HomeA la uneDIALOGUE POLITIQUE AU TOGO : Le médiateur se fera-t-il ôter sa « kita *» ?

DIALOGUE POLITIQUE AU TOGO : Le médiateur se fera-t-il ôter sa « kita *» ?


La reprise des négociations inter-togolaises, vendredi dernier, à Lomé, sous l’égide de la facilitation ghanéenne, a été pour ainsi dire de très courte durée, puisqu’elles ont été remises aux calendes grecques le même jour par le médiateur Nana Akufo-Addo, après que ce dernier a constaté que les deux parties restaient inflexibles sur leurs positions par rapport au sort du président togolais, Faure Gnassingbé, au sortir de ces pourparlers. La coalition des 14 partis de l’opposition tient mordicus à ce que l’actuel chef de l’Etat togolais débarrasse le plancher avant la présidentielle de 2020, alors que les partisans de ce dernier s’arc-boutent non seulement sur son mandat constitutionnel en cours jusqu’en 2020, mais également sur la possibilité qui devrait lui être donnée de rebeloter jusqu’en 2025.

Le défi est immense pour Nana Akufo Addo

Face à ces positions tranchées, le médiateur n’avait d’autre choix que de suspendre le dialogue de sourds, afin de prendre du temps et du recul pour formuler des propositions acceptables par tous et salvatrices pour ce pays actuellement déchiré par l’une des plus graves crises sociopolitiques de son histoire. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le défi est immense pour Nana Akufo Addo, pour qui connaît la méfiance entre les protagonistes de la crise, qui s’accusent mutuellement de roublardise dans cette partie de poker menteur qui se joue actuellement dans leur pays. Comment le médiateur ghanéen s’y prendra-t-il pour amener les uns et les autres à lâcher du lest sur l’épineuse question du départ anticipé ou non de Faure Essoazina Gnassingbé ? De toute évidence, il lui faudra plus que des talents de trapéziste pour ne pas donner l’impression qu’il penche en faveur de l’un ou l’autre des camps, et qu’il ne travaille pas pour l’intérêt de groupuscules ou de clans, mais plutôt de celui de toute la nation togolaise terriblement meurtrie à cause de l’irresponsabilité de certains de ses fils. Déjà, les critiques fusent de partout, les uns accusant le médiateur de faire le jeu du pouvoir en reportant sine die le dialogue direct tout en sachant qu’on s’achemine inexorablement vers la date de la prochaine élection présidentielle et que le temps ne suspendra pas pour autant son vol malgré les supplications du poète, les autres estimant quant à eux que le voisin et président ghanéen fait la part trop belle à une opposition dont les velléités putschistes sont clairement affichées. Une chose est sûre, le statu quo actuel n’arrange ni le facilitateur ghanéen qui espérait saisir là l’occasion de se faire adouber par ses pairs comme un fin négociateur avec toutes les dividendes politiques et diplomatiques qu’il pourrait en tirer, ni les frères ennemis togolais qui jouent gros leur survie politique et même physique avec le possible pourrissement de la situation propice à l’irruption sur la scène, d’un troisième larron en casquette et tenue kaki, comme ce à quoi l’on avait assisté au Mali, en Côte-d’Ivoire et au Niger. On ne le répétera jamais assez, un mauvais compromis vaut mieux qu’une bonne guerre, et les deux camps togolais qui se livrent ces dernières semaines à des discours bellicistes inutilement surabondants dans les médias et sur la toile, doivent s’apprêter à en assumer les conséquences devant l’Histoire. Les chantages et les menaces réciproques peuvent à la limite désabuser le médiateur au point de l’amener à abandonner sa «Kita» sur les berges de la lagune de Bè, mais ils ne résoudront pas pour autant le problème de fond qui est celui de la succession du dernier des Gnassingbé à la tête de l’Etat.

Tous sont conscients des risques et des enjeux du jusqu’au-boutisme en cours

Le parti au pouvoir a opéré un certain nombre de rétropédalages par rapport notamment au processus électoral, à la libération des prisonniers et au mode de scrutin, entre autres, mais il doit savoir que le nœud gordien qu’il va falloir trancher se trouve à Lomé II, en acceptant le principe du départ du président Faure. Tout autre stratagème pour prolonger le mandat de ce dernier au-delà de 2020, serait suicidaire et le Rassemblement du peuple togolais devenu l’UNIR (Union pour la République), au pouvoir depuis une cinquantaine d’années, ne fera pas l’injure à son électorat en lui faisant croire qu’il n’y a que Faure Gnassingbé en son sein pour tenir les rênes du pouvoir. De son côté, l’opposition doit se rendre à l’évidence qu’il est difficile de déboulonner un système vieux d’autant d’années, surtout si celui-ci se prévaut d’une légalité reconnue par tous, et qu’elle doit pouvoir supporter ce régime encore pendant deux petites années si elle veut vraiment s’inscrire dans une logique républicaine. Espérons que tous sont conscients des risques et des enjeux du jusqu’au-boutisme en cours, et qu’ils finiront par signer un modus vivendi qui inclurait le président actuel jusqu’à ce qu’il tire sa révérence, en 2020. Alors, pourquoi ne pas aller tout de suite vers cette sortie de crise honorable pour eux-mêmes et pour le médiateur, au lieu de tirer inutilement sur une corde déjà raide, avec le risque de voir le Togo aujourd’hui économiquement très mal en point, tomber au fond de l’abime ?

« Le Pays »

 

* kita : tenue traditionnelle que portent généralement les rois ou autres personnalités au

Ghana


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