HomeA la uneCRISE BURUNDAISE : Nkurunziza fait l’autruche

CRISE BURUNDAISE : Nkurunziza fait l’autruche


 

Malgré le report d’une semaine des élections législatives et communales, la contestation ne faiblit pas au Burundi. Et au lendemain du coup d’Etat manqué contre le président burundais, les opposants à sa candidature à un troisième mandat continuent d’affronter la police dans les rues de Bujumbura. Mais pour Nkurunziza, il n’y a pas péril en la demeure car, selon lui, la contestation n’est que le fait de quelques indisciplinés dont il compte réduire la résistance par une répression féroce. Du reste, pour lui, ce sont les médias étrangers qui travestissent la réalité dans son pays, en grossissant les faits. Autrement dit, il n’y a rien à voir sous le soleil de Bujumbura où tout va bien dans le meilleur des mondes. Après avoir savamment muselé la presse privée pour ne pas entendre d’autres sons de cloche que celui des médias d’Etat qui lui sont favorables, Nkurunziza veut faire l’impasse sur la contestation de la rue pour organiser contre vents et marrées, les élections dans des conditions qui lui permettront d’accomplir allègrement sa forfaiture en transgressant la Constitution burundaise et les accords d’Arusha qui lui ont permis d’accéder au pouvoir dix ans plus tôt.

Et sa stratégie consiste à faire l’autruche pour ne pas voir la réalité en face, et à minimiser la situation afin de faire croire que les élections sont tenables, malgré les profonds remous actuels.

Sinon, comment comprendre qu’au moment où les forces de l’ordre sont sur les dents et que les opposants sont quasiment réduits à se cacher à cause de la situation particulièrement tendue en raison des événements récents, ces élections ne soient reculées que de 10 jours? Qu’est-ce que ce report change fondamentalement à la donne ? A vrai dire, tout cela n’est que de la poudre aux yeux, d’autant plus que dans les faits, il serait difficile voire impossible à quiconque, surtout l’opposition, de battre campagne dans ces conditions. De plus, Nkurunziza maintient sa candidature à un troisième mandat et n’entend pas reculer la date du scrutin présidentiel, fixée au 26 juin. Pourtant, c’est cette question qui a mis le feu aux poudres, et le pays sens dessus dessous.

Même si Nkurunziza réussissait son passage en force, sa gouvernance risque de ne pas être de tout repos

Nkurunziza se croit malin, mais il se fourre le doigt dans l’œil. En affirmant que la contestation ne concerne qu’une infime partie du territoire, et que 99,99% du territoire ne connaît pas la crise, il se tire une balle dans le pied. Il pourrait en effet davantage radicaliser les contestataires, et amener des personnes de plus en plus nombreuses à surmonter la peur pour exprimer leur ras-le-bol. Surtout si la mobilisation reste constante. Au demeurant, il tient aujourd’hui son pouvoir seulement des forces de défense et de sécurité  qui lui sont restées fidèles ; elles lui ont sauvé la mise. De quelle légitimité peut-il encore se prévaloir, ce peuple ayant montré toute son aversion de la dictature ? En tout cas, les choses pourraient changer.

En effet, à l’allure où elles vont, il n’est pas exclu que les forces de défense et de sécurité, une fois gagnées par la lassitude et l’exaspération dans l’accomplissement de leur devoir, prennent le parti de leurs frères aux mains nues, qui sont loin de céder au découragement, eu égard à la légitimité de leur revendication. Un tel déploiement inhabituel des forces de défense et de sécurité, sur une longue durée, est mentalement et financièrement épuisant pour le pouvoir. C’est pourquoi l’empressement de Nkurunziza à aller aux élections, malgré le climat délétère de son pays, cache mal sa volonté de clore rapidement ce chapitre avant que la situation ne prenne une autre tournure. Sans compter que l’unité de façade qu’affichent la police et l’armée, peut rapidement voler en éclats, si des bavures du genre de celle qui a coûté la vie à un militaire devaient se multiplier. Du reste, l’armée vient de faire une sortie, où elle appelle les militaires à la cohésion. C’est dire si tout ne tourne pas rond, contrairement à ce que l’on veut faire croire.

En tout état de cause, même si Nkurunziza réussissait son passage en force, sa gouvernance risque de ne pas être de tout repos. Le dictateur n’en a certainement cure, mais il y a lieu de penser  que le Burundi serait bien parti pour une longue période d’instabilité sociopolitique, avec des contestations à n’en pas finir. Par conséquent, il est impératif de crever l’abcès maintenant, pour éviter au peuple burundais des lendemains de braise. C’est en cela qu’il faut saluer l’attitude de la Belgique qui, en tant que puissance coloniale du Burundi, a annoncé le gel de son aide directe si Nkurunziza sollicite un troisième mandat. Si d’autres pays partenaires lui emboîtent le pas, Nkurunziza pourrait se voir obligé, comme le putschiste malien, Amadou Sanogo, de revenir à de meilleurs sentiments. Mais on ne sait vraiment pas jusqu’où son entêtement pourra le mener.

Outélé KEITA


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