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ERNEST ABDOULAYE OUEDRAOGO, SG DE L’USTB


Elu à la tête de l’Union syndicale des travailleurs du Burkina (USTB) en septembre 2019, Ernest Abdoulaye Ouédraogo s’est assigné la mission de mobiliser les travailleurs membres de l’USTB, afin de les préparer aux éventuelles luttes pour l’amélioration de leurs conditions socio-professionnelles. Dans l’entretien qu’il nous a accordé le vendredi 12 juin 2020 à la bourse du travail, il nous dit comment il compte s’y atteler.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, vous allez d’abord vous présenter et nous dire ce que c’est que l’USTB ?

Ernest Abdoulaye Ouédraogo: Je m’appelle Ernest Abdoulaye Ouédraogo. Je suis le Secrétaire Général de l’USTB qui est l’Union syndicale des travailleurs du Burkina. Je suis arrivé à la tête de l’USTB en septembre 2019, avec l’ambition de redonner à l’USTB la place qui est la sienne dans l’arène syndicale parce que quoi qu’on dise, l’USTB est la première centrale du Burkina créée en 1947. Donc, il faut dire que c’est véritablement un gros parcours et l’USTB fait le maximum pour garder sa ligne syndicale, étant donné que nous sommes affiliés à la CSI/Afrique (Confédération syndicale internationale/Afrique) qui regroupe pratiquement tous les syndicats des pays africains, européens, asiatiques, américains. Et l’une des recommandations de la CSI/Afrique, c’est que les syndicats doivent contribuer au développement de leur pays. Donc, nous ne nous inscrivons pas du tout dans le syndicalisme putschiste qui consiste à se substituer à un pouvoir. Mais, nous donnons notre contribution afin que nos différents pays puissent avancer. Cela dit, nous sommes arrivés en septembre et nous avons de grands axes sur lesquels nous avons voulu asseoir notre mandat qui est de remobiliser l’USTB car, il faut l’avouer, nous sommes en perte de vitesse quand on sait que nous sommes la toute première structure. Il ne faut pas se gêner. Ça arrive. Mais nous faisons le maximum pour cela. Donc, étant donné que nous nous sommes inscrits dans cette dynamique, mais aussi dans la dynamique de contribuer un tant soit peu au développement du Burkina Faso sans être dans la revendication pure et dure, depuis septembre, nous avons essayé de réorganiser nos troupes, de revisiter nos bases. Disons que nous avons mis en place une politique d’approche des travailleurs pour mieux élargir nos bases. Malheureusement, avec la pandémie du Covid-19, toutes nos activités ont été mises en veilleuse pour faire face à l’essentiel qui est d’être en vie. C’est en cela que nous nous sommes mobilisés pour aider à arrêter la pandémie en contribuant comme on le pouvait auprès de nos travailleurs, de nos militants et de tous ceux qui sont des sympathisants de l’USTB. Maintenant que nous sommes en train de toucher le bout du tunnel, nous pensons redémarrer nos activités pour mieux nous affirmer sur le terrain.

Vous avez dit tout à l’heure que vous voulez redonner à l’USTB, la place qui a toujours été la sienne dans l’arène syndicale. Est-ce à dire qu’il y avait des insuffisances dans la gestion de l’ancien bureau ?

Alors, il faut dire que nous étions membres de ce bureau, quand bien même nous n’en étions pas les premiers responsables. Mais cela dit, nous sommes aussi comptables des insuffisances du bureau qui a été renouvelé en septembre dernier. Ces insuffisances, comme je le disais tantôt, sont en rapport avec la question de la mobilisation de nos militants. Il faut avoir l’humilité de reconnaître que nous n’avons pas fait beaucoup de choses à l’endroit de nos militants. Comme vous le savez, vous ne pouvez pas mobiliser quelqu’un en dehors de ses intérêts. Donc, il va falloir travailler de sorte à ce que les intérêts des travailleurs qui peuvent se sentir concernés par l’USTB, puissent être pris en compte.

« Il n’y a aucune école qui enseigne que pendant la grève, le piquet de grève, c’est le lieu du travail »

Quelle est la position de l’USTB par rapport à la radiation des trois agents du ministère des finances ?

Je pense qu’avant de répondre à cette question, il est quand même utile et nécessaire de revenir sur un certain nombre de faits qui ont conduit à cette situation. Et d’emblée, nous disons que nous déplorons ce qui est arrivé. C’est-à-dire la révocation des travailleurs parce que quoi qu’on dise, ce n’est pas une situation agréable. Cela dit, nous n’allons pas manquer de dire non plus que ces travailleurs sont allés très loin. Pour vous dire la vérité, aucune école syndicale n’enseigne d’aller bastonner quelqu’un qui a exercé également son droit de ne pas grever. Et s’il y a le droit de grève, c’est qu’il y a également le droit de ne pas grever. Pour revenir en arrière, je dis que c’est cette question d’IUTS qui a tout entraîné. C’est le fait de vouloir étendre l’IUTS qui est à la base de cette situation. Je ne voudrais pas parler de moi, mais je constate qu’il y a des travailleurs, dans ce pays, qui, depuis le jour où ils ont commencé à travailler, payent les IUTS sur tout. C’est-à-dire le salaire, les indemnités et les primes. C’est pour vous dire que chaque fois que leurs employeurs leur tendent une pièce de 5 Francs, les IUTS sont prélevés. Et on a toujours vécu dans ça. Maintenant qu’à un moment donné on a crié à l’injustice du fait qu’on a estimé que c’était du deux poids, deux mesures, nous avons purement et simplement demandé que le gouvernement qui applique les lois votées par l’assemblée nationale que nous avons tous contribué à mettre en place, puisse se montrer assez responsable pour quand même appliquer une loi. Nous avons dit oui à la loi tout en laissant la porte ouverte à la négociation. C’est ainsi que nous avons demandé au gouvernement de revisiter les seuils d’application des IUTS. C’est vrai qu’il y en a qui ont refusé d’aller aux discussions, c’est leur droit. Mais pour ceux qui paient déjà les IUTS, je ne vois pas en quoi on va s’abstenir d’y aller pour obtenir un tant soit peu une réduction. C’est dans cette logique que l’USTB, consciente du fait que c’est une loi, et consciente aussi du fait qu’au sein de l’USTB, beaucoup de travailleurs paient l’IUTS depuis la nuit des temps, est allée aux discussions. Au sortir des discussions, nous avons pu faire une proposition à la suite de celle du gouvernement. C’est vrai que nous n’étions pas d’accord avec la proposition du gouvernement, mais elle avait le mérite de réduire ce qu’on payait comme IUTS. Ce qui est déjà bon à prendre. Même si, comme on le dit en langage courant, c’est bon mais ce n’est pas arrivé. Mais il se trouve que certains ont dit qu’ils ne sont pas d’accord qu’on l’étende. Nous pensons que c’est leur droit légitime de ne pas être d’accord. S’ils décident aussi d’aller en grève, il n’y a pas de problème, mais qu’ils permettent aussi à ceux qui n’ont pas envie d’aller en grève ou qui n’ont pas le droit d’aller en grève parce qu’il est bon aussi de savoir que ce ne sont pas tous les travailleurs qui ont le droit d’aller en grève, de ne pas les suivre. C’est aussi simple que cela. Il n’y a aucune école qui enseigne que pendant la grève, le piquet de grève, c’est le lieu du travail. Non. Le piquet de grève, c’est la Bourse du travail. Et aller à son lieu de travail pendant la grève est déjà une infraction. Et de surcroît, bastonner quelqu’un qui a décidé de ne pas grever. Quand bien même nous condamnons cela, nous sommes prêts à accompagner toutes discussions allant dans le sens de la réhabilitation de ces travailleurs. Mais qu’on se le tienne pour dit, nous ne nous inscrirons pas dans une dynamique de passage en force pour que ces travailleurs soient repris.

« Nous faisons du syndicalisme responsable »

Votre position tranche radicalement avec celle de Bassolma Bazié qui ne fait aucun cadeau au pouvoir à chacune de ses sorties. Que pensez-vous de l’homme et de son combat ?

Je pense que nous n’allons pas rentrer dans cette dynamique de juger ou alors de comparer nos combats. Voilà la position de l’USTB, parce que continuellement, nous nous éduquons et nous formons. Quelqu’un de l’USTB ne peut pas faire le contraire de la ligne syndicale de l’USTB. Fut-il SG ou pas, il y a la ligne de l’USTB qu’on est obligé de suivre, voilà. Retenez que nous ne sommes pas dans la dynamique de dire que l’IUTS doit être systématique, étant donné que c’est à travers ces contributions que l’Etat peut réaliser des choses pour l’ensemble des Burkinabè. Nous souhaitons vivement que l’ensemble des mouvements des travailleurs puissent mener une réflexion autour de l’utilisation des IUTS, contribuer à la gestion des IUTS qui ont été retenus parce que quoi qu’on dise, c’est la sueur des travailleurs. Pour notre part, au lieu de demander l’IUTS zéro, que les IUTS qui sont retenus soient orientés vers la création d’emplois, vers des sources de dépenses dans l’intérêt général du Burkina Faso et qu’ il soit mis en place un mécanisme qui puisse permettre aux travailleurs de vérifier la traçabilité des dépenses sur les 100 milliards de F CFA qui représentent notre sueur. Quand on écoute les uns et les autres, on a l’impression que les gens mettent en avant la question de la gouvernance, le manque de confiance et ils se révoltent contre la coupure des IUTS. Si c’est cela le véritable problème, c’est tout simple: demandons à l’Etat de nous associer à l’utilisation des IUTS.

De plus en plus, des voix s’élèvent pour demander le report des élections, au regard de la situation sécuritaire et de la pandémie du Covid-19. Quel est le commentaire de l’USTB sur la question ?

Je préfère être sincère sur la question. Chez nous à l’USTB, lorsqu’on parle, ça engage toute la corporation. Je dirais que l’USTB est en train de réfléchir sur la question de l’insécurité, de la pandémie du Covid-19 et sur celle des élections parce que ça fait trois choses qui sont diamétralement opposées. Et très bientôt, vous connaîtrez la position de l’USTB sur ces différents sujets.

L’actualité, c’est aussi les attaques terroristes auxquelles notre pays fait face depuis plusieurs mois. Quelles est la situation au niveau de Kaya dont vous êtes originaire ?

Pour parler des attaques terroristes, je dirai que personnellement, nous avons été touchés. Nous avons dû déplacer certains parents dans des zones agricoles. Vous ne croirez pas ce que nous avons vécu comme calvaire. On a même loué par endroits des hectares à 50 000, 100 000 F CFA pour nos parents afin qu’ils puissent cultiver. Donc, ce qui est essentiel ici, c’est de pouvoir les installer. Qu’ils puissent avoir quelque chose à manger. La question de l’insécurité mérite une réflexion de l’ensemble des Burkinabè. En ce qui nous concerne à l’USTB, nous allons produire très bientôt une déclaration dans laquelle nous allons donner notre position. Nous avons cette disposition de vouloir travailler en groupe si bien que nous attendons de voir ce que l’UAS qui regroupe l’USTB et d’autres syndicats va donner comme position. Si toutefois l’UAS est incapable de se prononcer, ou alors qu’elle ne jugera pas nécessaire de se prononcer, l’USTB prendra ses responsabilités.

Que pensez-vous de la gouvernance de l’actuel chef de l’Etat ?

En tant que Burkinabè, j’ai toujours dit que le bonheur du Burkina, c’est chacun d’entre nous qui devra le construire chaque instant de sa vie, avec son cœur. Ça, c’est ma conviction. Alors, nous n’allons pas lier le destin du Burkina à quelqu’un qui est là pour un mandat de cinq ou dix ans. Parce que dans tous les cas, le Burkina Faso, c’est plusieurs dizaines, voire des siècles de vie. Qu’elle soit bonne ou mauvaise, nous disons que nous devons sauver l’essentiel. Et aujourd’hui, nous pensons, à l’USTB, que chacun devra y mettre son cœur pour sauver ce pays lorsqu’ on sait qu’on est attaqué de partout. Nous sommes aussi conscients que le Burkina Faso n’est pas le seul pays à faire face à cette nébuleuse. Même la grande Amérique n’a pas été épargnée avec la destruction de ses deux tours jumelles, il y a de cela quelques années.

Que peut-on retenir d’essentiel à l’issue de cette interview que vous venez de nous accorder ?

Nous avons remarqué que l’information est unidirectionnelle pour ce qui est du monde syndical. Ça se remarque. Mais ce n’est pas un problème parce que la vérité finit toujours par rattraper le mensonge. On peut faire cent ans dans le mensonge mais un jour, la vérité prendra le dessus. L’une de nos convictions syndicales, c’est aussi notre expérience. Et cela nous a beaucoup enseigné dans le sens que lorsque nous sommes rentrés à l’ONEA en 1986, nous avons trouvé un service ou tout était rose. Il était aisé de se bomber la poitrine et de dire qu’on est un agent de l’ONEA. Puis dans les années 1990, l’ONEA a commencé à plonger. Alors, il a été question, à ce moment-là, de privatiser la société. Et pour ceux qui s’en souviennent, l’ONEA était sur la liste des sociétés à privatiser. Pour faire face à la crise, nous avons initié une rencontre entre les représentants du personnel que nous étions, la direction de l’ONEA, une délégation des travailleurs et le ministère, représentant le gouvernement, à Kamboinsin. Nous nous sommes retrouvés pour voir comment sauver l’ONEA des mains de la privatisation parce que nous n’étions pas d’accord avec cette décision. Et Dieu merci, je voudrais rendre hommage à feu Salifou Diallo qui était du même avis que nous. Lorsque nous nous sommes assis le premier jour, faute d’avoir pu accorder nos violons, nous avons dû arrêter les discussions à 4h du matin alors qu’on avait commencé à 9h. La conclusion, lorsque nous nous sommes retrouvés à nouveau, c’était de dégraisser les poches de dépenses. Et nous avons répertorié tout ce qui constituait des poches de dépenses. Du côté de l’Administration, nous avons pris la décision d’interdire les véhicules de service. C’est-à- dire que le véhicule est réquisitionné pour le travail uniquement. A la descente, chaque travailleur, à l’exception du DG, devait s’arranger pour rentrer chez lui. Ça faisait de l’économie en termes de carburant, d’entretien et autres. Après cela, nous nous sommes attaqués à la gestion du personnel. Une étude qui avait été commanditée faisait état du licenciement de 150 personnes sur un effectif d’à peu près 800 travailleurs, pour donner un nouveau souffle à la maison. Donc, en terme de probabilité, chacun de nous était concerné par le départ. Alors, nous nous sommes dit que s’il fallait passer par ce sacrifice pour permettre à la maison de se remettre à flot, nous sommes partants. Je vous dis que ça été un véritable sacrifice. Nous avons cédé la prise en charge médicale. Ce qui n’était rien à l’époque. Aujourd’hui, personne ne sait si son salaire peut véritablement le soigner. Et nous, à l’époque, on avait cette garantie. Mais malgré tout, nous l’avons cédé. Quand on évalue par an, ça fait une importante somme d’argent. Nous avions une dotation de pharmacie que nous avons cédée. Il en a été de même avec ce qu’on appelle le treizième mois qu’on donnait à chaque travailleur dans le mois de décembre. Et ce n’est pas tout, nous avons cédé la prime de bilan. Pour celui qui connaît les sociétés d’Etat, il y a la prime de bilan ainsi que la prime de productivité. Nous sommes allés plus loin en cédant la prise en charge vestimentaire. Au finish, lorsqu’ on fait le décompte, nous avons sacrifié au minimum entre 30 et 35% de nos revenus. C’était la galère. Et tenez-vous bien, nous l’avons fait pendant 10 ans. Nous avons même gelé le recrutement à l’ONEA. Tous les départs à la retraite n’étaient pas remplacés. On se débrouillait en interne pour répartir la charge de travail. Même au niveau des affectations, c’est ce qu’on faisait. Aujourd’hui, ça me fait mal au cœur de savoir que durant ces 10 années, des personnes se sont sacrifiées, sont parties à la retraite sans le moindre kopeck. Certains parmi eux vivent encore. Ils peuvent rendre témoignage. C’est avec ces personnes que nous avons pu sauver l’ONEA. Donc, comprenez que nous ne faisons que du syndicalisme responsable parce que nous avons vécu des choses. Je voudrais rendre hommage à toutes ces braves personnes qui ont accepté de tout perdre pour sauver l’ONEA. Et s’il était possible de faire quelque chose pour ces doyens qui sont toujours vivants ainsi que pour les familles de ceux qui sont morts, je plaiderais pour qu’on le fasse parce qu’ils se sont véritablement sacrifiés. Vous savez, il n’y avait pas d’heure supplémentaire. Certains parmi eux travaillaient plus de 10 heures voire 12 heures par jour. Dites-moi, est-ce que vous pouvez subir tout cela pour venir faire du syndicalisme de revendications tous azimuts ? Souvent, quand on en parle, j’ai la rage parce que nous ne souhaitons pas que nos jeunes frères vivent cela. Dans la même période, ma fille a été hospitalisée et j’ai dû baver pour payer ses produits. C’est grâce à la sollicitude d’un grand-frère qui, aujourd’hui n’est plus de ce monde, paix à son âme, que j’ai pu faire face aux frais de médicaments. Vous savez, souvent on se pose la question de savoir si nous sommes vraiment des Burkinabè.

Interview réalisée par Seydou TRAORE


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