HomeA la uneDERIVES LANGAGIERES DES HOMMES POLITIQUES AU BURKINA : Que chacun mette de l’eau dans son vin

DERIVES LANGAGIERES DES HOMMES POLITIQUES AU BURKINA : Que chacun mette de l’eau dans son vin


Le succès d’une fête à venir peut être mesuré à la qualité de ses préparatifs, dit en substance un proverbe de chez nous. C’est dire que les préparatifs d’un grand événement donnent une idée sur le déroulé de l’événement. Les scrutins électoraux n’échappent pas à cette règle. Les indices d’une élection réussie sont perceptibles dans la période pré-électorale. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que les hommes politiques burkinabè ne donnent pas les gages d’une campagne électorale et de scrutins apaisés, en octobre prochain. Du moins dans leur langage. Comme pour confirmer le fait que les lendemains des longs règnes sont généralement chargés de problèmes énormes à résoudre, la scène politique burkinabè ne donne pas, depuis récemment, des signes d’apaisement.

Nul ne sera à l’abri, en cas de déflagration

En effet, depuis un certain temps, les dérives langagières de certains hommes politiques, préjudiciables à la paix sociale, font ou refont -c’est selon- surface. Et le fait que la réconciliation nationale ne soit jusqu’à ce jour pas effective, a certainement contribué à entretenir la méfiance entre bien des acteurs. Ces dérives langagières constituent une source d’inquiétude à l’orée de la période de la campagne électorale au Burkina, pour le scrutin couplé présidentielle-législatives du 11 octobre 2015. Pourtant, personne ne devrait se réjouir de ces tensions car nul ne sera à l’abri, en cas de déflagration.

En ce qui concerne la présidentielle notamment, il est de notoriété publique que c’est la première fois que le pays des Hommes intègres va vivre une élection vraiment ouverte, en ce sens qu’il n’y a pas de président sortant candidat à sa propre succession. Cela est la conséquence directe de la chute du régime de Blaise Compaoré, balayé par une insurrection populaire fin octobre 2014. Les Burkinabè attendent avec espoir cette élection. Mais pour que cet espoir ait des chances de se concrétiser, il urge que les sorties de certains hommes politiques, qui n’augurent pas de lendemains calmes, cessent au plus vite. Bien entendu, la tension d’une campagne électorale relève, à la limite, du naturel. Chaque camp, chaque candidat étant dans la dynamique de tout faire pour remporter la mise, la fièvre monte presqu’inexorablement. Chaque candidat vante ses propres mérites et vend son programme en prenant bien soin de discréditer au mieux ceux de ses concurrents. Il n’y a pas de raison de céder à la panique.

Dans le cas du Burkina, il est compréhensible que ceux qui ont perdu le pouvoir aient à cœur de le reconquérir. Surtout que pour avoir été aux affaires pendant un si long moment, ils connaissent les avantages et privilèges que le pouvoir confère à ceux qui le détiennent, sous nos tropiques. Il n’est pas moins compréhensible que ceux qui n’ont encore jamais exercé le pouvoir, se battent pour le conquérir. Même s’ils n’ont pas la connaissance exacte des avantages qu’il y a, pour n’en avoir pas encore bénéficié, ils s’en font une idée. Et généralement, cette idée séduit et galvanise. Dans un pays comme le Burkina où la misère est ambiante, bien des gens voient en la politique le moyen le plus facile d’accéder à la richesse. C’est fort déplorable, mais c’est cela la réalité. Ainsi, au-delà du discours officiel, il y a des raisons inavouées et probablement inavouables de vouloir remporter une élection ou d’œuvrer à rester par tous les moyens, le plus proche possible de la mangeoire. Seulement, il y a des limites à ne pas dépasser dans ce combat politique.

Il importe que les uns et les autres laissent les gardiens de la loi fondamentale travailler de façon libre et lucide

La campagne électorale doit se faire dans le respect de la personne de  l’adversaire. Elle doit être civilisée. En d’autres termes, tous les coups ne sont pas permis aux candidats à un scrutin électoral dans un Etat de droit. Et pour s’assurer que tout se passe dans les règles de l’art, la loi fixe des balises. En effet, dans cet univers de passion, la loi intervient pour donner les conditions dans lesquelles le jeu doit se dérouler et le juge vient se poser en arbitre par sa compétence à interpréter la loi. Sauf que la loi électorale burkinabè fait des gorges chaudes. On se souvient que l’ex-majorité a dû faire d’abord un recours devant le Conseil constitutionnel burkinabè, puis devant la Cour de justice de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Un recours contre les dispositions de la nouvelle loi électorale, relatives aux conditions d’éligibilité de certains candidats aux prochains scrutins. Le problème est que le verdict de la Cour de Justice de l’instance communautaire ouest-africaine, n’a pas permis de décanter complètement la situation ; chaque camp voyant midi à quatorze heures dans le verdict de la Cour.

Le chef de l’Etat burkinabè y est également allé de son couplet, en déclarant que le Burkina Faso « se conformera au verdict de la Cour ». Cela n’a pas non plus aidé à trancher davantage la question, ce d’autant plus que l’Exécutif de la Transition s’est abstenu de toute initiative tendant soit à préciser les dispositions querellées, soit à les extirper du Code électoral par l’entremise d’un nouveau vote du Conseil national de la Transition. Résultat : le Code électoral contesté reste en vigueur. Il appartiendra au juge constitutionnel saisi, de l’interpréter dans un sens comme dans un autre. Certes, il pourrait tenir compte du verdict de la Cour de justice de la CEDEAO. Mais, cela ne peut pas se faire sur injonction de l’Exécutif, sauf à vouloir fouler au pied le sacro-saint principe de séparation des pouvoirs. C’est dire que le chef de l’Etat et le gouvernement, en maintenant le statu quo sur la loi électorale après avoir annoncé la décision du Burkina de se conformer au verdict de la CEDEAO, n’ont pas contribué à départager les parties, à désarmer les esprits sur des bases objectives et nouvelles. Ils semblent avoir refilé la patate chaude au Conseil constitutionnel.

En tout état de cause, c’est ce Conseil qui est habilité à se prononcer sur tout recours contre toute  candidature à ces scrutins du 11 octobre 2015. Hélas, force est de constater que le Conseil constitutionnel fait actuellement l’objet de pressions, d’invectives, de préjugés et  d’a priori, suite au recours qu’il a reçus concernant les candidatures aux législatives. Pourtant, au stade où nous en sommes, c’est faire un procès d’intention aux juges constitutionnels que de leur attribuer des penchants. Jusqu’à preuve du contraire, Kassoum Kambou et son équipe n’ont pas posé d’acte qui montre qu’ils sont animés d’un esprit de partialité. Toujours est-il qu’il importe que les uns et les autres laissent les gardiens de la loi fondamentale travailler de façon libre et lucide, sans menace ni pression. Il faudra que chaque protagoniste évite soigneusement de vouloir trier dans l’arsenal juridique, ce qui fait son affaire pour le revendiquer et rejeter ce qui  l’arrange moins, ou pas du tout. Le Conseil constitutionnel, lui, serait bien inspiré de rester dans son rôle républicain, en tranchant en toute âme et conscience, à charge pour chaque partie de s’y plier ou d’emprunter d’autres voies de droit pour faire entendre sa cause. C’est cela l’esprit de l’Etat de droit et il convient que tous les acteurs s’y inscrivent sans plus tarder. En tout cas, il faut éviter à tout prix, de brûler la Maison commune.

« Le Pays »


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