HomeFocusELECTION D’UN NOUVEAU PARLEMENT EN LIBYE: Quelle légitimité?

ELECTION D’UN NOUVEAU PARLEMENT EN LIBYE: Quelle légitimité?


Hier 25 juin 2014, les Libyens se sont rendus aux urnes pour désigner les 200 membres du nouveau parlement : le Congrès général national. Toutefois, avec ce scrutin, les députés risquent de souffrir d’un déficit de légitimité.

Les insuffisances sont criardes, et les futurs représentants du peuple pourraient se voir traités de « mal élus ». Or, ce scrutin a pour enjeu de définir la forme que prendra l’élection du président. Les islamistes souhaitent qu’il soit nommé par le futur Congrès. Leurs adversaires aimeraient qu’il soit élu au suffrage direct. En attendant, le pays reste aux mains de groupes armés. Le Congrès sortant, élu il y a deux ans, est justement l’une des causes majeures de l’instabilité du pays. Les congressistes avaient en effet cherché à prolonger leur mandat, lequel aurait dû expirer en février dernier. La rue n’était pas de cet avis. Tout au long de la législature, députés libéraux et islamistes auront donc passé le temps à se neutraliser.

 

L’après-Kadhafi baigne toujours dans l’incertitude

 

La principale mission du Congrès général national était de superviser la rédaction d’une Constitution. Il a échoué sur ce point, comme sur beaucoup d’autres. Les Libyens ont aussi reproché à de nombreux parlementaires leur proximité avec les milices armées. Par exemple, celle qui, en octobre dernier, avait enlevé plusieurs heures durant, le Premier ministre d’alors, Ali Zeidan. Cette milice était sous la responsabilité du président du Congrès lui-même. La désignation des Premiers ministres a également permis de mettre en relief l’absence de consensus. Au mois de mai dernier, la Libye ne comptait pas moins de trois Premiers ministres. Les nombreux députés indépendants ont passé le temps à jouer aux adeptes du nomadisme parlementaire. En naviguant sans gêne d’un camp à l’autre, ils auront beaucoup contribué à rendre inopérant le Congrès déjà fragmenté. Nul doute que les contradictions iront s’exacerbant avec la nouvelle règle, consacrant les candidatures individuelles.

C’est que l’après-Kadhafi baigne toujours dans l’incertitude et l’indécision. La Libye d’aujourd’hui est un pays non pacifié. L’insécurité règne en permanence, avec des combats à Benghazi et ailleurs. Pour des questions d’intérêts, le vote conduisant à l’installation du nouveau parlement pourrait bien compliquer les choses. Les populations sont préoccupées par bien d’autres problèmes ayant trait notamment à la survie. Depuis bientôt un an, la plupart des terminaux pétroliers sont bloqués. Cela ne contribue guère à renflouer les caisses, encore moins à redonner vie à l’Etat que les milices armées s’acharnent à dépecer. Finalement, dans ce pays, le contribuable paye pour ne rien obtenir de l’Etat en retour. La confiance semble également avoir vécu. Plus que jamais, l’insécurité et l’instabilité politique dictent leurs lois.

La Libye souffre aujourd’hui de divers maux. Surtout pour n’avoir pas été accompagnée par les puissances à l’origine de l’éviction et de l’assassinat du Guide de la Jamahiriya Libyenne populaire et socialiste. Aux yeux des puissances, seul importe le pétrole. Pas vraiment le peuple. Les malheurs de ce pays, viennent surtout du fait qu’il n’y a pas eu véritablement de « service après vente » après Kadhafi. Ce « service après vente » n’existe pas du fait que l’objectif n’était pas de construire la Libye !

 

Inutile de se hâter pour mettre en place un parlement illégitime

 

Aujourd’hui, sans doute pour des raisons stratégiques et tactiques, l’Occident s’est plus ou moins retiré pour voir les choses en spectateur. Le pays est devenu la proie de groupuscules terroristes et de diverses milices armées. Dans l’arène que les Occidentaux ont abandonnée pour faire de l’observation, de nombreux acteurs sont aux prises, chacun poursuivant ses propres intérêts. Quand les Libyens oseront-ils regarder les choses en face, pour enfin s’assumer ?

La disparition de Kadhafi aurait dû favoriser l’émergence d’un Etat de droit démocratique. Mais, force est de reconnaître que l’échec est patent. C’est la conséquence des longs règnes dans nos républiques bananières. Ils annihilent toute initiative créatrice, surtout lorsqu’elle va dans le sens de l’alternance et de la démocratie. La boulimie du pouvoir aidant, on en vient ainsi à célébrer autant la mégalomanie que le culte de la médiocrité. Très vite, le système génère l’impunité et fabrique à souhait des délinquants à cols blancs. Ainsi se meurt l’Etat en Afrique, et se perpétuent des valeurs à l’opposé de ce dont la démocratie républicaine se fait l’écho.

Les Libyens peuvent et doivent eux-mêmes travailler à trouver des voies de pacification. Une fois la situation de « ni guerre ni paix » résolue, on pourra alors chercher à mettre en place les instruments de l’Etat de droit. L’on peut envisager par exemple de travailler à mettre en place une sorte de conseil appelé à jouer le rôle du parlement. Un tel conseil sera encore plus représentatif des régions à l’étape actuelle de l’évolution du pays. Il conviendrait de prendre le temps qu’il faut et d’œuvrer de concert, afin de pouvoir disposer d’un parlement légitime. Inutile de se hâter pour mettre en place un parlement illégitime. Il aurait été prioritaire de chercher à résoudre le problème de l’Etat d’exception qui persiste. Les Libyens ont pourtant trop longtemps été comprimés. Nul n’ignore que sous Kadhafi, même si ses intérêts ont été défendus, le peuple a aussi été bafoué dans ses droits. Aujourd’hui, la parole est beaucoup plus libre, et on cherche à aller au-delà. Mais, il faut agir dans la cohésion.

Certes, le scrutin d’hier, paraît une étape importante dans le processus de transition démocratique en Libye. Mais, pourquoi chercher forcément à mettre en place un parlement qu’on voudrait représentatif dans un contexte aussi fragile ? Faire de cela un objectif à atteindre à tout prix, relève de l’obsession. En tout cas, cela revient à mettre la charrue avant les bœufs.

 

« Le Pays »

 


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