HomeA la uneFIDELE TOE, ANCIEN COMPAGNON DE THOMAS SANKARA : « Si Blaise Compaoré s’entête, le peuple peut l’amener à regagner les rangs »

FIDELE TOE, ANCIEN COMPAGNON DE THOMAS SANKARA : « Si Blaise Compaoré s’entête, le peuple peut l’amener à regagner les rangs »


L’homme que nous avons rencontré hier  14 octobre 2014 a côtoyé, depuis l’âge de 13 ans,  l’ancien président Thomas Sankara (ils ont fréquenté le Lycée Ouézzin Coulibaly ensemble) qui a été un ami, mieux, un frère pour lui, selon ses propres termes.  Inspecteur de travail à la retraite, il a  été directeur de cabinet de  Thomas Sankara  quand celui-ci était à  l’information et ensuite quand il  fut nommé Premier ministre. Il deviendra plus tard son ministre du Travail, de la sécurité sociale et de la  fonction publique sous la révolution. 27 ans après, l’homme garde toujours de Thomas Sankara, l’image d’un homme qui a beaucoup aimé et beaucoup fait pour son peuple et son pays, le Burkina Faso.  Lui, c’est Fidèle Toé. A la veille de la date anniversaire de l’assassinat  de l’ancien chef  d’Etat burkinabè, nous l’avons rencontré à son domicile à Ouagadougou.  Sans détours, il est revenu, entre autres, sur l’échec du dialogue entre la Majorité et l’Opposition, initié par le président Blaise Compaoré, et  la création du Front progressiste sankariste (FPS). Lisez !

« Le Pays » : Pour avoir été son directeur de cabinet, quel souvenir gardez-vous de l’ancien président burkinabè ?

Fidèle Toé : C’est le souvenir de l’ami et même du frère. Thomas Sankara était connu dans ma famille et lorsqu’on a annoncé son assassinat,  mon père ne cessait de pleurer  parce qu’il se disait qu’il venait de perdre un  fils. Quand je suis rentré de mon exil, j’étais  à chaque fois  dans sa famille, parce que  son père me considérait également  comme son fils. Il me disait de ne jamais suivre un  parti politique pour venir dans la famille,  qu’il me préférait plutôt à ses côtés pour recevoir un parti politique.  Thomas Sankara a été d’abord un adolescent bien turbulent, quelqu’un qui cherchait toujours à se former, à comprendre et qui se lançait des défis. Nous nous sommes retrouvés dans les classes les plus difficiles au Lycée Ouézzin Coulibaly (NDLR : à Bobo-Dioulasso), notamment en classe de latin. Ce n’était pas aisé car c’était des classes que les autres fuyaient. Dès qu’il a été admis au BEPC, il a demandé à embrasser une carrière militaire. Mais ce que j’ai retenu de lui, c’est qu’avec son jeune âge et en tant qu’adolescent, il savait ce qu’il voulait. Comme il voulait devenir chirurgien,  il s’est privé de café et de thé pour ne pas avoir,   plus tard dans sa carrière, des mains qui tremblent. C’était quelqu’un de très déterminé qui savait où aller. Quand il était élève au Prytanée militaire du Kadiogo (PMK), il se donnait les missions les plus difficiles et les tâches que les autres refusaient de faire.  Même au niveau des missions d’Etat, il avait le sentiment qu’il fallait travailler pour le peuple. Aujourd’hui, nous suivons le Mondial et bien d’autres évènements, mais on ne s’imagine pas tout ce qu’il a fallu surmonter comme peines, comme difficultés pour y parvenir. Le secrétariat  d’Etat chargé de l’information  s’était donné pour mission de faire suivre le Mondial en direct aux Voltaïques de l’époque. Et il a mis les moyens et les hommes qui lui ont fait confiance et se sont investis pour  réaliser ce rêve. C’est ainsi qu’on a pu suivre le Mondial  82 en direct. Toute sa vie, Thomas Sankara s’est toujours demandé ce qu’il pouvait faire pour son peuple, comment lui être utile. C’est ce que je retiens de lui et il a toujours  souhaité  qu’on garde de lui l’image d’un homme qui aura été utile à son peuple.

27 ans après son assassinat,  que reste-t-il de son héritage ?

Son héritage est immense et peut-être qu’on veut le cacher. Qu’est-ce qu’il n’a pas fait ou que n’a-t-il pas tracé comme chantier ?  Thomas Sankara était un pionnier qui traçait et disait : « Voilà la direction, la voie à suivre ». Dans tous les pays du monde et même au Burkina Faso où on a essayé d’effacer sa mémoire, lorsqu’il y a des difficultés, on revient encore à ce qu’il avait tracé comme chemin pour dire que le développement ne peut passer que par les peuples eux-mêmes. Thomas avait déjà annoncé de grands chantiers populaires qui impliquaient  tout le peuple : apprendre à réaliser par exemple un barrage, des routes.

« J’ai toujours mal digéré les malentendus entre les sankaristes »

 Pour lui, il ne fallait pas attendre que des gens viennent d’ailleurs pour dire qu’ils sont des spécialistes. De toute manière, l’expérience est là, palpable. La route Bobo-Ouaga qui a été faite et reprise  maintes fois est toujours  là,  impraticable. De nombreux chantiers ont été réalisés çà et là,  mais on voit qu’il y a des ratés. La leçon de Thomas Sankara consistait à  se réveiller et à prendre son destin en main. C’est d’ailleurs ce qu’il disait lors du processus de la révolution qui voulait que  le peuple prenne conscience et tienne son destin en main. A son avis, ce n’était ni la Banque mondiale, ni l’aide à travers  les milliards qu’on injectait  qui allaient  favoriser la prise de conscience du développement…

Le président Sankara ne vivait pas dans un luxe superflu ; c’était un homme très sobre. Lorsque s’il se trouvait en face  de mets locaux et étrangers, il n’hésitait pas à consommer local. Ce n’était  pas  un vain mot pour lui. Ce que je garde aussi de lui, c’est d’avoir été quelqu’un qui avait  et visait un idéal. Comme il le disait, « vivre avec la masse, vaincre avec la masse ». C’était quelque chose de très fondamental.

 

Le 11 octobre dernier, trois partis sankaristes, à savoir l’UNIR/PS de Me Bénéwendé Sankara, le FFS de Norbert Tiendrébéogo et le CNR/MS de Romain Conombo, ont décidé de la création d’un nouveau front, notamment le Front progressiste sankariste (FPS).  Que pensez-vous de ce regroupement?

Je suis à moitié content car j’aurais souhaité que ce soit tous les Sankaristes qui se retrouvent. Parce que le sens de leur combat est connu et moi, je  connais l’engagement des uns et des autres. Chacun d’entre eux a souffert dans sa chair. J’avoue que j’ai toujours mal digéré les malentendus  qui ont  existé et existent  entre eux. Quand dans votre famille, des frères et des cousins se vilipendent, personne ne peut en être content. Je salue donc ce regroupement, cette union. Une autre est en gestation et je souhaite que les deux se rapprochent. A un tel tournant de ma vie de retraité, c’est vraiment un agréable plaisir d’apprendre ce regroupement et mon vœu est  que tous les Sankaristes s’asseyent  autour de la même table pour défendre la même cause. Beaucoup parmi eux ont souffert de même que leurs familles, leurs enfants. Certains auraient pu être très épanouis sur le plan professionnel,  mais le pouvoir actuel, dans sa volonté de nuire aux Sankaristes, leur a  vraiment fait du tort. L’évènement du 11 octobre dernier présage d’un rassemblement, d’une union de tous les Sankaristes.

Le président du Faso, Blaise Compaoré, a initié récemment un dialogue entre l’Opposition politique et la Majorité présidentielle qui s’est soldé par un échec. Quelle lecture  faites-vous de la bagarre actuelle entre les deux camps ? Quelles solutions préconisez-vous ?

La bagarre était  connue et,  à mon avis, le dialogue n’était qu’une farce, un simple  prétexte. Lors du CCRP, l’Opposition avait très clairement posé ses conditions. Elle n’a pas participé au CCRP, mais il avait été retenu que les points non consensuels demeureraient en l’état. Par conséquent, aucune mesure ne devait être prise pour dire que l’article 37 devrait être modifié ou qu’on irait à un référendum… Quand il a appelé à une concertation, j’ai pensé que lui-même serait présent. Parce qu’il ne s’agissait pas de mettre  face-à-face des gens, donner dos et dire qu’en cas de difficultés, qu’on est là. Le problème,  c’est lui Blaise Compaoré. Comme on le sait, tout Burkinabè en âge de se présenter à une élection présidentielle  peut le faire sauf lui. Ce n’est pas parce qu’on ne l’aime pas, mais il  nous faut respecter nos textes.

« Des corps ont été ramassés  et mis dans des cartons de sucre pour y être enterrés »

 Le peuple a été clair en 1991 et s’il faut revenir dire que le même peuple dise le contraire ou l’inverse, là il y a problème. Je crois que ceux qui demandent à Blaise Compaoré de se représenter ne veulent pas de la démocratie. Ils cherchent en vérité qu’on installe un tyran, dans le sens grec du  terme. Parce que dans l’ancienne époque, des gens pouvaient, de façon démocratique,  décider qu’au regard de leur situation, il leur fallait un tyran pour  les sauver, les sortir d’une situation. Mais au tyran, ils donnaient un temps  bien précis.  Ce dernier venait,  accomplissait sa mission  et  s’en allait.  J’ai l’impression que c’est un tyran que certains voudraient  donner au Burkina Faso et je ne suis donc pas d’accord avec ces adeptes parce qu’il y a de valeureux et dignes  fils  dans ce pays. Le Général De Gaulle, en son temps, appelait la Haute-Volta le pays des Hommes. Mais Thomas Sankara a voulu que ce soit le pays des Hommes intègres.  Et l’Homme intègre, c’est  celui qui tient à sa parole, qui la respecte. Si c’est pour dire à tout moment : moi, je jure pour ensuite revenir dire qu’ici on peut changer,  là il y a problème…

Blaise Compaoré doit avoir le courage, pour l’officier qu’il a été,  si tant est qu’il honore  son grade d’officier,  de dire qu’étant donné qu’il a juré,  qu’il respecte sa parole. S’il était allé jurer sur des gris-gris ou fétiches d’un village,  aurait-il eu le courage de  revenir dire qu’il veut se représenter ? Notre Constitution, c’est cela aussi. C’est de dire, je respecte ma parole   en tant qu’homme,  père de famille, en tant qu’officier, en tant que  chef d’Etat. Déjà, Alassane Ouattara a annoncé qu’après 2020, il ne se représenterait plus. Ce n’est pas qu’il n’est pas  brillant…  Il  y a une vie après la présidence. De toute façon, notre Constitution prévoit la désobéissance civile et bien d’autres actions qui peuvent être menées  par le peuple. Lui-même avait en son temps prédit que  Mamadou Tandja (NDLR : ancien président nigérien) qui voulait coûte que coûte rester au pouvoir fonçait droit dans le mur. Je ne sais pas s’il n’y a pas de mur au Burkina. Notre pays est tout aussi enclavé que le Niger. Nous n’avons pas de mer, il n’y a que des murs. Pour moi, la sagesse voudrait qu’il reconnaisse qu’il a assez duré  au pouvoir et  qu’il décide de partir.  Si en 27 ans, il n’a pas pu faire ses preuves,  ce n’est pas en 5 ou 10 ans supplémentaires qu’il pourra le faire.  Il devrait remercier le peuple burkinabè pour l’avoir supporté durant tant d’années.  Aussi, il  ne faudrait pas qu’il se dise que c’est sa force qui lui a permis de rester tout ce temps. Les Burkinabè  ont été très patients et il faut saluer cela. S’il s’entête, ce dont on le soupçonne d’ailleurs, le peuple saura réagir car le Peulh, même avec son bâton, arrive à mettre le bœuf têtu dans les rangs. Le même peuple peut l’amener à regagner les rangs.

 

 Votre mot à la veille de ce  15-Octobre, date de la commémoration de l’assassinat de Thomas Sankara ?

 C’est de vous  remercier  d’être passé nous voir en tant que témoin de l’histoire de ce pays. Comme nous sommes à la veille du 15-Octobre, c’est rappeler aussi cet assassinat des plus crapuleux et je souhaite qu’un jour, toute la lumière soit faite  sur l’affaire Thomas Sankara. Il y a eu en juillet dernier la catastrophe avec le crash de l’avion d’Air Algérie au cours duquel nos compatriotes et des citoyens d’autres nationalités ont péri. Toutes ces familles demandent qu’on leur  reconstitue au moins, à travers les tests ADN, les restes de leurs chers disparus. Le cimetière de Dagnoën (NDRL : cimetière où se trouve la tombe de Thomas Sankara) est là et nous savons que des gens y ont été enfouis dans des tombes, dans le désordre total. Je peux témoigner que ce sont des corps parfois ramassés  et mis dans des cartons de sucre qui y ont été enterrés, dans un compactage total.  Je souhaite  que chaque Burkinabè ait une pensée et que nos magistrats pensent à faire toute la lumière.  Quand une famille, surtout la veuve et l’orphelin, vient demander gain de cause parce que ne pouvant plus s’adresser à l’Exécutif,  il n’y a que la loi, les magistrats pour la défendre. Il faut permettre à la famille de Thomas Sankara et à ses proches d’avoir ses restes et l’enterrer dignement, là  où ils le désirent.

Douteriez-vous de la tombe qui se trouve au niveau du cimetière de Dagnoën?

S’il n’y avait  pas de doute,  pourquoi ne  laisserait-on pas faire les tests ADN ? Des  corps entassés dans des sachets et cartons de sucre ont été enterrés dans le désordre total.  Personnellement, si on  arrivait à faire la lumière sur l’affaire Thomas Sankara, ce serait un grand pas pour notre pays. Nous ne pouvons pas avoir le sommeil tranquille tout en sachant qu’un proche repose on ne sait où et même éparpillé, une jambe par-ci, un bras par-là,  dans différentes  tombes.  Je  ne connais pas ce pays de démocratie où ce sont les assassins qui se donnent le droit d’enterrer même  jusqu’aux victimes. Dans d’autres pays, on tue, certes, la personne,  mais on remet le corps à sa famille.  Quand on nait, cela concerne des familles et quand c’est la mort, il faut que ce soit elles  qui vous conduisent  à votre dernière demeure. Il faut  permettre à la famille de faire le deuil de son proche. Je souhaite des lendemains meilleurs pour notre pays.  C’était tout le souhait et le combat de Thomas Sankara.

Propos recueillis et retranscrits par Colette DRABO


Comments
  • Bon anniversaire dans le recueillement et de pensées pieuses pour notre cher président du Faso, camarade. Le temps passera mais la vérité surgira un jour. Dieu est au dessus de tout. SANKARA est éternel. Il est compté dans l’histoire positive du monde contrairement à ceux qui n’ont pas de parole donnée mais animés de traitrises et de mégalomanie. Vive la justice! La Patrie ou la mort, nous vaincrons!

    16 octobre 2014
  • le modérateur il ne faut censurer les écrits svp.

    merci

    16 octobre 2014
  • Fidel Toe un nom qui etait populaire au Lycee Ouezzin a Bobo-Dioulasso. Je me rappeles toujours le traumatisme qu etait le Latin avait installer aux eleves du Lycee. En ce moment la messe etait servie en latin au Patro St Vincent de paul a Koko.

    4 décembre 2014

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