HomeA la uneCOMPARUTION DU PRESIDENT KENYAN A LA CPI :A grand gagnant, grand perdant

COMPARUTION DU PRESIDENT KENYAN A LA CPI :A grand gagnant, grand perdant


 

Uhuru Kenyatta est assurément entré dans l’histoire. Il est le premier chef d’Etat kényan et même du monde, en exercice, à s’être présenté de lui-même devant la Cour Pénale Internationale (CPI). Cette démarche relève d’une audace bien calculée en ce sens qu’il y a visiblement peu de preuves contre lui.

 

Fatou Bensouda peine à trouver des preuves pour soutenir son dossier

 

On sait, en effet, que l’accusation a dû se résoudre à constater avec amertume, certainement, la rétractation de témoins à charge qui étaient censés confondre par leurs témoignages, l’actuel chef de l’Etat kényan. La foule de ses soutiens venus l’acclamer à son arrivée à la Haye, témoigne du reste de la confiance qu’il y a dans les rangs des partisans de Uhuru Kenyatta. Ce ne serait pas vraiment une surprise que les charges contre le successeur de Mwai Kibaki à la tête de l’Etat kényan, soient abandonnées comme le souhaite l’intéressé et ses avocats, qui surfent sur la vague créée par l’aveu du bureau de la Procureure qui dit ne pas disposer de preuves suffisantes et qui demande, pour sa part, un report du procès.

Une affaire en Justice n’est jamais gagnée d’avance. Tout peut arriver. Surtout que le bureau de la Procureure de la CPI, Fatou Bensouda, se plaint du faible niveau de collaboration de Nairobi en ce qui concerne l’accès à certains documents, dans le cadre des enquêtes qu’il a faites jusque-là dans cette affaire. Sur cette base, la Cour peut très bien accéder à la requête de sa Procureure qui demande le report du procès. Certainement que cela pourrait aider l’accusation à continuer ses investigations. Mais, même un tel report ne garantit aucune amélioration du niveau de collaboration du Kenya. Force donc est de reconnaître qu’en l’état actuel des choses, Uhuru Kenyatta se trouve plus en position de force que Fatou Bensouda qui peine à trouver des preuves pour soutenir son dossier.

Uhuru Kenyatta aura fait preuve de beaucoup d’intelligence dans cette affaire. En fin stratège et à l’opposé du président soudanais Omar El Béchir qui n’a voulu prendre aucun risque, le chef de l’Etat kényan a accepté de se rendre à la Haye et de faire face à ses juges. Il a ainsi fait preuve d’audace mais aussi et surtout d’une grande habileté. Il sait qu’il a de grandes chances de s’en sortir. Sans lui dénier son droit à la présomption d’innocence, on peut tout de même le soupçonner d’avoir mis à profit son statut de chef d’Etat pour brouiller des pistes, retourner des témoins. Est-ce en les menaçant ou en les subornant ? Difficile de ne pas craindre que cela ait été le cas tant les princes sous nos tropiques usent de tous les voies et moyens, y compris les moins recommandables, pour ne pas dire les plus détestables, pour se tirer d’affaire, chaque fois qu’ils traversent une sérieuse mauvaise passe. Le temps a aussi certainement joué en faveur du président kényan. Entre 2007-2008 et maintenant, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Uhuru Kenyatta lui-même, faut-il le rappeler, aura accédé entre-temps à la magistrature suprême de son pays, à la suite d’un scrutin électoral et cette onction populaire n’est pas anodine pour une personne accusée de crimes contre l’humanité. Le temps a surtout pu contribuer à la disparition d’indices ou commencements de preuves. Mais le président kényan en exercice a également su manœuvrer pour éviter qu’un éventuel mandat d’arrêt international soit lancé contre lui par la CPI, en se présentant en personne devant ses juges. Ce faisant, c’est déjà quelque chose de gagné pour lui, quand on sait qu’un tel mandat aurait, quoi qu’on dise, limité ses déplacements et marges de manœuvre par la suite.

 

Le risque que justice ne soit pas rendue dans cette affaire est grand

 

Uhuru Kenyatta pourrait donc obtenir que l’épée de Damoclès judiciaire qui plane sur sa tête dans cette affaire de violences post-électorales, soit écartée si les juges de cette juridiction venaient à agréer sa requête d’abandon des charges. Il serait, de ce fait, le grand gagnant et en tirerait tous les dividendes politiques. Et si l’abandon des poursuites pour absence ou insuffisance de preuves venait à être prononcé au profit de Uhuru Kenyatta, il y a de sérieux risques que l’ensemble du dossier de la CPI sur les violences post-électorales au Kenya, perde de sa substance. Il se pourrait, in fine, que ce ne soit que de seconds couteaux qui aient à répondre de toutes ces violences. Et là aussi, c’est si la Procureure arrivait à glaner quelques preuves consistantes contre eux ! Les grands perdants seraient donc inéluctablement les victimes et leurs proches, voire l’humanité tout entière. Pourtant, on ne saurait passer par pertes et profits toutes ces victimes.

Les violences de 2007 et 2008 au Kenya ont certainement des auteurs et des instigateurs. Alors, si ce n’est Uhuru, qui est-ce donc? Il faudra forcément que la CPI trouve une réponse acceptable et convaincante à cette interrogation somme toute légitime. Le risque que justice ne soit pas rendue dans cette affaire est grand. Une parodie de justice dans ce dossier ne contribuera certainement pas à redorer le blason de cette juridiction internationale déjà fort critiquée, souvent à juste titre, du reste, pour son manque ou son insuffisance d’impartialité. Mais, il faut bien avouer, à la décharge de la CPI, qu’en tant qu’institution internationale ne disposant pas de sa propre police et/ou armée, le succès de  son action est, pour beaucoup, tributaire de la bonne foi et de la collaboration des Etats qui l’ont mise en place.  Or, dans le cas du président kényan, la Justice de son pays semble le protéger en ne collaborant pas suffisamment avec cette institution judiciaire.

 

« Le Pays »


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