HomeA la uneHISSENE HABRE FACE AUX JUGES : Un mutisme qui parle

HISSENE HABRE FACE AUX JUGES : Un mutisme qui parle


 

Hissène Habré a visiblement opté pour le mutisme devant les chambres africaines extraordinaires où il est poursuivi pour crimes contre l’humanité. Le 3 juin 2015, lors de l’interrogatoire d’identité de l’ancien président tchadien et face au président de la juridiction spéciale créée par l’Union africaine en collaboration avec le Sénégal pour le juger, il est resté muet comme une carpe. Tout comme durant les 19 mois d’instruction de son dossier. Sa stratégie ressemble quelque peu à celle de Karim Wade devant la Cour de répression de l’enrichissement illicite. Se taire au maximum pour jouer la montre, mais aussi et surtout pour se faire passer pour un martyr en espérant que la Cour tombera dans des vices de procédure.

Hissène Habré n’entend pas reconnaître son rôle dans les atteintes aux droits de l’Homme durant son règne

Mais cette stratégie va-t-elle lui permettre de bloquer le déroulement du procès qui devrait s’ouvrir le 20 juillet 2015 ? Il est permis d’en douter. On imagine mal les chambres africaines extraordinaires abandonner ce procès, sous prétexte que l’ancien homme fort de N’djaména ne coopère pas.

Cette stratégie du silence est une mauvaise option pour Habré. Certes, c’est son droit de ne pas parler et la justice ne peut pas le contraindre à causer. Seulement, elle devra en tirer toutes les conséquences. Un accusé qui se met dans une posture dans laquelle il constitue une entrave à la manifestation de la vérité, ne s’attire pas la clémence de ses juges. En réalité, on a affaire à un mutisme qui parle. En se comportant de la sorte, l’ex-dictateur tchadien, Hissène Habré, montre qu’il n’entend

pas reconnaître son rôle dans les atteintes aux droits de l’Homme durant son règne. Il tient au contraire à passer pour une victime, quelqu’un à qui on fait la force. Mais c’est bien une œuvre de titan que de vouloir cacher le soleil avec son doigt.

Hissène Habré était bel et bien le chef de l’Etat tchadien au moment des faits et il est difficile que sa responsabilité puisse être dégagée. Surtout qu’au Tchad, des gens ont été condamnés par la Justice pour leur implication dans la même affaire. Le chef de l’Etat qu’il était, même si par extraordinaire n’avait pas donné les ordres d’exécution, avait quand même la responsabilité d’assurer la sécurité de l’ensemble de ses concitoyens, y compris ceux qui ne partageaient pas ses opinions ni ses pratiques. Rien que le fait de faillir à une telle mission, engage sa responsabilité. C’est dire combien Hissène Habré devait s’attendre un jour ou l’autre, à répondre devant la Justice, de son rôle pendant la dictature qui a secoué son pays alors qu’il en était le président. Certes, par souci d’équité, son bras armé de l’époque, un certain Idriss Déby, chef d’état-major de l’armée au moment des faits, devait aussi avoir à répondre de ses actes. Mais cela n’est pas une excuse suffisante pour justifier le refus de Habré de coopérer avec ses juges.

Du reste, ce mutisme de l’ex-président tchadien qui dit ne pas reconnaitre l’autorité de la Cour chargée de le juger, en plus de relever de la mauvaise foi, est une marque d’ingratitude. La mauvaise foi tient au fait qu’il tente de se dérober à son passé sulfureux de seigneur de guerre. Sous son règne, des exactions ont bel et bien été commises sur des populations. Un minimum de remords l’aurait quelque  peu réconcilié avec les familles des victimes. Habré ne semble hélas pas dans cette logique. S’il n’a rien à se reprocher comme il tente de le faire croire, Habré devait plutôt saisir l’opportunité de ce procès pour réfuter les accusations et confondre, preuves à l’appui, ses accusateurs. L’homme a plutôt préféré se taire. Qui se tait, s’accuse.

Il appartient aux juges de ne pas se laisser distraire

Lorsque qu’on est  accusé de choses horribles et que l’opportunité se présente à soi de se défendre, pourquoi s’en priver ? Il est évident que cette attitude saugrenue de rester bouche bée, apporte forcément de l’eau au moulin de ceux qui sont convaincus de la culpabilité de l’accusé Habré. Il est du devoir des juges de veiller à ce que tout accusé soit mis en situation de pouvoir se défendre dans les règles de l’art. Si bien qu’il serait malhonnête que Hissène Habré, après avoir délibérément refusé de s’exprimer, en vienne à dire que son droit à un procès équitable a été violé. De toute façon, l’ex-dictateur tchadien sait que l’UA a dû faire des efforts considérables pour lui éviter d’autres péripéties, tout en assurant le droit des victimes et de leurs ayants droits à la manifestation de la vérité. En effet, on se rappelle que la Belgique et le Tchad ont exprimé chacun, sa volonté d’obtenir son extradition pour être jugé pour les mêmes faits. Les Africains n’ayant pas voulu, par fierté, se soumettre à la requête de la justice belge et probablement soucieux d’éviter un jugement de Hissène Habré au Tchad où il y a des risques évidents qu’il ne bénéficie pas d’un procès équitable, ont trouvé la parade en créant cette cour.

Et comme on le sait, ce ne sont pas les difficultés pour rendre cette juridiction opérationnelle, qui auront manqué. Sous Abdoulaye Wade, le Sénégal avait exigé des sommes faramineuses pour organiser ce procès et les choses ne se sont accélérées que sous l’ère Macky Sall. On a le sentiment que maître Wade faisait dans le dilatoire. En tout cas, ce procès Habré aurait sans doute été tout autre si Gorgui avait toujours été au pouvoir. La mise en place de cette juridiction a donc pu être une réalité grâce à de nombreux sacrifices. C’est pourquoi l’attitude de Hissène Habré, qui refuse de reconnaître la légitimité de la Cour, s’apparente à de l’ingratitude vis-à-vis de l’UA qui a tout fait pour trouver une solution qui puisse justifier le refus d’accepter de le « livrer » à la Justice belge ou à la Justice tchadienne. En tout état de cause, la soif de justice des victimes ne saurait passer par pertes et profits. Ce serait une injure inacceptable. Il appartient, de ce fait, aux juges de l’ex-président tchadien, de ne pas se laisser distraire et de conduire le procès avec professionnalisme et rigueur. Reste aussi à l’accusation de produire des preuves solides contre Habré. Et si d’aventure il n’y a rien à lui reprocher, qu’il soit relaxé comme il se doit. En somme, pourvu que le droit et rien que le droit soit dit.

« Le Pays »


Comments
  • Même s’il venait à perdre l’usage de la parole, celle l’autre important sens qu’est l’ouie qui suit complémentairement celui de la parole, que DIEU lui préserve au moins celui et dernier recours qu’est la vue ! !
    Ainsi, les juges n’auront d’autre choix que de lui tendre sous les yeux pour lecture le verdict et la sentence du jugement.
    Dans tous les cas, cette belle farce n’a que trop duré avec un procès et une procédure que les protecteurs de hissen habre en l’occurence la france ne permettent pas de vouloir voir un aboutissement.
    Bref et en un mot, la farce n’a que trop duré, il est temps d’arrêter ainsi, de mettre un terme à toute cette comédie

    5 juin 2015
  • Il ne veut pas parler? Mais qu’on utilise les moyens que lui-même utilisait contre ses victimes quand il les séquestrait dans la fameuse piscine de son faux centre de documentation.Il faut le fouetter pour voir s’il ne va pas parler. Et puis qui ne dit mot consent. Si dans le délai imparti au procès il continue de taire comme une alose, qu’on lui donne le maximum, c’est-à-dire “perpet”.

    8 juin 2015

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