HomeA la uneHANAFI AMIROU DICKO, POINT FOCAL DE LA CPF AU SAHEL : «Je demande aux éleveurs de changer de mentalités»

HANAFI AMIROU DICKO, POINT FOCAL DE LA CPF AU SAHEL : «Je demande aux éleveurs de changer de mentalités»


Il est le président de l’Association Dawla Séno et le point focal de la Confédération paysanne du Faso (CPF) au Sahel. Nous l’avons rencontré ce vendredi 15 juillet 2016 à domicile à Dori. Lui, c’est Hanafi Amirou Dicko, très introduit dans le milieu associatif et de la société civile du Sahel. Le pastoralisme, les conflits agriculteurs/éleveurs, les changements climatiques ont été, entre autres, les sujets qu’il a abordés dans cet entretien qu’il nous a accordé. Lisez plutôt !

 

« Le Pays » : Présentez-vous à nos lecteurs

 

Hanafi Amirou Dicko : Je suis Hanafi Amirou Dicko, le président de l’Association des éleveurs traditionnels, Dawla Séno et en même temps, le point focal au niveau du Sahel, de la Confédération paysanne du Faso (CPF).

 

Que menez-vous comme activités au niveau de Dawla Séno ?

 

Nous menons beaucoup d’activités. Nous faisons l’alphabétisation, promouvons la scolarisation des filles,  encadrons les maraîchers et faisons aussi l’embouche. Nous sensibilisons également les éleveurs. Au moment de la transhumance, nous leur disons d’être en règle en ayant le certificat national ou international de transhumance. Nous les accompagnons dans l’acquisition de ces papiers.

 

Le Burkina Faso partage dans sa partie sahélienne, la frontière avec le Mali et le Niger. Vers lequel des deux pays vont les éleveurs sahéliens ?

 

La transhumance au Sahel est transversale. Les Burkinabè vont au Mali ou au Niger; les Maliens vont au Niger ou au Burkina Faso et les Nigériens vont au Mali ou au Burkina Faso. Mais ce qui est très important pour nous, c’est que nous sommes un pays d’accueil grâce au forage Christine. A partir du mois de mars jusqu’aux mois de mai et de juin, tous ces animaux se retrouvent au forage Christine pour paître et s’abreuver.

 

Comment se fait la gestion du forage Christine ?

 

Le forage Christine a un comité de gestion qui a rencontré pas mal de difficultés. Le forage était à chaque fois en panne. Mais je pense qu’une solution a été trouvée maintenant et que le forage pourra bien fonctionner bientôt. Il faut amener le forage à être autonome et à s’autofinancer pour faire face aux difficultés qui se présenteraient afin d’éviter d’être toujours à la recherche de financements. Pour abreuver ses troupeaux, chaque transhumant paie. Et il y a souvent plus de quatre à six mille têtes de bêtes qui s’y retrouvent. Je n’ai pas le prix par bête, mais ce serait même quand une bonne somme si tous ces gens payaient normalement.

 

Avec la raréfaction des terres et les changements climatiques, quel regard portez-vous sur la transhumance ?

 

La transhumance est naturelle et obligatoire. Il y a trois types de transhumance. Il y a la transhumance précoce, la transhumance saisonnière et le nomadisme. Il faut remarquer que nous ne souhaitons plus voir le nomadisme. Les nomades rencontrent plusieurs types de problèmes. Et ils en créent aussi. Donc, cette forme de transhumance est à abandonner. La transhumance précoce dure entre un mois et un mois et demi. Ces transhumants reviennent après chez eux. La transhumance saisonnière commence à chaque mois d’octobre et dure au moins six à sept mois souvent. Les transhumants saisonniers aussi rencontrent beaucoup de problèmes, notamment les pistes à bétail.

 

Est-ce que vous vous entretenez avec vos membres sur les changements climatiques ?

 

Si, si. Puisque tout ce qui arrive actuellement est lié aux changements climatiques. Avant, les animaux n’avaient pas de problèmes. Il y avait le lait à profusion. Mais actuellement, l’être humain et l’animal mangent dans la poche de l’Homme. Les gens n’arrivent pas à changer de mentalités. Et pourtant, il faut un changement de mentalités. Les terres ne sont pas riches et la population augmente. A la période des indépendances, nous étions environ 3 millions d’habitants. Actuellement nous sommes environ 16 millions de Burkinabè. Il n’y a pas eu un seul mètre carré qui s’est ajouté à la superficie de notre pays. Avant, la terre était riche et fertile. Elle ne l’est plus. Ici au Sahel, il n’y a plus de pâturage aérien, c’est-à-dire les arbres. Le pâturage terrestre qui est l’herbe est très pauvre. Mais comme l’élevage est traditionnel au Sahel, nous sensibilisons toujours les éleveurs. Nous essayons de les sensibiliser toujours sur les changements climatiques qui sont une réalité. Avant, il y’avait des caïlcédrats et des nérés à Dori. Maintenant, il n’y a rien. Les arbres meurent, les cours d’eau sont larges, les puits ont tari. Partout, ce sont des clairières. Donc, les changements climatiques, nous les vivons de plein fouet.

 

Votre structure a-t-elle été représentée à la COP 21 à Paris ?

 

Oui, j’ai été invité à la fois par l’UNESCO pour une conférence et par les organisateurs de la COP 21. Nous y avons beaucoup discuté sur les changements climatiques. C’était plein d’intellectuels et très peu de gens débrouillards comme nous autres. Mais avec l’expérience que nous avions, nous avons pu exposer nos problèmes devant toutes ces sommités.

 

Avez-vous participé à la récente Journée nationale du paysan ?

 

Personnellement j’étais indisposé, mais notre structure y a été représentée. Nous avons tout organisé ensemble mais personnellement, je ne suis pas allé. Et Dieu merci, tout s’est bien passé.

 

Qu’est-ce que la délégation du Sahel a dit là-bas de façon spécifique ?

 

Les Sahéliens ont parlé des changements climatiques. Ils ont demandé un soutien pour les éleveurs. Ils ont parlé de l’implantation de l’usine de fabrique d’aliments à bétail. C’est une chose très importante au Sahel. La délégation sahélienne a abordé beaucoup de sujets très intéressants pour le Sahel.

 

Combien de structures la CPF compte-t-elle au Sahel ?

 

Officiellement, nous avons 32 associations et groupements avec lesquels nous travaillons. Nous avons des représentants dans les quatre provinces de la Région du Sahel. Et dans chaque département, nous avons des représentants pour la CPF et la Fédération des éleveurs du Burkina (FEB).

 

Comment se fait la cohabitation entre les éleveurs et les agriculteurs ?

 

Entre l’agriculteur et l’éleveur, il y a des problèmes quotidiens. Mais certains problèmes ne sont pas des problèmes réels. Ailleurs, c’est très exacerbé. Mais au Sahel, la situation n’a pas atteint ces proportions. Cela ne veut pas dire que le sahélien ne cultive pas. Le sahélien cultive. La plupart des sahéliens sont des agro-pasteurs. Seulement au Sahel, nous avons adopté une méthode traditionnelle qui nous a beaucoup favorisés. Dans chaque village, il y a des espaces d’accueil réservés uniquement aux bêtes. Et c’est la même chose dans les provinces. Mais ces zones sont différentes des zones pastorales instaurées par l’Etat. Au Sahel, jusqu’à un mois après les semis, les animaux peuvent paître dans les champs. Ce n’est qu’au bout d’un temps donné après les semis qu’on demande aux gens de s’occuper de leurs bêtes. Et là aussi, il y a des zones dégagées pour recevoir ces bêtes. Si les autres régions pouvaient s’en inspirer, cela limiterait les conflits constatés de-ci, de-là.

 

Ailleurs, des zones pastorales ont été grignotées à telle enseigne qu’il y a eu des affrontements. Quelle lecture en faites-vous ?

 

Les éleveurs se trouvent souvent à l’étroit dans certaines zones pastorales. Il faut laisser les uns et les autres s’organiser mais en suivant des règles générales de l’Etat. Sinon, si on les met trop à l’étroit, les mésententes ne finiront pas.

 

Comment voyez-vous l’élevage dans dix, vingt ou trente ans au Burkina Faso ?

 

Les mines, le coton et autres risquent de connaître une fin. Mais les animaux resteront. L’Etat doit donc beaucoup soutenir l’élevage parce que c’est ça l’économie locale du Burkina Faso. Pour le coton, il faut des intrants. Pour l’or, il faut des usines et du cyanure qui est très dangereux. Alors que pour l’élevage, il faut juste un bâton et du pâturage. L’élevage traditionnel rencontre beaucoup de difficultés mais il a tout de même des avantages. Lors des cycles de sécheresse des années 70, 73 ; 74 ; 83 et 84, les éleveurs ont beaucoup souffert et beaucoup ont perdu tout ou presque leur cheptel. Mais grâce à la technique traditionnelle, ils ont pu reconstituer aujourd’hui leur cheptel, voire le doubler ou le tripler. Donc tout n’est pas mauvais dans l’élevage traditionnel. La seule technique exogène, c’est la santé animale. Nous n’avons jamais crié à l’aide auprès des Français ou des Américains. Donc l’Etat doit nous soutenir pour faire face au futur.

 

Quelle est votre implication dans le pôle de croissance du Sahel ?

 

Nous avons peur de parler du pôle de croissance. Après son lancement, nous n’avons plus rien vu ni entendu du côté du pôle de croissance du Sahel. Et pourtant, nous avons été des fervents défenseurs du pôle de croissance du Sahel. Nous en avons parlé dans les mosquées, à l’occasion des baptêmes ou des rencontres. Mais depuis, c’est le silence radio. Nous nous sommes rendu compte que nous avons été plus royalistes que le roi. Donc, le pôle de croissance du Sahel nous effraie maintenant.

 

Avez-vous eu vent des problèmes liés à l’orpaillage ?

 

Les problèmes ne manquent pas. Il y a des gros trous sur le sol où l’herbe ne pousse plus ; il y a le cyanure qui est déverser partout. Même dans ta cour si l’or apparaît, tu n’es plus en sécurité car les gens vont venir creuser. Donc c’est à l’Etat de prendre ses responsabilités. C’est vrai que chacun cherche à manger mais il faut quand même une règlementation.

 

Un conseil à l’endroit des éleveurs ?

 

Je ne peux pas leur dire de diminuer leurs troupeaux, mais je leur dirai de moderniser leur système d’élevage. Il ne sert à rien d’avoir cent têtes de bovins qui ne produisent pas 20 litres de lait par jour. Il vaut mieux avoir 15 à 20 têtes de bovins qui vous donnent 30 à 40 litres de lait par jour. Il nous faut aussi l’appui de la science et des technologies. A la COP 21 de Paris, j’ai rencontré des grands comme des petits éleveurs européens. Il y a des éleveurs qui ne disposent que de 30 têtes de bêtes mais qui vous vendent plus de 300 litres de lait par jour. C’est donc à nos chercheurs de se mettre à l’œuvre.

 

Un mot de fin ?

 

Je remercie votre journal « Le Pays » et la presse dans son ensemble car c’est vous, les journalistes, qui donnez les informations au monde entier. Je ne dirai pas que les éleveurs sont oubliés, mais je vous demanderai de vous intéresser davantage aux problèmes que rencontrent les éleveurs.

 

Hama Hamidou DICKO

 

 


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