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ELECTIONS GENERALES AU NIGERIA


 Yakoubou n’a plus droit à l’erreur

La nouvelle a fait l’effet d’une bombe au Nigeria. A moins de 5 heures de la tenue des élections générales, la Commission électorale nationale indépendante (INEC), à l’issue d’une réunion d’urgence, l’on s’en souvient, a décidé du report et du découplage du scrutin. La présidentielle a finalement été fixée au 23 février prochain et les élections législatives différées un peu plus tard, soit le 9 mars 2019. Le président de l’institution, Mahmood Yakoubou, a motivé principalement ce renvoi des consultations électorales à des dates ultérieures par des problèmes logistiques. Alors que cet argument continue de faire des gorges chaudes, parce que d’aucuns estiment qu’il cache des non-dits, le pays subit de plein fouet les conséquences du report.

Le Nigeria confirme qu’il est un pays de grande pagaille

La conséquence la plus visible de ce report est la morosité économique ambiante. Le pays vit au ralenti et ce, en particulier dans la capitale économique, Lagos où de nombreuses entreprises avaient mis la clé sous le paillasson, par  mesure de précaution et n’ont plus rouvert depuis. Dans de nombreux marchés,  des étals et boutiques restent clos, occasionnant de grosses pertes pour les commerçants qui refreinent difficilement leur colère. Par ailleurs, le Nigeria étant le poumon économique de l’Afrique de l’Ouest, c’est tout l’espace CEDEAO qui en subit les contrecoups. A titre illustratif, l’autoroute faisant la jonction entre le Nigeria et le Bénin qui constitue l’une des artères économiques les plus importantes de la vie économique sous-régionale, est restée fermée au trafic. L’on peut aisément imaginer les conséquences sur les seuls échanges commerciaux dans la sous-région.

Au-delà des conséquences économiques, c’est l’image du pays tout entier qui s’en trouve ternie. Le Nigeria confirme avec ces reports à n’en pas finir, qu’il est un pays de grande pagaille. Et ce cliché ne fait pas du bien à un pays qui aspire à jouer un rôle de leadership au plan continental. 

Une autre conséquence de ce report des élections générales, c’est l’atmosphère socio-politique qui s’est empuantie du fait des soupçons qu’il a aggravés. En effet, c’est à une véritable passe d’armes que l’on assiste entre les deux camps qui s’accusent mutuellement d’être en sous-main les instigateurs du report. En effet, dans un communiqué, le directeur de la campagne du président sortant Muhammadu Buhari affirme que « des rumeurs suggèrent que ce report a été orchestré par le principal parti de l’opposition, le PDP, qui n’a d’ailleurs jamais été prêt pour cette élection ». Réponse du berger à la bergère, le candidat de l’opposition, Abubakar Atiku, estime que ses challengers ont ourdi le complot du report parce qu’ils « savent que le peuple nigérian est déterminé à les rejeter. Ils sont désespérés et ils feraient n’importe quoi pour éviter cela ». Au-delà de cette surenchère politique verbale, ces accusations peuvent porter un coup au crédit du scrutin et nourrir potentiellement une crise post-électorale. Et on le sait, le Nigeria qui est déjà un grand malade du fait des exactions de la secte islamique Boko Haram, n’a pas besoin de cela.

On comprend pourquoi l’INEC est sous les feux des critiques

Cela dit, ce qu’il faut aujourd’hui redouter, c’est l’impact de ce report sur le taux de participation au scrutin. Car la grande partie des 84 millions d’électeurs attendus dans les urnes a dû faire des déplacements pour rejoindre leurs circonscriptions électorales. Au-delà des désagréments et des difficultés que le report ne manque de provoquer, il faut craindre une désaffection vis-à-vis de l’élection avec pour conséquence une faible participation. C’est en tout cas ce qui ressort en filigrane des propos de certains Nigérians  quand ils disent : « ils  nous prennent pour des idiots ». Et l’autre grande inconnue, c’est ce que fera Boko Haram de cette rallonge que lui offre gracieusement la Commission électorale nationale indépendante. La secte islamiste pourrait bien profiter de ce report pour mieux affiner sa stratégie de perturbation du scrutin.  Même si pour l’instant, ces ingénieurs du mal, n’ont pas, comme pour les élections précédentes, appelé à saboter les élections, il faut craindre leur mutisme qui peut se révéler plus ravageur. Car quand ils se montrent peu loquaces, ils ne le font  que par la poudre. Dans tous les cas, tout ceci vient s’ajouter à la psychose des populations, à l’approche du scrutin.

En tout état de cause, l’on comprend pourquoi l’INEC qui n’est pas à sa première forfaiture, est sous les feux des critiques. Ils sont nombreux les candidats, déjà éreintés par la campagne exceptionnellement longue, à appeler à la démission du président de la commission électorale. Même si certains doutent que cela soit la bonne solution, il se pose aujourd’hui  la nécessité de procéder à des réformes électorales en profondeur comme d’ailleurs le recommandent trois rapports gouvernementaux successifs. Mais en attendant l’ère des grandes refondations, l’INEC se doit de tout faire pour éviter tout nouveau report, de peur de créer une crise de légitimité et de légalité qui viendrait mettre à mal la stabilité des institutions et la cohésion sociale dans ce pays qui est perçu comme un géant aux pieds d’argile.

« Le Pays »


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