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IMMOLATION PAR LE FEU D’UN JOURNALISTE EN TUNISIE


   Signe annonciateur d’un autre printemps ?

Dans la nuit du 24 au 25 décembre, un journaliste tunisien répondant au nom d’Abdel Razzaq Zorgui, s’est fait hara kiri en  s’immolant par le feu. Avant de s’offrir en holocauste aux flammes, ce caméraman- photographe de 32 ans et père de famille, a, dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, donné le mobile de son acte. Il entendait dénoncer la pauvreté et la précarité dans lesquelles sont plongés les habitants de sa région, notamment celle  de Kasserine. Invitant ses concitoyens à se révolter, il a ouvert la marche en lançant ceci : « Je vais initier une révolution seul ». Même s’il est encore tôt pour prédire l’ampleur que pourrait prendre le mouvement consécutif à cet appel, l’on note, d’ores et déjà, après l’enterrement de l’auto-supplicié, des échauffourées entre des habitants de la région et les forces de l’ordre. Ces scènes de violence ont été relayées aussitôt par des appels à la grève générale des hommes de médias.

La Révolution du Jasmin n’a pas répondu aux attentes

 En attendant de voir dans les jours à venir l’évolution de la situation, l’on ne peut qu’établir le triste constat que l’immolation par le feu est devenue le principal mode de revendication en Tunisie et plus spécifiquement dans cette région déshéritée de Kasserine. En effet, le  martyr d’Abdel Razzaq Zorgui n’est pas sans rappeler les suicides en série déclenchés par la mort par le feu, du  jeune marchand ambulant de Sidi Bouzid, Mohamed Bouazizi, qui avait fini par déboulonner la dictature, vieille de près de trois décennies, de Zine el-Abidine Ben Ali, et provoqué ainsi le printemps arabe.  Au-delà de la gravité de l’acte, ces morts violentes traduisent le profond désarroi et le désespoir d’une jeunesse tunisienne « affamée et martyrisée » dans un pays qui fait face à une grave crise économique et sociale, marquée par un chômage au-dessus de 15%, une inflation à 8% et une dégringolade de la devise nationale. La région de Kasserine ressent plus durement cette crise parce qu’elle accusait sur le reste du pays, un grave retard en raison du fort taux d’analphabétisme et du grave déficit des infrastructures sociales et économiques. L’on comprend, de ce fait, qu’elle soit l’épicentre de toutes les crises socioéconomiques qui agitent le pays.

L’autre constat que l’on peut faire après ce nouveau drame est que, de toute évidence, la Révolution du Jasmin n’a pas répondu aux attentes de la population tunisienne. En d’autres termes, la démocratie politique ne s’est pas accompagnée d’une démocratie sociale et économique. L’on peut même se risquer à dire que le doux espoir né de cette révolution, s’est transformé en une chimère voire un véritable cauchemar pour les couches les plus déshéritées de certaines régions du pays comme celle de Kasserine. Et la question consécutive à ce constat que l’on peut justement se poser, est la suivante : pourquoi, pour paraphraser le slogan marxisant, pain et liberté ne sont pas allés de pair pour le peuple tunisien ?

L’on peut donner,  pour répondre à cette interrogation, deux principales explications. La première est la grave erreur commise par le peuple tunisien lui-même, en confiant, après la période de Transition, le pouvoir à des anciens compagnons de Ben Ali. Ces derniers qui ont grandi à l’ombre du dictateur, n’ont appris à faire la politique et à gérer les affaires de l’Etat qu’en se servant des intérêts de la minorité au grand détriment des masses. L’on n’a donc fait que dépouiller Ali Baba de son trésor pour en confier la gestion aux quarante voleurs.

Le peuple  tunisien n’entend pas  baisser les bras

L’on comprend donc aisément qu’après les premiers gestes forts de la Transition, qui ont consisté à la saisie et à la vente des biens de l’ancien dictateur et de ses proches au profit du Trésor public, l’on n’ait fait qu’assister aux atermoiements du nouveau pouvoir quant à une volonté réelle de redonner aux Tunisiens une véritable dignité. L’on a plutôt assisté à une galopante inflation des prix des   produits de première nécessité et à un gel des salaires. La seconde explication est qu’au lendemain du retour à la normale dans le pays, la principale artère de l’économie nationale, en l’occurrence le tourisme, a été sciée par les attaques terroristes qui ont non seulement tari la manne des recettes, mais aussi mis en berne les investissements étrangers dans le pays.

Quelles que soient cependant les motivations du marasme socioéconomique dans le pays, le message des Tunisiens à l’endroit de leurs dirigeants à travers ces sacrifices à répétition, est clair : ils ne veulent plus d’une démocratie qui ne se traduit que dans la beauté. Ils souhaitent que leurs dirigeants donnent un vrai contenu à la démocratie. Et l’élite dirigeante a tout intérêt à entendre ce message   car les immolations des jeunes par le feu, qui se succèdent dans le pays, signifient que le peuple  tunisien n’entend pas  baisser les bras. Il y a donc comme dans l’air, des signes précurseurs d’un nouveau printemps dont les conséquences pour les princes régnants, seront fort dommageables.

Cela dit, tout en restant admiratif du sens du sacrifice de ces jeunes Tunisiens qui se donnent la mort pour des causes nobles, l’on  se doit tout de même de  déplorer ces gestes. Car le suicide, même en bravant une extrême souffrance, traduit parfois le refus de mener le combat que l’on se lance soi-même. Et pour le cas particulier d’Abdel Razzaq Zorgui, journaliste de son état, l’on peut même prendre le risque d’ajouter qu’il disposait  d’autres tribunes pour s’exprimer et faire entendre sa cause.

« Le Pays »


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