HomeA la uneCONDAMNATION DE JEAN-PIERRE BEMBA : Aucun impact significatif sur la gouvernance en Afrique

CONDAMNATION DE JEAN-PIERRE BEMBA : Aucun impact significatif sur la gouvernance en Afrique


Depuis le 21 juin dernier, l’épilogue du procès de Jean-Pierre Bemba à la Cour pénale internationale (CPI) est connu.  Sans que son implication personnelle et directe dans l’épopée sanguinaire de ses troupes en Centrafrique en 2002 et 2003 n’ait été prouvée, Jean-Pierre Bemba a été reconnu coupable de crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Chargé des péchés (meurtres, viols et pillages) de son armée, l’ancien vice- président de la RD Congo écope d’une lourde peine de prison de 18 ans. En condamnant pour la première fois un commandant pour les exactions de ses hommes, le procès crée une importante jurisprudence à la conscience universelle.  Pour les soldats des droits de l’homme et  pour tous ceux qui sont épris de justice en Afrique, ce verdict est un triomphe.  Et, pour tous les seigneurs de guerre et autres prédateurs des droits humains sur le continent, le procès  Bemba devrait sonner comme un énième avertissement. Mais sans jouer les Cassandre, il risque de n’être qu’une simple  roupie de sansonnet.  Et pour causes ? D’abord, parce que les dictateurs sont emmurés dans leur logique entretenue par leurs courtisans. Ils croient tous en leur étoile qu’ils estiment différente de celles des autres, aidés en cela par l’Histoire où les mêmes causes par tout temps et en tout lieu n’ont pas toujours produit les mêmes effets. On ne devrait donc pas s’étonner d’entendre dans l’entourage de Pierre Nkurunziza du Burundi ou de Denis Sassou Nguesso du Congo, que «Bujumbura ou Brazzaville n’est pas Kinshasa».

Les têtes couronnées du continent s’échinent à décrédibiliser la CPI

Contrairement à la sagesse populaire qui veut que « l’on se mouille la barbe quand celle du voisin brûle », ils se font l’idée selon laquelle « le pire n’arrive qu’aux autres ».  C’est à peine donc si les satrapes du continent ne croient pas que Jean-Pierre Bemba, Charles Taylor ou Laurent Gbagbo qui croupissent dans les geôles de La Haye, méritent leur sort pour avoir cédé le pouvoir qui leur servait d’assurance-vie. Ensuite, parce que, plutôt que de voir  les progrès suscités par la  CPI en matière de gouvernance politique en Afrique, les têtes couronnées du continent s’échinent à décrédibiliser cette instance qu’elles présentent comme un rétiaire pour nègres.  En témoignent les actes de défiance comme le refus de l’Union africaine (UA) ou de certains de ses Etats d’exécuter les mandats d’arrêt internationaux délivrés par la CPI à l’encontre de présumés auteurs de crimes de guerre ou de génocides comme le Soudanais Omar El Béchir, par exemple. Ce discours des chefs d’Etat hostiles à la CPI commence à trouver écho auprès de certaines franges de la population qui remettent en cause  son impartialité comme on peut le constater en RD Congo après le verdict du procès Bemba ou même en Côte d’Ivoire avec celui de Laurent Gbagbo. Et si l’on n’y prend garde, ces fossoyeurs de la liberté  peuvent dans l’imaginaire collectif être revêtus de l’étoffe de martyrs voire de héros, victimes du néo-colonialisme occidental sur le continent. En RD Congo même où le verdict était des plus attendus, il ne faut pas non plus parier sur la portée pédagogique de ce procès.  Même si Joseph Kabila applaudit à tout rompre à la condamnation de Bemba, cette euphorie cache mal son hostilité à la CPI.

Il appartient aux organisations de la société civile africaine de jouer à fond leur rôle

En fait, le régime dictatorial de Kinshasa ne se réjouit que des misères et de l’éviction d’un redoutable adversaire,  mais  il abhorre par-dessus tout cette juridiction qui plane comme une épée de Damoclès sur sa tête et partant celle de toute dictature. De fait, le procès Bemba ne modifiera en rien les plans de pérennisation au pouvoir de Kabila. Mais tout comme ce dernier et son régime, le parti de Jean-Pierre Bemba, le Mouvement de libération du Congo (MLC), ne tire pas non plus leçon de la condamnation de son mentor, estimant qu’il est victime d’une Justice à double vitesse. Les militants qui ont d’ailleurs suivi le procès au siège  du parti, lui ont  réaffirmé leur loyauté en disant que l’on peut certes enfermer Bemba, mais pas son esprit. En somme, le verdict du procès Bemba aura sur le continent l’apparence de l’eau que l’on verse sur les plumes d’un canard. Mais faut-il seulement condamner cette incurie des Africains ? Les partenaires du continent au Nord ont aussi leur part de responsabilité car à bien regarder, ce sont eux qui, au nom de leurs intérêts, protègent ces seigneurs de guerre et autres dictateurs qui écument le continent et qui, quand le vent tourne, tournent casaque pour les vendre sur la place publique. Tant que seuls les intérêts des Occidentaux continueront à imprimer la marche du monde, les procès se succèderont à La Haye, mais ils seront de nul effet sur la gouvernance en Afrique. Il appartient aux organisations de la société civile africaine de jouer à fond leur rôle de veille et d’éducation des populations, nécessaire à la défense des intérêts du continent.  C’est en cela que le meilleur rempart  contre les dictatures ne saurait être  ces procès qui viennent après coup, mais plutôt l’éducation des peuples. Cela dit, il faut saluer le bon boulot fait par la CPI pour l’Afrique, même si au-delà du satisfecit moral, ce travail peine encore à produire les effets escomptés en matière de prévention des dictatures sur le continent. Toutefois, pour ne pas verser dans une sorte d’acharnement sur le continent africain (pour l’instant seul le cas de l’ex-Yougoslavie constitue l’exception qui, d’ailleurs, confirme la règle), les  magistrats de la Justice internationale  devraient  aussi porter leurs regards sur d’autres contrées de la planète. Et à vrai dire, ce n’est pas la matière qui saurait manquer. Rien qu’au Moyen Orient où une guerre en remplace tout le temps une autre, il y a de quoi fouetter un chat.

 

« Le Pays »


Comments
  • J’aime beaucoup lire vos articles, mais la remarque que j’ai faite, en citant les dictateurs Sassou et autres, vous ne cité pas Déby le tyran qui a pris son peuple en otage et qui veut rester présent à vie.

    25 juin 2016

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