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EL BECHIR FACE A LA REVOLTE DU PAIN


 Le pouvoir à vie ou la CPI

C’est un Omar El Béchir entre le marteau de son peuple insurgé et l’enclume de la Cour pénale internationale (CPI), qui est encore une fois monté au créneau, jeudi dernier, pour accuser ceux qui réclament désormais ouvertement son départ du pouvoir, d’intelligence avec l’étranger en vue de déstabiliser son régime. Jamais, en effet, l’homme fort de Khartoum n’a été autant acculé, et de nombreux observateurs pensent que cette fois-ci, il est en train de jouer son va-tout ou sa survie dans cette crise déclenchée suite à la hausse du prix du pain décidée par le gouvernement, l’année dernière. Le Soudan, faut-il le rappeler, est économiquement asphyxié par plusieurs années de guerre civile, et surtout par la partition du pays avec l’indépendance du Soudan du Sud en 2011, soldée par la perte des ¾ de ses réserves pétrolières. La dépréciation de la livre soudanaise a gravement accentué le marasme économique déjà durement ressenti par les populations, et le régime n’avait guère de choix dans ce contexte, que de mettre en place un plan d’austérité qui induit, entre autres, une augmentation du coût des denrées alimentaires. C’est l’inflation du prix du pain qui est l’une des denrées les plus consommées au Soudan, qui a constitué le casus belli, et les manifestations pour s’y opposer ont fini par gagner la capitale, malgré la répression féroce de la police et le travail de filature d’agents agissant pour le compte du régime et des puissants services de renseignement qui font de Khartoum l’une des villes les plus surveillées d’Afrique. Les émeutiers de la faim surfent sans aucun doute sur le climat politique déjà explosif, surtout depuis qu’Omar El Béchir, aux commandes du Soudan depuis 1989, a eu la mauvaise idée de faire modifier la Constitution afin de briguer un autre mandat, à la fin, en 2020, de celui en cours. Cette connexion entre le politique et le social dans cette crise, est d’autant plus vraisemblable  qu’on a entendu des manifestants appeler ouvertement à la chute du régime, et des opposants historiques comme Sadek al-Mahdi se délecter de cette avalanche de tuiles sur son tombeur et ennemi juré.

Le « Raïs » se donnera tous les moyens pour s’accrocher à son fauteuil

Pour éviter d’être chassé du pouvoir et de voir les portes de la justice s’ouvrir grandement devant lui, le président soudanais a durci le ton ces derniers jours et a menacé les leaders de l’opposition qui travailleraient, selon lui, pour le compte de puissances étrangères, de sanctions à la hauteur de leur trahison. Déjà, une vingtaine de manifestants ont été tués, de source officielle, une quarantaine selon Amnesty International, et le nombre va aller malheureusement crescendo puisque les deux parties raidissent leurs positions jour après jour. Pas plus tard qu’hier, des milliers de Soudanais sont descendus dans les rues de Khartoum et d’autres villes du pays, pour crier encore une fois leur ras-le-bol, mais le régime policier de El Bachir a rapidement et violemment arrêté les marcheurs qui menaçaient de fondre sur le palais présidentiel. Le bilan n’est pas encore connu, mais il n’y a pas de doute que les chiffres de la comptabilité macabre vont grossir, quand on sait que le président soudanais est bien conscient qu’après le pouvoir, la seule perspective qui s’offre à lui est la CPI qui a délivré le premier mandat contre lui depuis le 4 mars 2009 pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis par sa soldatesque et ses barbouzes durant la guerre du Darfour. Entre finir ses jours dans le luxueux et imposant palais présidentiel dont il arpente les couloirs depuis 30 ans, et une cellule de 10 mètres carrés à Scheveningen, le choix est évidemment vite fait, et le « Raïs » se donnera tous les moyens pour s’accrocher à son fauteuil. Il se servira bien sûr du bâton contre ses opposants comme il sait si bien le faire, mais il proposera dans le même temps la carotte à la frange docile du peuple afin d’avoir sinon son silence, du moins sa neutralité dans cet énième combat à l’issue incertaine. Dans son allocution du 3 janvier dernier, il a annoncé une augmentation substantielle des salaires et bien d’autres avantages pour les fonctionnaires, mais reste à savoir si ce « cadeau suspect » suffira à calmer les ardeurs de ceux qui souhaitent le voir enfin débarrasser le plancher, dont les plus radicaux sont d’ailleurs des agents de l’Administration publique. Si l’arme de la corruption ne percute pas comme il le veut, c’est certain qu’il fera encore appel à ses snipers qui auront l’ordre de tirer à vue sur les manifestants depuis les toits des immeubles, exactement comme en septembre 2013 où plus de 200 personnes avaient été massacrées pour avoir dénoncé la tyrannie et la mal gouvernance du régime. Cette stratégie du chaos pourrait être contreproductive et même extrêmement dangereuse pour Béchir, car si le peuple soudanais arrivait à le déloger du palais présidentiel comme il semble en avoir l’intention, il irait dans le meilleur des cas répondre de ses actes devant la Justice internationale avec des charges encore plus lourdes du fait des dernières répressions sur lesquelles la CPI enquête déjà. Tant qu’à faire, l’inamovible président soudanais a plus à gagner en négociant sa sortie de scène avec ses compatriotes de l’opposition, qui pourraient, le cas échéant, lui indiquer le chemin de l’exil vers un pays ami comme l’Arabie Saoudite où il retrouverait l’autre victime de la rue, Zine el-Abidine Ben Ali, ex-dictateur de la Tunisie et première victime de ce qu’on a appelé le « printemps arabe ».

Hamadou GADIAGA


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