HomeLignes de mireDESERTIONS DE SOLDATS NIGERIANS :Un repli tactique qui laisse dubitatif

DESERTIONS DE SOLDATS NIGERIANS :Un repli tactique qui laisse dubitatif


A l’échelle de l’Afrique, le Nigeria est une puissance militaire en termes de budget alloué à l’armée (4,5 milliards d’euros par an), d’effectifs et d’équipements. Comment se fait-il alors que cette armée donne aujourd’hui l’impression de ne pas faire le poids devant Boko Haram ? Une des illustrations de cette incapacité de l’armée de Goodluck Jonathan à contrer les « barbus » d’Aboubakar Shekau, vient d’être donnée avec la désertion de 500 soldats nigérians qui se sont retrouvés en territoire camerounais avec armes et bagages, le dimanche 24 août dernier.

 

L’armée nigeriane donne l’impression d’être une armée à deux vitesses

 

En effet, le lundi 25 août dernier, des soldats ont encore trouvé refuge au pays de Paul Biya suite à une attaque de la secte islamiste, lancée contre la ville de Gamboru Ngala près de la frontière avec le Cameroun. Le moins que l’on puisse dire est que le rapport de force, enclenché depuis 5 ans dans le nord-est du pays, est actuellement à l’avantage du mouvement islamiste. Cela pourrait se comprendre au regard des faits suivants.

D’abord, l’armée nigériane est minée par une corruption et une désorganisation endémiques. Elle est le lieu d’affairisme et de détournements opérés en toute impunité par une caste d’officiers qui mènent un train de vie insultant, par rapport aux conditions de précarité dans lesquelles évoluent les hommes du rang. De ce fait, l’armée nigériane donne l’impression d’être une armée à deux vitesses. D’un côté, l’on a l’oligarchie militaire, constituée de hauts gradés et d’officiers de salon, pour lesquels la défense de l’intégrité du territoire et des institutions légitimes du pays est un principe qui n’engage que ceux qui y croient. De l’autre côté, l’on a la troupe qui tire le diable par la queue, et qui regarde, sans avoir les moyens d’inverser la tendance, les crédits colossaux alloués par l’Etat pour leur ordinaire et pour leurs équipements, détournés par leurs chefs tapis dans leurs bureaux feutrés d’Abuja, loin du théâtre des opérations. Dans ces conditions, l’on peut comprendre la promptitude avec laquelle les soldats engagés sur le front, traversent la frontière pour se mettre à l’abri au Cameroun. Certainement, ils ne voient pas la nécessité d’offrir leur poitrine aux balles des djihadistes. C’est pourquoi l’on peut dire que les désertions de ces derniers jours, que les autorités militaires, toute honte bue, ont vite fait d’interpréter comme un repli tactique, sont l’expression d’un manque d’engagement et de motivation des troupes dont le moral est au plus bas.

 

Le Nigeria est à la croisée des chemins

 

Il faut même se féliciter que les déserteurs n’aient pas laissé à l’ennemi leur armement. Cela aurait permis à Boko Haram d’accroître sa capacité de nuisance qui, déjà, est très redoutable.

Ensuite, la déroute de l’armée nigériane, pour ne pas dire la capitulation face aux exactions de Boko Haram, pourrait être une des conséquences d’un manque d’union sacrée autour de Goodluck Jonathan, face à l’adversité. Ce dernier, qui est en train d’essuyer des tirs de toutes parts, se retrouve aujourd’hui dans une solitude politique qui fait visiblement l’affaire des insurgés islamistes. Même dans sa propre famille politique, l’homme est voué aux gémonies. Les détracteurs de Goodluck Jonathan peuvent être tentés d’applaudir les victoires militaires engrangées par Boko Haram et de les imputer à sa gouvernance. Politiquement, ils peuvent en tirer des dividendes susceptibles de leur rendre service, à l’occasion des élections à venir.

Cela dit, aujourd’hui plus que jamais, l’on peut dire que le Nigeria est à la croisée des chemins. Le destin du pays est en train de se jouer. Au rythme où vont les choses, surtout avec la création du califat sur son sol, on risque même d’assister à une implosion du Nigeria. Les désertions et les libertés que se donnent les insurgés de Boko Haram pourraient en être des signes précurseurs. Peut-être que le Nigeria aurait évité toutes les tentatives sécessionnistes qui ont jalonné son histoire politique, si le pays n’avait pas opté pour le fédéralisme qui, dans le cas d’espèce, donne l’impression d’exacerber les spécificités régionales et communautaires, au détriment du sentiment d’appartenance à une même nation. Pour preuve, son voisin, le Cameroun qui n’a jamais voulu de cette organisation politique et administrative du pays, semble résister mieux aux assauts de Boko Haram. En effet, l’armée Camerounaise lui a fait subir de lourdes pertes, en tuant 27 de ses combattants et en détruisant de nombreux matériels de combat, le 26 août dernier, au cours de violents combats à la frontière avec le Nigeria.

 

Pousdem PICKOU


No Comments

Leave A Comment