HomeA la uneDECES D’ABOUDRAMANE SANGARE

DECES D’ABOUDRAMANE SANGARE


Jusqu’au-boutiste jusqu’à la tombe

Aboudramane Sangaré s’en est allé le samedi 3 novembre dernier à Abidjan. Le moins que l’on puisse dire c’est que cette disparition est un grand coup dur pour le FPI (Front populaire ivoirien) et pour le clan Gbagbo. Et pour cause. D’abord, Aboudramane Sangaré fait partie des 5 téméraires à avoir défié le pouvoir de Félix Houphouët Boigny pour porter sur les fonts baptismaux le FPI. C’était en 1982 et ce, dans la clandestinité. Ce premier pas qui s’apparentait pratiquement à de la folie à l’époque, tant le vieux abhorrait tout évangile politique contraire au sien, a été suivi d’un second pas en 1988 qui a consisté à faire sortir le parti de la clandestinité. Le troisième et dernier pas a été posé en 1990. Il a consisté à la reconnaissance officielle du parti. Tout au long de ce processus jalonné d’épines, celui que tout le Gbagboland pleure aujourd’hui s’est illustré par un don de soi à la cause du FPI.

Aboudramane Sangaré a su garder fidèlement le temple

Ensuite, Aboudramane Sangaré aura lié son destin à celui du couple Gbagbo. Et les malheurs que celui-ci a connus, notamment à la fin du régime FPI, n’ont pas suffi à ébranler ce lien. La preuve, parmi tant d’autres, en est que lors de l’arrestation des Gbagbo dans les circonstances qu’on connaît, en avril 2011, Aboudramane Sangaré était   au palais de Cocody. Cet épisode de sa vie est une illustration de l’adage selon lequel « l’on reconnaît ses vrais amis dans l’adversité ». Enfin, Aboudramane Sangaré a su garder fidèlement le temple en l’absence de son mentor et pendant que son épouse avait maille à partir avec la Justice ivoirienne. Pendant que certains militants timorés du FPI, pour échapper à la justice des vainqueurs, ont pratiquement rejoint la soupe du pouvoir de Ouattara, Aboudramane Sangaré a mis un point d’honneur, contre vents et marées, à garder intact le dogme du parti. Et cette bible a été construite autour de l’attachement indéfectible à la personne du « Christ de Mama », c’est-à-dire Laurent Koudou Gbagbo. Pour toutes ces raisons, Aboudramane Sangaré n’est pas un militant comme les autres. Il est non seulement l’incarnation de la difficile marche du FPI vers le pouvoir, mais aussi la personne qui s’est le plus investie pour que l’image de Laurent Gbagbo ne soit pas souillée pendant qu’il est dans les liens de la détention de la prison de Scheveningen. Cette constance dans l’amitié et cette fidélité à la cause du parti, sont des valeurs qui sont en voie de disparation  aujourd’hui, surtout au sein des jeunes. Pour bien de ces derniers, en effet, la politique est un marchepied vers la gloire et l’enrichissement personnel hic et nunc. Dans ces conditions, la politique est à la limite de la prostitution. Pour une promesse de postes juteux ou pour une poignée de Francs CFA, l’on est prêt à tourner casaque et à vendre son âme aux puissants du moment.

Manifestement, Aboudramane Sangaré a tourné le dos à  ce côté honni de la politique. C’est pourquoi, depuis sa prison de Scheveningen, Gbagbo appelle « les militants du FPI et l’ensemble du peuple ivoirien à une mobilisation exemplaire pour un hommage mérité à ce digne fils de la Côte d’Ivoire ». Par la même occasion, il informe que les activités du FPI sont suspendues jusqu’à la fin des obsèques.

Il faut souhaiter  que le FPI transcende ses contradictions

Le moins que l’on puisse dire, c’est que cet hommage appuyé est mérité. A disparition donc d’un homme particulier, hommage particulier. Mais dans le même temps, le jusqu’au-boutisme jusqu’à la tombe, d’Aboudramane Sangaré, n’a pas été sans conséquences fâcheuses pour le FPI. En effet, ce « Gbagbo ou rien » qui a toujours tendu les ressorts de sa vie militante pendant un demi-siècle, s’est mué en une véritable déification du Christ de Mama. Cette vision messianique des choses, est le propre des partis construits autour d’hommes forts et non d’idées fortes. C’est pour cette raison que le FPI n’a pas échappé à l’implosion dès que son fondateur emblématique et divin a été embastillé à La Haye. Car, un dieu ne peut pas être remplacé. Et l’illustre disparu aura psalmodié ce catéchisme jusqu’à la tombe. Conséquence, la frange jusqu’au-boutiste du FPI s’est illustrée depuis 2011, par la politique de la chaise vide. Cette option, on le sait, n’a pas toujours été heureuse sous nos tropiques. Maintenant que Aboudramane Sangaré s’en est allé, on peut se poser la question suivante : qui va garder désormais le temple ? La logique des choses voudrait que ce soit Simone Gbagbo qui assume ce rôle. D’abord, elle est le n°3 de la frange jusqu’au-boutiste du FPI après son époux et le regretté Aboudramane Sangaré.  Ensuite, elle incarne la légitimité historique du parti  pour en avoir été  un des 5 membres fondateurs. L’autre question que l’on peut se poser, est celle de savoir si le FPI, après la disparition d’Aboudramane Sangaré, va enfin se décider à prendre part à l’échéance de 2020. Si oui, avec quel champion ? L’on peut se risquer à suggérer ceci : le Gbagbo ou rien n’est pas réaliste. En lieu et place, l’on peut faire émerger du parti des jeunes nourris à la sève des fondateurs mais qui ont aussi le profil de rassembler toute la grande famille FPI. Et ce serait une injure à l’adresse de ce grand parti, de dire que cet oiseau rare n’existe pas au sein de l’aile dure du FPI. Pascal Affi N’Guessan n’est   certainement pas la personne indiquée pour jouer les premiers rôles au FPI, pour avoir collaboré,  peut-on dire, avec l’ennemi commun du Gbagboland, c’est-à-dire Alassane Dramane Ouattara. En tout cas, les résultats des récentes élections régionales viennent d’apporter la preuve que ce personnage clivant n’est pas dans le cœur de l’électorat du FPI. Pour finir, il faut souhaiter, dans l’intérêt même de la démocratie, que le FPI transcende toutes ses contradictions, afin de jouer toute sa partition sur la scène politique ivoirienne. Il y va de sa survie.

 

« Le Pays »

 

 


No Comments

Leave A Comment