HomeOmbre et lumièreINEGALITE DANS LE SYSTEME DES REMUNERATIONS DES AGENTS PUBLICS : « Il n’y a pas pire cruauté sociale que cela »

INEGALITE DANS LE SYSTEME DES REMUNERATIONS DES AGENTS PUBLICS : « Il n’y a pas pire cruauté sociale que cela »


La conférence nationale sur le système des rémunérations des agents publics a ouvert ses portes, hier, 12 juin 2018, à Ouagadougou. Pendant ce temps, le débat fait toujours rage autour du fonds commun dont bénéficient les travailleurs du ministère de l’Economie et des finances. Pour l’auteur du point de vue ci-dessous, l’occasion est belle pour « revoir votre contrat social ». Lisez !

 

Le sujet qui brûle les lèvres et cristallise le débat de l’opinion publique actuellement est sans conteste celui du Fonds commun (FC). Le coup de tonnerre provoqué par la ministre de l’Economie, des finances et du développement (MINEFID), Hadizatou Rosine Coulibaly/Sori, avec l’annonce du butin faramineux que se partagent les agents du MINEFID, a visiblement lancé un pavé dans la mare. Un sujet qui, en 2015 déjà, sous la Transition, avait été abordé sans succès par la ministre des Finances d’alors, Amina Bila. Autant dire que ce sujet est une vraie patate chaude pour la ministre actuelle. C’est certainement pour cette raison que, n’ayant pas le courage d’Hercule pour affronter seule les travailleurs du MINEFID, cette annonce avait été lancée à l’Assemblée nationale comme pour solliciter l’adhésion de l’opinion nationale. Le “peloton de réactions” face à cette “levée du lièvre” prouve que la proportion prise par ce “pactole Fonds commun” a atteint un paroxysme qui divise la grande famille des ‘fonctionnaires’. Il y a des sujets devant lesquels tout silence, tout mutisme est synonyme de démission citoyenne. Cette histoire de Fonds commun est d’une certaine acuité pour moi qu’il m’est impérieux de donner mon point de vue.A L’évidence, les agents des finances tout comme leurs syndicats, ne tiennent pour rien au monde à perdre ou à troquer ce “magot” qu’ils défendent bec et ongles. C’est compréhensible, puisque les privilégiés cessent rarement leurs privilèges sans y être contraints, disait  Martin Luther King. On comprend alors pourquoi dès qu’on aborde ce sujet, ils sortent leurs griffes et deviennent menaçants. Pourtant, le FC n’est pas le seul avantage dont bénéficient les agents des finances. A bien y voir clair, “l’arbre Fonds communs” cache toute une “forêt d’avantages”.

En plus du FC, ils ont d’autres avantages pharaoniques…

 

Le Fonds commun est ce privilège accordé aux agents du MINEFID et à ceux d’autres ministères comme celui du Commerce, des Mines… qui leur permet de bénéficier trimestriellement d’un avantage financier juteux dont le cumul dépasse allègrement le salaire annuel. Faut-il le noter, le montant d’environ 6 millions qui a été donné ne représente que celui d’un cadre A qui se trouve au 1er échelon. Hors avec l’ancienneté et selon le poste occupé, certains agents perçoivent des FC qui oscillent entre 10 et 15 voire 20 millions par an. Pour les “manitous et les hauts-placés”, l’évocation de leurs FC annuels donne le vertige, tellement c’est encore plus ahurissant. C’est incontestable, “l’accessoire fonds commun” avale complètement le capital salaire. Et ce n’est pas fini !En plus de ces FC, les agents du MINEFID bénéficient aussi de la Prime de rendement (PR) qui est un autre avantage financier accordé par trimestre. A ce niveau, bon nombre d’agents bénéficient d’une PR comprise entre 300 000 et 500 000 F CFA par personne et par trimestre. Le cumul annuel de cette prime (située entre 1 200.000 et 2 000.000 de F CFA) dépasse le salaire annuel de certains fonctionnaires de catégorie A. En outre, il existe d’autres avantages octroyés aux agents selon la spécificité de chaque direction du MINEFID. Par exemple les agents de la Direction générale des impôts (DGI) bénéficient d’un Fonds de lutte contre la drogue, financé par les pénalités. 75% de ces fonds sont reversés aux travailleurs des impôts comme motivation de lutte contre la fraude. Au niveau de la Direction générale des douanes (DGD), des agents bénéficient d’autres avantages basés sur la répartition de produits d’amendes et de confiscations, et l’affectation des intérêts et pénalités perçus dans le cadre de la gestion des crédits d’enlèvements en douane. Au niveau de la Direction générale du trésor et de la comptabilité publique (DGTCP), il a été créé au profit des agents de cette direction, une prime sur les produits financiers et aussi un Fonds de fonctionnement des postes de péage et de motivation des agents du Péage. Sur la base de tous ces éléments sus-décrits (notons que les montants donnés ici sont minimisés, juste la moyenne), un agent du MINEFID peut percevoir 3 à 4 fois son salaire annuel, voire plus, et cela, sans compter les autres types d’avantages liés aux activités que chaque agent peut mener dans l’exercice de sa fonction (missions, ateliers de travail, formations…). Autant dire qu’entre ces derniers et d’autres agents de l’Etat, il y a un écart révulsant, un gouffre avilissant. Certains agents du MINEFID, pour justifier le maintien de leurs acquis, brandissent les avantages des agents d’autres secteurs ministériels. Mais qu’en est-il au niveau de la santé par exemple ?

Ecart abyssal avec d’autres agents de l’Etat…

 

Au niveau du ministère de la Santé, les agents affectés dans des services qui produisent des recettes propres (CSPS, CMA, CHR…), bénéficient trimestriellement des ristournes. Ces ristournes sont prélevées à hauteur de 20% des recettes propres produites au cours du trimestre. Ces 20% sont répartis à l’ensemble du personnel de la structure concernée. A ce niveau, il faut noter qu’un agent siégeant à la catégorie la plus élevée (P ou A) atteint rarement 40 000F/trimestre. Et pour un agent qui est logé dans la plus petite catégorie (E), son gain tourne autour de 10 000F/trimestre. Un rapide calcul donne environ 160 000F/an à un agent de catégorie P ou A, et autour de 40 000F/an pour un agent de catégorie E, (précisons que cet exemple est pris dans le meilleur des cas, sinon la réalité montre que les montants individuels reçus sont généralement inférieurs à ces chiffres). En plus de ces ristournes, les agents qui exercent dans les établissements publics de santé (CHR/CHU, ENSP, CNTS, OST…) peuvent bénéficier de la prime de rendement à la fin de l’année, mais à condition que chaque structure atteigne un taux de recouvrement d’au moins 20% des recettes propres. Si cette condition est remplie, chaque agent reçoit 5% de son salaire de base. Pour ce cas-ci, les catégories et échelons les plus élevés (ceux qui gagnent le plus) atteignent très rarement le montant de 180 000F/an. En somme, pour les agents de la santé, les avantages financiers considérés comme accessoires aux salaires que certains pointent du doigt, sont véritablement modestes, sinon insignifiants comparativement au “mastodonte FC”. Un calcul rapide montre qu’un cadre A qui bénéficie des ristournes et de la prime de rendement (cas les plus avantageux), peut se retrouver avec tout au plus 350 000F/an). Rien à comparer avec un agent des Finances qui brasse des paquets de millions/an rien que pour le fonds commun. Dans ce ministère, il y a des gens qui se retrouvent avec 20, 30 ou 40 millions de revenus par an, pendant que les autres agents de l’Etat souffrent avec un salaire annuel d’à peine 2 millions. L’écart est diablement consternant. Dans leur lutte pour de meilleures conditions de vie et de travail, les agents de la santé avaient fondé leur espoir sur la Fonction publique hospitalière (FPH) censée venir expier leur misère financière. Mais in fine, cet espoir s’est émoussé, fondu comme l’huile au feu. Le désappointement est à la hauteur de la montagne qui a accouché d’une souris. Ils ont trouvé que les prétentions salariales issues de cette FPH étaient très élevées et insoutenables par l’Etat, raison pour laquelle tout a été revu à la baisse et réduit aux portions les plus élémentaires. L’exemple ici des agents de la santé n’est qu’un échantillon des autres travailleurs de la Fonction publique (le MENA, l’Action Sociale, l’Agriculture,…) qui partagent les mêmes rigueurs de la vie et végètent tous sous la férule humiliante d’une vie austère et socialement indigne au Burkina Faso. Mais il va falloir rectifier le tir, car ce sont de telles inégalités qui constituent le terreau des crises sociales.

Nécessité d’assainir et de réajuster…

 

Il faut reconnaître objectivement que dans ce pays que l’on dit pauvre, offrir des revenus astronomiques à une portion d’agents (autour de 8 000 agents sur 180 000 fonctionnaires environ), tout en laissant sur le quai la grande majorité, est pour le moins insultant. A moins que par cet acte, l’Etat veuille nous faire comprendre qu’il y a de l’argent pour certains, mais pas pour d’autres. Cette situation qui transforme certains travailleurs en supers-agents et d’autres en sous-agents crée une frustration et une démotivation qu’on ne peut tolérer. A l’heure actuelle, il est malsain d’aborder en toute objectivité ce thème au risque d’être traité de jaloux et de subir le courroux de certains agents des finances. Ces derniers en manque d’idées, et du haut de leur arrogance induite par “l’accoutumance à un train de vie ostensiblement luxueux et opulent”, tiennent ces propos on ne peut plus stupides et exaspérants : «celui qui n’a pas le FC et qui n’est pas content n’a qu’à démissionner et aller faire un concours ENAREF». Quelles incohérences ! Il faut être dénué de scrupules pour tenir un tel langage inapproprié. L’éducation scolaire et académique qui leur a permis de devenir ce qu’ils sont aujourd’hui, ils doivent cela à qui ? Ce n’est pas à l’ENAREF ! La bonne santé dont ils ont bénéficié depuis leur enfance, socle de leur aisance physique actuelle, ils le doivent à qui ? Pas à l’ENAREF ! De grâce, il faut changer de rhétorique. Pour satisfaire nos besoins vitaux, nous sommes dans la vie tous débiteurs de personnes connues ou inconnues, pauvres comme riches. Donc il faut se débarrasser de cette myopie sociale, car nous sommes tous interdépendants et englués dans un réseau de réciprocité, un même tissu social et professionnel auquel nous ne pouvons nous dérober. Ce qui affecte l’un, affecte aussi l’autre indirectement. D’où la nécessité d’avoir une petite dose d’humilité par respect à tous les travailleurs pour ne pas creuser un fossé entre fonctionnaires. C’est pour tout cela qu’il est important que l’Etat repense ce système pour tenir compte de tous les agents de l’Etat. L’argument de recouvrer les deniers publics pour justifier l’octroi de ces FC aux seuls agents des finances est discutable. Par exemple, un enseignant qui fait un taux de réussite compris entre 90 et 100% à l’examen, un FDS qui, au péril de sa vie, met un bandit ou un terroriste hors d’état de nuire, un agent de santé (infirmier, médecin, sage-femme…) qui sauve un malade venu dans un état critique… comment payer ces efforts ? Tous ces braves agents qui font des prouesses dans leur domaine devraient alors bénéficier d’un FC de type particulier pour les encourager à exceller. Ces questions doivent trouver réponse. Donc ce seul argument de participer au recouvrement de l’argent de l’Etat est insuffisant. Si cet argument tenait, comment comprendre que les Adjoints des cadres hospitaliers (ACH) et les Gestionnaires des hôpitaux (GH) qui gèrent les régies de recettes dans les structures de santé, ne bénéficient pas du FC ? Pourtant ce sont ces derniers qui triment et besognent à collecter et à recouvrer les fonds qui y sont, pour ensuite aller reverser au Trésor. Il y a des formations sanitaires où des gestionnaires collectent et reversent par an au Trésor public plus de 200 millions de F CFA. A ce niveau, les agents du Trésor ne jouent que le rôle de “simples caissiers”, juste pour encaisser les fonds provenant des structures de santé. Mais l’injustice fait que ces agents de la santé ne bénéficient pas du FC. Il convient de corriger cette injustice, sinon, les gestionnaires devront désormais refuser de continuer à être l’appendice de ces agents du Trésor. Par cette situation, l’Etat a créé, par inadvertance peut-être, des emplois plus enviés et plus importants que d’autres. Pourtant tous les agents de l’Etat, peu importe le domaine d’intervention, sont importants. Ils sont tous les chaînons essentiels d’une même chaîne de production de la richesse nationale. L’argument de mettre les financiers à l’abri de la corruption et du “vol du bien public” est valable pour les autres agents de l’Etat aussi, donc que l’on donne le FC à tous. Pourquoi lorsque les enseignants, les agents de santé… excellent dans leur domaine, on dit qu’ils ont leur salaire pour ça ? Mais quand il s’agit des agents des finances (qui ont aussi leur salaire), on leur donne le FC pour les encourager. Reconnaissons que cela est un illogisme choquant.

 Propositions de répartition des fonds communs

 

Je n’appelle pas ici à une suppression systématique et intégrale du FC. Je ne m’insurge pas non plus, par surdose de jalousie, contre les privilèges des financiers. C’est tout de même le fruit d’une lutte âprement menée, même s’il faut reconnaître que cette lutte a été habilement orchestrée débouchant à d’espiègles négociations fortement teintées d’astuces et maculées de malices entre le Gouvernement et les Financiers, à l’avantage de ces derniers et laissant de côté les autres catégories de fonctionnaires. Et c’est là que se trouve le cœur du problème qui nécessite qu’il faille trancher ce nœud gordien. Pour cela, j’ai deux propositions face à cette cruciale question. Premièrement, face à la difficile soutenabilité financière de l’Etat, je propose que par voie législative l’on revoie à la baisse le point indiciaire (1.7% des recettes recouvrées) sur lequel est indexé le FC. En revoyant à la baisse cet élément, les charges financières diminueront, toute chose qui permettra à l’Etat de réinvestir ce supplément financier dans de secteurs économiques plus productifs. Ma deuxième proposition, c’est de revoir la clé de répartition de ces FC de sorte à permettre à tous les agents publics de l’Etat de bénéficier des retombées financières, fruit du labeur de tous. Cette mesure débarrassera cette question de tout traitement discriminant et instaurera une certaine équité entre fonctionnaires. Mais il serait illusoire de croire que tout le monde aura le même montant, les financiers auront quand même la part belle. En ce sens, je propose que l’Etat prélève un pourcentage issu de ces FC pour affecter à chaque ministère selon le poids en effectif de chacun. A ce moment chaque ministère aura un FC et la répartition au profit du personnel du ministère concerné obéira à un coefficient bien déterminé qui tiendra compte des catégories professionnelles.

 

Remise à plat oui, mais à commencer par le gouvernement, les magistrats…

 

La conférence sur la révision du système des rémunérations vient à point nommé. Il faut réellement repenser ce système et de ce fait, revoir le plancher et le plafond des salaires pour les rendre soutenables par l’Etat sans pour autant “décimer” le panier de la ménagère des plus pauvres. Il faut donc remettre tout à plat, “refonder” une nouvelle grille plus juste et plus équitable. Et pour ce faire, l’élite dirigeante doit faire le premier pas. Du président en passant par les ministres, les présidents d’institution, les députés, les magistrats…, l’exemple doit venir d’eux d’abord. Il n’est plus question de dire à certains agents (les moins nantis) de serrer la ceinture, pendant que d’autres (les plus riches) la desserrent. Il n’est pas normal que les uns se prélassent dans le luxe insultant alors que d’autres s’enlisent dans la misère asphyxiante. Il n’y a pas pire cruauté sociale que cela. Comment peut-on lutter contre la corruption et l’appât du gain facile dans un contexte où l’exemple ne vient pas d’en haut ? Si le gouvernement a une réelle volonté de remise à plat, cela doit commencer par eux, et ce, par devoir d’exemplarité. Si le peuple accepte de vivre dans l’austérité pendant la période des vaches maigres, c’est dans l’espoir que quand “les vaches vont grossir” personne ne sera exclue. Il est vrai que chaque structure (ministère, direction,…) a ses spécificités et, par ricochet, ses avantages qui lui sont propres, mais il est indécent, dans un pays que l’on dit pauvre, de trouver un écart aussi abyssal entre travailleurs d’un même Etat. Il n’y a pas de gloire ou de fierté à vivre dans un îlot de prospérité au milieu d’un océan de misère. Si l’on ne rectifie pas, c’est notre navire commun à tous qui risque de chavirer.

Revoyons notre patriotisme !

 

Thomas SANKARA disait qu’«il faut choisir entre le champagne pour quelques-uns, ou l’eau potable pour tous ». Cette vision d’une rare vertu humaine exhorte nous Burkinabè à ne pas créer les conditions qui dépouillent le nécessaire au grand nombre pour donner le superflu à quelques-uns. C’est dommage de constater que de nos jours, les Burkinabè sont de moins en moins intègres et de plus en plus égoïstes. Nous sommes appâtés par une compétition sans merci à nous montrer plus concernés par les moyens d’existence que par la qualité de notre vie. L’attrait du luxe est tel que nous sommes plus centrés sur notre devenir individuel que notre avenir collectif. Nous mesurons le succès de notre vie aux taux de nos salaires et au format de nos voitures qu’à la qualité des services que nous rendons à nos prochains. Cette nouvelle attitude du Burkinabè, copiée du capitalisme pure est plus pernicieuse que vicieuse. Notre intégrité et notre patriotisme ont besoin de vêtements nouveaux. Il nous est impérieux de les jauger pour les remettre sur la balance de notre mission de développement. Le service public est un sacerdoce, il faut un minimum de sacrifice à consentir à tous les niveaux pour assurer à notre pays un avenir plus radieux pour nos enfants et nos petits-enfants. Le partage équitable de la richesse nationale est la condition de notre survie en tant qu’Etat solidaire sinon l’esprit du sacerdoce s’envolera à vau-l’eau. Prenons garde à ne pas assouvir notre boulimie en creusant le calvaire de notre pays. Cela risque de précipiter les générations futures dans un gouffre dramatique. De l’abysse, nous risquons de descendre tragiquement dans l’abîme. Alors, revoyons notre contrat social !

 

Bouabani Jonathan TOMPOUDI

Tél. : 70 10 50 62 / 78 90 79 99 

Email : [email protected]

 


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