger. Il était 9h 30mn, le mardi 2 avril 2019. La famille d’Idrissa Sawadogo était sur son propre terrain en zone non-lotie. « Quand nous étions à Gasseliki, j’avais eu la chance de me procurer un terrain non-loti dans ce quartier. Je travaillais dans les sites d’or et faisais le commerce. Ma femme Assèta était restauratrice là-bas. Nous sommes ici avec nos 8 enfants et deux ont repris l’école ici à Kaya », selon M. Sawadogo. Il a perdu 250 000 F CFA et d’autres biens. «  C’est avec ce petit plat de riz et haricot que je me débrouille pour nourrir ma famille. Nous souhaitons que la mairie nous aide avec un espace  pour continuer mon restaurant: c’est notre souci », dit-il. Sayouba Bagagnan était à Gasseliki et travaillait dans les sites d’or tout en menant des activités commerciales. Selon cet interlocuteur, ses pertes, lors des attaques à Gasseliki, s’élèvent à près de 10 millions de F CFA. «  Monsieur l’homme de presse, nous comptons sur vous pour que notre message atteigne les autorités. Tenez-vous bien que j’ai pu loger 60 personnes à raison de 7 500 F CFA par mois. Cela ne veut pas dire que j’ai les moyens. C’est grâce à ma familiarité ici. Mais si rien n’est fait, ils seront mis dehors car à chaque fin du mois, les bailleurs les traquent », ajoute l’homme qui précise qu’il «  y en a qui ne peuvent même pas assurer un seul repas par jour. Ils sont venus se bredouiller, sans rien. Imaginez un chef de famille sans rien, qui est face à ses enfants ! ». A la fin de notre entretien, nous sommes conduit dans une famille qui venait d’être installée non loin de la place du défilé. Le constat est amer : des enfants et femmes assis, très tristes, des bagages déposés dehors par manque de places et les hommes qui se bousculent dans une maison de 20 tôles à deux portes. Cette famille vient de Belhoré, un village d’Arbinda. Le vieux Larba Zoré nous fait savoir qu’il paye le loyer à 7 500 F CFA par mois. Ses pertes sont importantes : 20 têtes de bétail d’une valeur de près de 10 000 000 de F CFA dans la nature.

« Le CODSUR est à pied d’œuvre pour la distribution des vivres »

«  A la date du 1er avril dernier, on était à 2 215 déplacés. On a eu les dons de la communauté musulmane et tidjania qui s’élèvent à 17 sacs de maïs, du jumelage mairie de Kaya-Allemagne, 100 sacs de maïs et 5 sacs de riz de El Hadj Soré à Tampelga avec 5 sacs de maïs ainsi que des conseillers municipaux de Kaya avec 28 sacs de maïs. Il y a aussi le CODSUR qui a décidé d’appuyer 616 déplacés pendant 3 mois ; soit 25 tonnes de haricot, de maïs et de riz. Nous saluons ce geste», a déclaré le préfet, Rabiatou Sawadogo, par ailleurs présidente du Conseil départemental de secours d’urgence et de réhabilitation (CODSUR). Elle a souligné que le CODSUR reviendra avec d’autres appuis. A propos des plaintes des déplacés sur la distribution, Rabiatou Sawadogo rassure : « la distribution est en cours depuis le 8 avril. Les distributions se font selon la taille de la famille : seulement 5 kg de maïs par personne pour les anciens déplacés et 6 kg de maïs plus 0,5 kg de riz pour chaque personne pour les nouveaux déplacés. On essaie de jongler. Je crois que tout est urgent : nourriture, eau, nattes, habillement et même l’hygiène », souligne le préfet.

Madi OUEDRAOGO (Correspondant)

 


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