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FESPACO 2019 : L’Etalon d’Or de Yennenga dans l’écurie du Rwandais Joel Karekezi


Les rideaux sont tombés sur la 26e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO), le 2 mars 2019, au Palais des sports de Ouaga 2000 avec le sacre du Rwandais Joel Karekezi dont le film « The mercy of the jungle » (la miséricorde de la jungle) a remporté l’Etalon d’Or de Yennenga. La cérémonie de clôture a connu la présence de trois chefs d’Etat à savoir Ibrahim Boubacar Kéita du Mali, Paul Kagame du Rwanda (pays invité d’honneur), Roch Marc Christian Kaboré du Burkina, pays hôte, et de l’ancien président ghanéen, John Jerry Rawlings. Comme à l’ouverture du festival, les feux d’artifices ont encore illuminé le ciel ouagalais après la remise des trophées aux lauréats de ce cinquantenaire du FESPACO.

Le Rwandais Joel Karekezi vient d’inscrire son nom dans le marbre des grands hommes du 7e art, en remportant le trophée le plus convoité du cinéma africain, l’Etalon d’Or de Yennenga au terme de la 26e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO). Il succède ainsi au franco-sénégalais Alain Gomis, lauréat du prestigieux prix en 2017. La miséricorde a donc choisi le Rwanda car, en plus d’être le pays invité d’honneur, il a décroché le saint graal.
Grande était donc la joie du réalisateur Karekezi qui a reçu son trophée des mains du président Roch Marc Christian Kaboré et de son homologue rwandais, Paul Kagame. A la question de savoir si la présence de ce dernier n’a pas contribué à son succès, Joel Karekezi a répondu en ces termes : « Je ne pense pas que la présence de Kagame ait joué. C’est mérité. C’est la jungle. Le tournage était très physique. » Et de confier que c’est un film qui a beaucoup voyagé. Pour lui, cette distinction lui donne la force de continuer à aller de l’avant. A son avis, le mérite revient également à son pays et à sa génération sur le continent africain. Du reste, son producteur, Aurelien Bodinaux, s’est dit fier du parcours de Karekezi qui, a-t-il dit, a travaillé comme un autodidacte allant souvent sur internet pour apprendre mais dont le travail vient d’être honoré par la plus haute récompense. A l’en croire, son réalisateur a travaillé comme un fou, car  ce sont au minimum 5 à 6 ans de travail qui ont été pris pour pouvoir présenter ce film à la compétition. Mais bien avant, Karekezi a produit un long métrage. C’est un lauréat qui a une quinzaine d’années d’expérience dans le cinéma, a-t-il dit, avant de promettre que le film lauréat sortira en France et en Belgique entre fin avril et début mai.
Dans le palmarès officiel, l’Etalon d’argent a été décerné au réalisateur égyptien Khaled Youssef pour son film « Karma » et l’Etalon de bronze au réalisateur tunisien Ben Mohmound pour son film « Fatwa ».

Les lauréats burkinabè

Le Burkina qui court derrière l’Etalon d’Or depuis 1997, soit pendant plus de deux décennies, se console avec trois prix dont celui du meilleur décor remporté par Apolline Traoré grâce à son œuvre « Desrances ». Les autres lauréats burkinabè sont Ismaël Césaire Kafando de l’Institut supérieur de  l’image et du Son/ Studio Ecole / ISIS/SE, qui a reçu le 2e prix des films des écoles avec « Maison de retraite », et Aïcha Boro qui a décroché l’Etalon d’Or dans la catégorie documentaire long métrage pour son œuvre « Le loup d’or de Balolé ». (Voir encadré pour les autres prix).

Plus de 240 millions de F CFA distribués aux lauréats

Pour le délégué général du FESPACO, Ardiouma Soma, il est difficile de dresser un bilan à chaud mais nombre des activités qui étaient prévues, ont été réalisées. Il a rendu grâce à Dieu parce que le festival est allé jusqu’à terme sans incident majeur et indiqué qu’une quarantaine de prix ont été décernés aux lauréats et environ 145 millions de F CFA leur ont été distribués dans l’immédiat. Somme à laquelle il faut ajouter 100 millions de F CFA offerts par l’Union européenne pour permettre, entre autres, les sous-titrages, le doublage et la diffusion des films primés. Selon M. Soma, il y a eu plus de 400 projections…
Il a remercié les partenaires qui accompagnent le FESPACO et félicité les Forces de défense et de sécurité pour la sécurisation du festival ainsi que les membres du jury pour le travail abattu. Pour sa part, le président du comité national d’organisation du FESPACO, Yacouba Traoré, tout en soutenant qu’il est trop tôt de livrer un bilan, a salué le fait que la cérémonie de clôture ait enregistré la présence de trois chefs d’Etat. Il s’est également réjoui des innovations apportées, notamment la catégorie films documentaires, désormais primée avec un Etalon d’Or de Yennenga. Il s’est également dit heureux du bon déroulement du festival dans un climat assez apaisé, vu le contexte sécuritaire qui prévaut au Burkina. L’hommage rendu aux pionniers du cinéma burkinabè a aussi constitué, a-t-il dit, un motif de satisfaction. Toutefois, il a reconnu qu’ils n’ont pas réussi la cérémonie de clôture comme c’était le cas à l’ouverture du festival. Mais à quoi cela est-il dû ? « Peut-être que j’ai monté la barre très haut », a-t-il répondu. Et de révéler qu’il y a eu un manque de suivi au niveau de la remise des prix car c’était long. « Il y a certains lauréats qu’on appelait mais qui n’étaient pas présents et cela a créé un flottement », a-t-il déploré. Concernant les propos des intervenants qui étaient presqu’inaudibles, Yacouba Traoré a laissé entendre que le Palais des sports de Ouaga 2000 est difficile à sonoriser parce qu’il y a un écho naturel. Les techniciens algériens qui assuraient la sonorisation ne connaissant pas bien cet endroit, il était difficile pour eux de relever ce défi comme ils l’ont fait au stade municipal qui est un espace ouvert, a-t-il justifié. Il trouve qu’ils ont même fait beaucoup d’efforts.

« Je suis un peu déçu pour mes collaborateurs »

Mais dans l’ensemble, il estime que le festival ne s’est pas terminé en beauté malgré la présence de trois chefs d’Etat. « Je suis un peu déçu pour mes collaborateurs qui se sont engagés mais, c’est une première. On a voulu faire grand. Je pense que dans 2 ans, ceux qui seront là vont réussir. Mais, il ne faut pas regarder seulement le résultat final, il faut aussi regarder l’engagement et si cet engagement demeure, on tirera les leçons pour ce qui n’a pas marché pour améliorer les prochaines fois », a-t-il soutenu, l’air un peu déçu. Et l’on peut dire qu’il n’était pas le seul à avoir la mine moins reluisante. En effet, on a pu constater, au cours de la cérémonie, des mouvements de ministres et de certains responsables de services vers les techniciens pour certainement chercher à comprendre ce qui se passait dans cette cuvette du Palais des sports de Ouaga 2000. En tout cas, les imperfections étaient perceptibles à l’œil nu. Or, les choses avaient bien commencé avec les prestations d’artistes-musiciens dont celles de Alif Naba, Mariah Bissongo, Eugène Kounker. Lorsque les chefs d’Etat ont fait leur entrée à 17h 08, la salle s’est mise debout. L’exécution des hymnes nationaux a constitué un moment fort de la cérémonie, notamment avec cette image du président malien qui avait la main droite sur le cœur pendant qu’on entonnait l’hymne de son pays. De même, la présentation du trophée, l’Etalon d’Or de Yennenga par une fille habillée en tenue guerrière, a été un moment intense. La présence dans la salle de l’ancien président ghanéen, John Jerry Rawlings, n’est pas passée inaperçue. Malgré son statut d’ancien chef d’Etat, il a reçu un tonnerre d’applaudissements. Quid de la prestation du ballet national rwandais? Les pas majestueux des danseurs de ce groupe dont l’accoutrement ressemble à celui des Zoulou, ont séduit plus d’un festivalier. Les acteurs qui auront le plus marqué l’attention sont sans conteste, les agents de sécurité. Discrets par endroits à l’intérieur du palais, ils ont, comme à l’ouverture du festival, veillé au grain. Les derniers actes majeurs de la cérémonie ont été la prestation musicale de l’icône de la musique malienne, Oumou Sangaré et le lancement des feux d’artifices qui ont encore illuminé le ciel ouagalais.

Dabadi ZOUMBARA

 

Le palmarès officiel

Prix des écoles africaines de cinéma

• 2e Prix: Maison de retraite, de Ismaël Césaire Kafando (ISIS-SE) du Burkina Faso d’une valeur d’un million de F CFA,
• 1er Prix: Incompris, de Jaurès Koukpemedji, (ISMA) du Bénin estimé à 2 millions de FCFA
Films d’animation :
• Prix du jury : Da Tsysy Da de Tojo Niaina Rajaofera de Madagascar, d’une valeur d’un million de F CFA,
• 2e Prix : Un Kalabanda a mangé mes devoirs de Raymond Malinga de l’Ouganda, d’une valeur de 2 millions de FCFA,
• 1er Prix :Briska, de Nadia Rais de la Tunisie estimé à 3 millions de F CFA
Séries TV africaines soutenues par Canal+ :
• 2e Prix: Blog de Melyou Akré Loba Diby de la Côte d’Ivoire estimé à 1 million de F CFA ,
• 1er Prix: Petites histoires, grandes vérités de Ambrose B. Cooke du Ghana d’une valeur de 2 millions de F CFA

catégorie documentaire court métrage :
• Poulain de Bronze du film documentaire : Tata Milouda de Nadja Harek (Algérie/France) d’une valeur de 2 millions de F CFA ;
• Poulain d’Argent du film documentaire : Ainsi parlait Félix, de Nantenaina Lova de Madagascar, estimé à 3 millions de F CFA,
• Poulain d’Or du film documentaire : Contre toute attente, de Charity Resian Nampaso & Andréa Iannetta (Kenya/Italie), d’une valeur de 5 millions de F CFA

Documentaire long métrage:

• Prix Paul Robeson de 1re œuvre documentaire de la Diaspora : Mon ami Fela de Joël Zito Araujo du Brésil d’une valeur de 2 millions de CFA ;
• Etalon de Bronze du film documentaire: Whispering truth to power de Shameela Seedat, (Afrique du Sud) estimé à 3 millions de F CFA ;
• Etalon d’Argent du film documentaire: Au temps où les Arabes dansaient de Jawad Rhalib du Maroc estimé à 5 millions de F CFA ;
• Etalon d’Or du film documentaire: Le Loup d’or de Balolé de Aïcha Boro Leterrier du Burkina Faso, d’une valeur de 10 millions de F CFA.

Catégories Fiction

Court métrage fiction :

• Poulain de Bronze: Un air de Kora, de Angèle Diabang du Sénégal estimé à 2 millions de F CFA ;
• Poulain d’Argent : Une place dans l’avion, de Khadidiatou Sow du Sénégal d’une valeur de 3 millions F CFA ;
• Poulain d’Or: Black Mamba de Amel Guellaty de la Tunisie d’une valeur de 5 millions de F CFA

Long métrage fiction :

• Prix Oumarou Ganda de la meilleure œuvre de long métrage : Jusqu’à la fin des temps de Yasmine Chouikh de l’Algérie d’une valeur de 2 millions de F CFA ;
• Prix du meilleur montage : Mabata Bata, Joãn Luis Sol De Carvalho du Mozambique d’une valeur d’un million de F CFA ;
• Prix du meilleur décor : Desrances  de Apolline Traoré (Burkina Faso) d’une valeur de 1 million de F CFA ;
• Prix de la meilleure musique: Sew the Winter to My Skin de Jahmil X.t. Qubeka de l’Afrique du Sud, estimé à 1 million de FCFA ;
• Prix du meilleur son : Karma de Khaled Youssef, (Egypte) d’une valeur d’un million de F CFA ;
• Meilleure image : Mabata Bata, Joãn Luis Sol De Carvalho, (Mozambique) d’une valeur d’un million de F CFA ;
• 2e meilleur scénario : Keteke de Peter Sedufia, (Ghana), estimé à 3 000 Euros;
• 1er meilleur scénario : Regarde-moi de Nejib Belkadhi (Tunisie), d’une valeur de 5 000 Euros ;
• Prix de la meilleure interprétation féminine : Samantha Mugotsia dans le film Rafikide Wanuri Kahiu, (Kenya) d’une valeur d’un million de F CFA ;
• Prix de la meilleure interprétation masculine : Marc Zinga dans le film The mercy of the jungle de Joel Karekezi (Rwanda) d’une valeur d’un million de F CFA ;
• Etalon de Bronze long métrage fiction : Fatwa de Ben Mohmound de la Tunisie d’une valeur de 5 millions de F CFA ;
• Etalon d’Argent long métrage fiction : Karma de Khaled Youssef (Egypte) d’une valeur de 10 millions de F CFA ;
• Etalon d’Or de Yennenga : The mercy of the jungle de Joel Karekezi du Rwanda d’une valeur de 20 millions de F CFA.

Source comité d’organisation

 

Quelques réactions après la clôture

Roch Marc Kaboré, président du Faso

« Je voudrais remercier très sincèrement le président du Rwanda, Paul Kagame, et le président du Mali, Ibrahim Boubacar Kéita, pour leur participation active à la cérémonie de clôture du FESPACO. C’est le cinquantenaire du FESPACO et nous pensons que cette participation du Rwanda qui est nouvelle, est une participation que nous apprécions profondément. Nous l’avons dit, le Rwanda a, en Afrique, une vision qui est appréciée au plan de son développement économique et également au plan de la culture puisque nous avons eu l’occasion de voir quelque peu la culture rwandaise. Je voudrais les remercier et féliciter celui qui a gagné le trophée. Je pense que c’est au prix de beaucoup d’efforts et je voudrais dire que la fête a été belle. Maintenant, il s’agit, après l’ensemble de ces projections, de voir ce que les fora donnent comme perspectives pour le FESPACO parce que, nous devons passer à une étape supérieure. Il faudra que nous mettions les bouchées doubles pour que les Etats investissent dans la culture et dans le cinéma pour aider nos différents artistes ».

Ibrahim Boubacar Kéita, président du Mali

« Le cinéma africain est plus que jamais vivant. C’est l’occasion de reconnaître que le Burkina a eu le nez creux. Si le FESPACO n’existait pas, il aurait fallu aujourd’hui le créer tant il est une réalité sur la scène internationale. Par lui, nous sommes présents dans le monde, tel que nous sommes. Cela est très important. Je crois que nous n’avons pas assez mesuré l’importance et l’impact du cinéma sur l’évolution mondiale, les mœurs, les relations entre Etats, les relations de compréhension entre peuples. Nul mieux que le cinéma ne permet de telles intégrations, de connaissance de l’autre, d’approfondissement de son propre soi et de son ouverture au monde. Je crois que de ce point de vue, la palette offerte a été à la hauteur. La thématique, la maîtrise du traitement des sujets, tout était réuni. 50 ans de cinéma, cela veut dire que nous sommes à l’âge de la maturité. Nous sommes presque maintenant parmi ceux ayant l’âge de raison. Nous abordons allègrement l’étape du 3e âge mais nous restons très jeunes. Nous n’avons jamais été autant contemporains. C’est dire que le cinéma africain est dynamique, vivace, et en bonne santé. C’est le lieu également de rendre un hommage mérité à notre frère Med Hondo, un des pionniers africains (NDLR : Etalon d’or de Yennenga en 1987, avec son film Sarraounia. Il est parti entouré de l’estime générale, et cela a été le seul bémol triste de cette belle célébration. Je suis venu à Ouagadougou, cette fois avec un nouveau chapeau. Je souhaite que tous m’accompagnent pour que nos valeurs puissent être magnifiées et que nos hommes de l’art, cinéastes, plasticiens, tous ceux qui concourent à nous révéler au monde, soient davantage considérés. Il n’est pas normal qu’un cinéaste africain soit confiné à la mendicité. Les artistes ne peuvent pas regarder le monde comme nous, ils ont un autre regard et il faut qu’on les laisse réaliser. Il faut que nos artistes vivent de leur art, que leurs œuvres soient estimées à la hauteur de leur mérite. Ailleurs, on le voit. Nous devons donner l’exemple en faisant en sorte que l’art occupe toute sa place dans nos politiques de développement car le cinéma est un instrument de développement. Nous devons ouvrir des écoles de formation, d’initiation aux métiers de cinéma. Tout cela sera, dans le temps à venir, l’objet de nos préoccupations ».

Joël Karezeki, Etalon d’Or 2019

«  C’est un grand honneur pour moi, pour toute mon équipe et toute une génération. C’est un grand jour car ce film a été fait dans des conditions difficiles. Remporter le prix le plus convoité, ce soir, est un encouragement pour mon prochain qui va sortir très bientôt. Quant aux langues qui diront que le prix a été remporté parce que le Rwanda est le pays invité d’honneur de cette édition du FESPACO, je les invite à aller regarder le film qui a voyagé partout dans le monde. La particularité de ce film, c’est qu’il a été tourné dans la jungle ; donc c’est psychique et physique ; tout le monde a beaucoup travaillé ».

Aïe Kéita/Yara, comédienne burkinabè

« Le FESPACO est fini sur une note de satisfaction. Tous les films étaient de taille, et c’est le plus chanceux qui a remporté. Ce que je veux dire à nos réalisateurs, c’est qu’ils acceptent les résultats donnés par le jury. Il ne faudrait pas que les résultats leur fassent mal parce que le FESPACO est un grand festival et ce sont des personnes très aguerries du domaine qui ont été désignées pour former les jurys. Toute personne dont le film a été sélectionné déjà dans le cadre du FESPACO, doit rendre grâce à Dieu parce que cette personne est entrée dans l’histoire ».

Alimata Salembéré, pionnière du FESPACO

« Je suis très contente parce que cette 26e édition du FESPACO s’est bien déroulée. Ma déception vient du fait qu’on n’a pas remporté l’Etalon d’or mais néanmoins, nous avons glané pas mal de prix. Mais si on avait eu l’Etalon d’or, on serait encore plus heureux. Je demande aux cinéastes de travailler encore et encore et ça ira dans les années à venir »

Propos recueillis par DZ et CD


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