HomeA la uneGEL DES AVOIRS DE L’EX-PRESIDENT GAMBIEN : Yahya Jammeh comme Ali Baba  

GEL DES AVOIRS DE L’EX-PRESIDENT GAMBIEN : Yahya Jammeh comme Ali Baba  


 

Après avoir conforté son assise politique par les élections  législatives du 6 avril dernier, le président gambien, Adama Barrow, est passé à l’offensive en destructurant le régime de Yahya Jammeh. En effet, le gouvernement,  par l’intermédiaire du ministre de la Justice, Aboubacar Tambadou, vient d’annoncer lors d’une conférence de presse, le gel des biens de l’ancien président en exil en Guinée équatoriale. La décision porte sur plus d’une centaine de propriétés foncières, 88 comptes en banque et 14 entreprises et vise à empêcher l’ex-dictateur de liquider ses biens, si la justice venait à lui ordonner de rembourser à l’Etat les sommes astronomiques qu’il a détournées entre 2006 et 2017.

Barrow prend nettement l’option d’une gouvernance vertueuse

Au-delà de la magnifique opération de communication politique que le nouveau régime gambien vient de réussir par cette annonce, le président Adama Barrow prend nettement l’option d’une gouvernance politique et économique vertueuse. En effet, non seulement, par cette décision du gel des biens de l’ex-président, il inscrit la reddition des comptes dans les fondamentaux de sa gouvernance, mais de par cette posture, il envoie des signaux positifs aux investisseurs étrangers qui, jusque-là, ne se bousculaient pas au portillon d’une économie qui s’alimentait de toutes les contrebandes et autres trafics illégaux. La décision a aussi et surtout une forte portée symbolique, en ce qu’elle constitue un acte de haute portée pédagogique et sert d’avertissement sans frais à tous les prédateurs des richesses nationales qui sont tapis dans des palais présidentiels en Afrique. On le sait, la délinquance financière qui caractérise la gouvernance politique sur le continent, traduit toute la philosophie du pouvoir en Afrique. Celui-ci n’est qu’un marchepied vers les richesses de l’Etat. Il en découle une tragique confusion savamment entretenue entre les poches des dirigeants et les caisses de l’Etat et une  véritable course à l’enrichissement dont les règles, s’il en existe, défient la morale. Tout se passe comme s’ils devaient emporter ces richesses dans l’au-delà. Cela dit, en  décidant donc de geler les biens de Yahya Jammeh, les nouvelles autorités gambiennes alimentent la forte espérance que les biens mal acquis, tôt ou tard, reviendront à leurs véritables propriétaires que sont les peuples. Il reste cependant à espérer que cette décision n’arrive pas sur le tard et que le voleur n’ait pas déjà eu le temps de sécuriser son butin, ne laissant que des miettes à ses poursuivants. Il faut aussi et surtout espérer qu’au-delà de l’effet d’annonce, le pouvoir gambien s’est entouré de toutes les précautions en ce qui concerne les procédures légales en la matière. On l’a vu ici au Burkina Faso où, faute d’avoir observé ces précautions, le gel des avoirs des dignitaires du régime de Blaise Compaoré n’a finalement pas eu l’effet escompté. De toute évidence, quand bien même cette décision des autorités de Banjul leur vaut des lauriers, elle ne manquera pas de provoquer des conséquences plus ou moins graves tant aux plans économique que politique. En effet, au plan économique, il faut craindre qu’elle ne vienne plomber davantage une économie qui peinait déjà à décoller.

La joie consécutive à l’annonce du gel des biens du dictateur pourrait déboucher sur une amère expérience

Car, il est tout à fait certain que les dignitaires et les opérateurs économiques affiliés au défunt régime, sentant l’étau se resserrer autour d’eux, vont mettre leurs finances à l’abri ; ce qui pourrait rendre exsangue le tissu économique déjà asséché par la crise socio-politique qu’a traversée le pays et par Yahya Jammeh que l’on soupçonne d’avoir vidé les caisses de l’Etat en détournant plus de cinquante millions de dollars avant son départ. Ce qui voudrait dire que la joie consécutive à l’annonce du gel des biens du dictateur, pourrait donc déboucher sur une amère expérience. Au plan politique, on pourrait s’attendre à des remous politiques, sachant que les anciens dignitaires du régime Jammeh, sentant venir prochainement leur tour, ne se laisseront pas facilement mettre la corde au cou pour se faire amener à l’abattoir comme des moutons de Tabaski. En outre, le gel des avoirs de l’ex-président vient à coup sûr attenter à l’esprit de l’accord négocié qui a permis son départ du pouvoir. Même si l’on convient que cet accord n’avait aucune valeur juridique et qu’il a été contesté dès le lendemain même de sa signature au motif qu’il accordait l’impunité de fait à Yahya Jammeh, le torpiller de la sorte pourrait créer un précédent dangereux. Car, aucun dictateur n’acceptera désormais de quitter le pouvoir suite à un accord de ce genre.

Quoi qu’il en soit, même si la décision des autorités gambiennes venait à pécher par manque d’efficacité pour toutes les raisons sus-évoquées, elle aura déjà eu cela de positif de nourrir l’espoir des Africains qui sont vent debout contre l’impunité. Pour le cas de la Gambie, on vient d’ouvrir au grand public, la caverne d’Ali Baba ou du moins celle de Yahya Jammeh.

« Le Pays »


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