HomeA la uneIMAM ISMAEL TIENDREBEOGO, PRESIDENT DE L’ONAFAR : « Nous vivons dans une bonne cohabitation interconfessionnelle au Burkina »

IMAM ISMAEL TIENDREBEOGO, PRESIDENT DE L’ONAFAR : « Nous vivons dans une bonne cohabitation interconfessionnelle au Burkina »


ONAFAR ! C’est l’Observatoire National des Faits Religieux, une structure mise en place par l’Etat burkinabè, dont l’objectif premier est de contribuer à la cohabitation pacifique entre les confessions religieuses. C’est une structure inédite qui a besoin de montrer toute son importance aux yeux des Burkinabè. Nous avons rencontré son président, Imam Ismaël Tiendrébéogo.

 

 

« Le Pays » : pouvez-vous présenter l’ONAFAR à nos lecteurs ?

 

Imam Ismaël Tiendrébéogo : L’Observatoire des faits religieux est une structure multiconfessionnelle qui enregistre la présence de représentants du ministère chargé des libertés publiques, c’est-à-dire celui de l’Administration territoriale, de la décentralisation et de la Sécurité intérieure (MATDSI) et des représentants du Conseil supérieur de la communication (CSC). Cet organe a été voulu et créé par les participants à un atelier organisé par le ministère à Kombissiri il y a quelques années. Finalement, c’est en décembre 2014 qu’elle a été mise en place à Tenkodogo. Elle compte en son sein des musulmans et des chrétiens.

 

Quel rôle joue cet observatoire ?

 

Il a trois niveaux de rôle. D’abord, un rôle de veille par rapport aux discours religieux portés sur la place publique dans son impact négatif sur la cohésion sociale. Ensuite, un rôle d’appui-conseil aux structures de tutelle, le MATDSI et le CSC. Vous savez que la question religieuse n’est pas administrative. Elle est plutôt généralement théologique et il faut connaître les mentalités du groupe religieux auquel on appartient, pour pouvoir appuyer utilement l’Administration dans certaines situations de tensions ou de conflit ouvert. Troisièmement, l’Observatoire fait des propositions de textes, d’organisations, pour permettre à l’Etat de mieux appréhender les faits religieux pour renforcer la cohésion sociale tout en respectant le droit à la croyance individuelle et collective.

 

Est-ce que dans notre contexte de lutte contre l’extrémisme religieux, une telle structure à sa raison d’être ?

 

Bien entendu ! Nous sommes mieux connaisseurs que l’Administration publique des enseignements religieux, l’Administration étant laïque. En plus, nous sommes des leadeurs religieux ; donc, notre parole a un certain poids au sein des différents groupes auxquels nous appartenons. Cela permet à l’Etat d’avoir des personnes compétentes, religieusement parlant, et écoutées par leurs coreligionnaires ; et des personnes qui peuvent être des observateurs parce que l’Administration a ses limites. Sauf à utiliser des espions ou des agents de renseignement, l’Administration ne peut pas pénétrer au cœur des différentes organisations religieuses. Par la confiance

que les gens placent en nous, nous pouvons voir facilement dans quelles mesures tel ou tel aspect pourrait avoir un impact négatif sur la cohésion sociale et attirer l’attention de l’Administration sur la question. En plus, notre action permet d’éviter la stigmatisation car quand ce sont des agents extérieurs à la religion qui prononcent des discours sur l’extrémisme violent ou qui évoquent certains points, ils peuvent ne pas maîtriser la réalité et se laisser facilement embarquer par un contexte international de l’islam bushing, où l’islam a bon dos en tant que coupable et où les musulmans sont des coupables désignés. C’est donc nettement mieux que ce soit les acteurs religieux qui abordent certaines questions, en toute franchise et sans aucun complexe.

 

« Quand on ne connaît pas l’autre, on est méfiant et on peut vouloir le combattre »

 

Avez-vous déjà interpellé des individus sur la teneur de leurs discours religieux ?

 

Pour le moment, non ! En tout cas, pas en tant que membre de l’ONAFAR, mais en tant que citoyen. Il nous est arrivé d’entendre des discours qui, pour nous, étaient dangereux pour la cohésion sociale. Nous avions attiré l’attention du Conseil supérieur de la communication (CSC) quelques fois. Au niveau de l’ONAFAR, nous avons voulu intervenir par deux fois. La première fois, lorsque, durant la campagne politique pour l’élection présidentielle de 2015, la question de l’appartenance religieuse s’est invitée aux débats. La 2e fois, c’était après les attentats du 15 janvier dernier avec les risques d’amalgame. Mais compte tenu de certains facteurs, le président de l’époque avait estimé, le ministère ayant fait une déclaration à l’époque, que la nôtre serait superflue.

 

Peut-on dire aujourd’hui que le discours religieux au Burkina tend à l’apaisement et à la cohésion sociale ?

 

Dans l’ensemble, oui. Tout le monde le reconnaît ; nous vivons dans une certaine cohabitation interconfessionnelle au Burkina Faso. Cela remonte depuis longtemps et certains l’expliquent par plusieurs phénomènes. Notamment l’esprit de conciliation que nous avons, la cohabitation dans une même famille, entre plusieurs confessions religieuses. Cela donne une idée de ce qu’est l’autre réellement ; ce qu’il a comme valeurs. Une telle situation permet de régler les éventuelles tensions. L’adage dit que l’homme est ennemi de ce qu’il ignore. Donc, quand on ne connaît pas l’autre, on est méfiant et on peut vouloir le combattre. Mais une fois qu’on comprend chacun dans ses croyances religieuses, on évite les conflits.

 

Quelles sont les principales difficultés auxquelles est confronté l’ONAFAR ?

 

Il y a beaucoup de difficultés. La première difficulté, c’est la disponibilité des acteurs. Ceux qui composent l’ONAFAR, du côté des musulmans et des chrétiens, ont par ailleurs des agendas et des occupations professionnelles, socio-culturelles qui font qu’ils n’ont pas tout le temps, toute la disponibilité qu’il faut pour gérer cette question. Deuxièmement, il y a que financièrement, la structure n’a pas d’assise. Pour certaines activités, nous sommes obligés d’attendre carrément qu’un sponsor ou un bailleur de fonds veuille bien nous financer. Donc souvent, nous sommes obligés de revoir à la baisse certaines de nos ambitions. Ce que nous avons également déploré, c’est peut-être que, au niveau de la structure, comme nous étions au début, il n’y a pas eu d’expérience antérieure sur laquelle nous aurions pu nous adosser pour lancer nos activités. Donc, pratiquement, nous partons de rien pour gérer l’ONAFAR. Le quatrième élément, c’est l’absence même de bureau mais au niveau du MATDSI, des instructions ont été données par le ministre pour qu’on puisse équiper l’ONAFAR et lui permettre de mener à bien ses missions.

 

Quelles sont les perspectives selon vous ?

 

Nous avons déjà été sollicité par nos autorités de tutelle pour gérer une difficulté.

 

De quelle difficulté, s’agit-il ?

 

Ce n’est pas un secret mais la discrétion est capitale dans la résolution d’un certain nombre de problèmes. En matière de perspectives également, il y a le déroulement de notre programme d’activités car à notre dernière rencontre à Kombissiri, nous avons pu adopter le bilan d’activités de la première équipe qui a dirigé l’ONAFAR et nous avons pu également adopter un programme d’activités que nous souhaiterions dérouler. Ce sont des activités de visibilité, de sensibilisation et de promotion de la cohésion sociale.

 

De quels pouvoirs disposez-vous pour pouvoir lutter contre les dérives dans les discours religieux ?

 

D’abord, nous sommes des leaders d’opinion et religieux. Notre parole porte et c’est pourquoi nous avons été désignés par nos différentes communautés pour être membres de cet organe. Ensuite, nous avons l’oreille de nos autorités de tutelle que sont le MATDSI et le CSC. Elles peuvent demander notre expertise sur certains dossiers ; on peut être saisi ou nous auto saisir sur des questions qui sont de nature à compromettre la cohésion sociale ou la bonne cohabitation interreligieuse. Nous pouvons faire des propositions diverses à l’Etat sur les faits religieux, non pas pour l’embrigader, mais pour l’accompagner dans l’intérêt bien compris de toute la nation burkinabè.

 

Avez-vous un commentaire particulier à faire ?

 

Nous disons merci aux autorités de tutelle pour le soutien qu’elles nous apportent. Nous voudrions qu’elles renforcent cet aspect parce que nous voyons le bien-fondé de cette structure. Pour la preuve, on a également installé l’Observatoire national de prévention des conflits communautaires. Je pense que certains conflits communautaires peuvent avoir un caractère religieux. C’est l’occasion de lancer l’ONAFAR qui va servir de modèle dans la sous-région parce que c’est un organe assez nouveau et c’était bien vu.

 

Propos recueillis par Michel NANA, en collaboration avec Afronline (Italie)

 

 

 

 

 

Qui sont les membres de l’ONAFAR ?

 

– L’Observatoire National des Faits Religieux comprend des membres représentant les confessions religieuses et des membres représentant l’Etat.

Les membres de l’Observatoire National des Faits Religieux, à l’exception des représentants de l’Etat, sont désignés individuellement pour un mandat de trois (3) ans renouvelable une (1) fois.

Les membres représentant l’Etat sont désignés ès qualité; leur mandat peut prendre fin avant terme en cas de changement de fonction.

 

– Les membres représentant l’Etat sont des spécialistes en droit et déontologie en matière de communication ou des questions de libertés publiques, désignés par le Conseil supérieur de la communication (CSC)  et par le ministère en charge des libertés religieuses.

 

– Les membres représentant les religions sont des personnalités ayant de solides connaissances des règles et préceptes régissant leurs religions respectives ; ils sont désignés par les organisations faîtières des différentes confessions religieuses.

 

Source : Règlement intérieur de l’ONAFAR

 


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