HomeA la uneDUEL ESSEBSI- MARZOUKI : La Tunisie à la croisée des chemins

DUEL ESSEBSI- MARZOUKI : La Tunisie à la croisée des chemins


Les Tunisiens retiennent leur souffle. La première élection présidentielle libre du pays, vient de connaître son épilogue avec le second tour tenu ce dimanche 21 décembre 2014. En rappel, ce second et dernier round de la présidentielle a mis aux prises deux hommes aux parcours différents : Beji Caïd Essebsi et Moncef Marzouki. Le premier est arrivé en tête du premier tour du scrutin. Ancien ministre de l’Intérieur de Bourguiba, président du Parlement sous Ben Ali, puis diplomate, il a été le Premier ministre de la transition, après la chute du régime de Ben Ali. Considéré comme l’homme du passé, il voue une certaine hostilité à l’égard des islamistes. Quant à son challenger, Moncef Marzouki, ancien opposant au régime de Ben Ali, longtemps exilé en France, il se positionne en garant des acquis de la révolution tunisienne qui a chassé le président Ben Ali du pouvoir. Il a quelques atomes crochus avec le parti islamiste Ennhada avec lequel il a dû composer pour accéder au poste de président de la transition en 2011.

La Tunisie s’illustre positivement en termes de démocratie

Les deux hommes ont chacun ses forces et ses faiblesses. Marzouki a un bilan quelque peu flatteur à la tête de la transition, lui qui a su conduire à bon port le navire, au moment où la Tunisie a dû prendre des décisions cruciales comme l’adoption d’une nouvelle Constitution. Mais, sa proximité avec les islamistes d’Ennhada peut être considérée comme une faiblesse en matière de conquête électorale, quand on sait que les islamistes qui avaient remporté les élections en 2011, n’ont pas connu le même succès aux dernières élections législatives. Surtout que des islamistes avouent être pour quelque chose dans les assassinats récents d’hommes politiques dans le pays. Quant à Essebsi, son âge avancé -88ans- n’est pas vraiment un atout, de même que ses accointances avec le régime déchu de Ben Ali. Mais, il a l’avantage d’avoir remporté avec son parti Nidaa Tounes, les récentes législatives et de se poser en adversaire farouche et résolu du péril islamiste.

Le premier tour de cette présidentielle a déjà permis de constater l’élan démocratique dans le pays de Bourguiba. Dans bien des pays du monde arabe, comme on le sait, les dirigeants sont élus avec des scores soviétiques. L’Algérie a même réussi le tour de force d’élire en un seul tour un Boutéflika en fauteuil roulant, certes président sortant, mais candidat visiblement fatigué tout de même. C’est dire à quel point la Tunisie s’illustre positivement en termes de démocratie « requinquée », en mettant en ballotage défavorable le président transitoire Moncef Marzouki, arrivé avec six points de retard sur son vis-à-vis, Beji Caïd Essebsi. La Tunisie s’est donc montrée, une fois de plus, à la hauteur de sa réputation de phare de la démocratie dans le monde arabe. Et tout cela, dans le calme et la sérénité et dans une ambiance bon enfant. C’est ce qu’on retient du premier tour.  Quant au second, changement de  décor : la tension est montée d’un cran. Tant et si bien que la Commission électorale a dû monter au créneau pour mettre en garde le candidat Moncef Marzouki.

La problématique islamiste reste entière

Des tensions somme toute compréhensibles, mais pas excusables est-on tenté de dire. C’est le dernier virage et chaque candidat, voulant gagner, jette son va-tout dans la bataille avec les risques de dérapage que cela comporte.

Ce sont deux visions de la Tunisie qui se sont affrontées à travers les deux challengers. Si Marzouki venait à passer, ce serait une Tunisie en rupture de ban avec son passé, qui serait ainsi consacrée. Si par contre, Essebsi venait à confirmer son avantage du premier tour et à remporter le challenge, ce serait la consécration d’une Tunisie nostalgique du « bourguibisme », en ce sens que lui-même et certains de ses camarades sont de purs produits des anciens régimes de Bourguiba et de Ben Ali. On peut dire, de ce fait, que la Tunisie était à la croisée des chemins dans cette élection, en ce sens qu’elle avait à faire un choix entre ce qui est théoriquement une rupture et ce qui peut être considéré comme une   résurgence du passé. L’enjeu majeur de ce scrutin reste l’acceptation des résultats des urnes par les uns et les autres. Si les perdants acceptent leur défaite, le pays pourra confirmer et conforter ses acquis démocratiques engrangés depuis le début du printemps arabe. Il faudra donc croiser les doigts pour que rien ne vienne entraver cette marche radieuse vers une nouvelle ère démocratique.

Si Marzouki remporte ce scrutin, on se dirigera vers une cohabitation en ce sens que c’est le parti de Essebsi qui avait remporté les récentes législatives. Par contre, si  Essebsi  remporte le scrutin, il y aura certainement moins de difficultés dans la gestion du pays, car le chef de l’Etat sera du même bloc que les membres du gouvernement et la majorité parlementaire, le bloc conduit par Nidaa Tounes. Cela dit, la problématique islamiste reste entière, quel que soit celui qui sera élu. On sait que Ennhada, qui a subi un échec relatif aux récentes législatives,  a dû renoncer à la présidentielle à son corps défendant. Les islamistes restent certainement aux aguets. Nul doute qu’ils tenteront de rebondir à la moindre occasion. Tout dépendra donc de la gouvernance du nouveau président. Si les populations trouvent leur compte dans cette gouvernance, les islamistes se verront couper l’herbe sous les pieds. Une   gouvernance erratique et approximative leur donnera au contraire des ailes, des arguments pour rebondir. En tout état de cause, la Tunisie est dans l’obligation de réussir à franchir ce pallier supplémentaire de son retour à la démocratie, rien que pour honorer la mémoire des martyrs du printemps dont le sacrifice suprême a ouvert les vannes d’une gouvernance vertueuse dans le pays de Bourguiba, et inspiré, avec plus ou moins de succès, d’autres peuples à travers le monde, arabo-musulman surtout.

 

« Le Pays »


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