HomeA la uneINCIVISME AMBIANT AU BURKINA FASO : Il faut sévir !

INCIVISME AMBIANT AU BURKINA FASO : Il faut sévir !


Plusieurs centaines de personnes ont répondu, le 27 mai dernier, à l’appel de l’Association burkinabè des femmes artistes-musiciennes (ABFAM) pour manifester contre l’agression sauvage, quelques jours plus tôt, de Adja Divine, par une foule déchaînée et vindicative dans les environs de Ouaga 2000. Cette marche qui se voulait silencieuse, a été on ne peut plus bruyante, les uns demandant à la puissance publique de reprendre ses droits en mettant immédiatement fin à cette justice expéditive et passionnée, qui condamne arbitrairement des présumés auteurs ou complices d’un comportement considéré comme contraire à la loi ou aux bonnes mœurs, et les autres implorant tout simplement le Seigneur de venir au secours de ce pays en dérive sociale et morale qu’est devenu le Burkina Faso. Ces marcheurs d’un jour ne croyaient pas si bien dépeindre le phénomène de violence gratuite en vogue dans notre pays, et la trop grande propension des Burkinabè à fouler aux pieds l’article 11 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui stipule que « toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie au cours d’un procès public ou toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées. ».

On ne peut que condamner le phénomène de violence gratuite qui prend de l’ampleur dans notre pays

La justice institutionnelle ayant été à présent doublement saisie (par l’artiste et par le syndicat de la Police), on espère que très bientôt, la vérité sera connue dans cette affaire de course-poursuite digne d’un film hollywoodien de série B, impliquant la victime, les deux agents de police et la horde de jeunes qui voulaient visiblement faire rendre gorge à la pauvre dame, pour on ne sait trop quelle raison. En tout état de cause, on ne peut que déplorer et condamner le phénomène de violence gratuite qui prend de l’ampleur dans notre pays, et au-delà du cas Adja divine, c’est toute la problématique des lynchages collectifs qui ne tiennent jamais compte de la marge d’erreur possible, pour ne pas dire probable dans le cas d’espèce, qu’il faut froidement poser afin de chercher au plus vite la solution. Certes, la vindicte populaire et la vengeance collective ont toujours existé dans notre pays, mais force est de reconnaître que ces pratiques sont incompatibles avec les règles d’un Etat de droit, et donc inacceptables voire intolérables.

Espérons qu’on n’a pas encore touché le fond

Il appartient aux pouvoirs publics de prendre leurs responsabilités en tant que garants de l’ordre et de la paix sociale, en rappelant d’abord aux uns et aux autres que la justice est rendue non pas par le peuple, mais plutôt par des organes juridictionnels en son nom et pour son compte, et ensuite, en punissant sévèrement les auteurs de toute vendetta populaire. C’est évidemment un défi difficile à relever et politiquement à hauts risques, d’autant que les institutions étatiques (justice, police, gendarmerie) censées être le dernier refuge des citoyens victimes de l’injustice et de l’arbitraire, ont perdu leur crédibilité parce que soupçonnées, à tort ou à raison, de traiter les fautifs avec clémence pour des raisons souvent inavouables. Excédés par l’insécurité ambiante, frustrés par une justice lente et corrompue, stressés par les problèmes de la vie quotidienne et ayant intériorisé le fait que l’Etat est en pleine déliquescence, beaucoup de Burkinabè développent aujourd’hui des réactions incontrôlées et choisissent de se défouler sur de présumés malfaiteurs, au lieu de faire appel aux forces de sécurité. On assiste ainsi à une barbarie d’un autre âge dans nos villes comme dans nos campagnes où, sur la base de simples rumeurs, des innocents ou des bouc-émissaires font parfois les frais d’une agression collective ou sont battus à mort, quand ils ne sont pas tout simplement brûlés vifs. On peut bien comprendre les réactions souvent épidermiques de toutes ces personnes qui sont d’abord des victimes avant d’être des bourreaux, mais si l’Etat continue à jouer à l’autruche et à jeter un « regard politicien » sur ces règlements de comptes de plus en plus récurrents, il ne faudrait pas que l’on s’étonne si un matin, des présumé voleurs de poulets ou de simples  soupirants au palmarès élogieux, venaient à être pendus haut et court ou décapités sur la place publique. Afin d’éviter d’en venir à de tels extrêmes, pas besoin d’aller dans les falaises du Gobnangou pour consulter le gourmantché le plus capé de sa génération en matière de voyance. Il faut sévir, et c’est le rôle de l’Etat, contre tous ceux qui prennent des libertés avec les lois de la République, et contre tous ceux qui veulent se substituer à la justice institutionnelle pour se venger ou venger un tiers, en invoquant injustement la légitime défense. Il faut surtout sévir contre les actes d’incivisme qui sont en réalité les géniteurs de tous les dérapages dramatiques auxquels on assiste un peu partout dans le pays et qui, si l’on n’y prend garde, nous conduiront inexorablement à l’anarchie et à la déchirure sociale. L’incivisme est aujourd’hui malheureusement érigé en règle, surtout chez nos jeunes qui ignorent peut-être qu’on peut manifester sa colère et revendiquer ses droits dans le respect de l’autre et des règles de la République. Sur ce point, on ne peut pas dédouaner la classe politique et les leaders de la société civile qui ont bien souvent instrumentalisé cette « jeunesse ardente » dans leur quête de changement ou de pouvoir, sans prendre le soin de discipliner, d’éduquer ou de former leurs ouailles avant, pendant et après les différentes manifestations qui ont fait trembler la République depuis le drame de Sapouy. Espérons qu’on n’a pas encore touché le fond, et que « l’affaire Adja divine », au-delà des trémolos et des sanglots crocodiliens qu’elle a suscités, nous fera une bonne fois pour toutes prendre conscience des risques de perdition collective que nous courons avec la justice populaire.

Hamadou GADIAGA


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