HomeBaromètreINSURRECTION POPULAIRE AU BURKINA : « Blaise Compaoré comme Maurice Yaméogo »

INSURRECTION POPULAIRE AU BURKINA : « Blaise Compaoré comme Maurice Yaméogo »


L’auteur du point de vue ci-dessous revient sur la révolution des 30 et 31 octobre derniers qui a occasionné le départ de l’ancien président Blaise Compaoré. Pour lui, Blaise a terminé comme Maurice Yaméogo qui, le 3 janvier 1966, avait été aussi emporté par un soulèvement populaire. Lisez plutôt !

 

A l’instar du 3 janvier 1966, les journées des 30 et 31 octobre sont marquées d’une pierre blanche. Le peuple, une fois encore, est poussé à s’auto-défendre face à un pouvoir aveuglé par l’appât du gain facile caractérisé, avec comme légende : l’arbitraire, la félonie, la forfaiture et la mégalomanie.

En janvier 1966, Maurice Yaméogo, au sommet de son art, se croyait intouchable au regard de ses hauts faits antérieurs en politique. En effet, après moults épisodes où les traquenards se bousculaient sans pouvoir troubler sa sérénité, il se croyait sous la protection de boucliers en acier étanche et inusables. Subtil et beau parleur, il a réussi à se faire remarquer positivement dans le microcosme politique de son époque, tout d’abord sous le magistère de Ouézzin Coulibaly, son mentor. Ce dernier, décédé, fort dans les jeux de coulisse, Maurice Yaméogo parvint à prendre la succession et à consolider sa position, avec une audience et une autorité accrues. Son charisme physique et ses envolées oratoires séduisent et rassurent (plutôt apeurent) aussi bien le citoyen lambda que la classe politique.

Le retournement de veste dont il en avait le secret pour ne pas dire le monopôle n’y changea rien. L’homme était doué pour le double jeu et trahir la parole ne lui coûtait aucune peine. Il faut dire qu’il était aidé en cela par ce qu’on appelait « l’épée de sacrifice » qu’il brandissait à souhait pour dissuader les éventuels trouble-fête. Monsieur Gil Dugué, dans son livre « Vers les Etats- Unis d’Afrique », préfacé par Monsieur Modibo Kéita, premier président du Mali, le décrit en ces termes : « Le Président du conseil qui apprécie en connaisseur l’art du demi-tour » une anecdote, selon Gil Dugué toujours. Après la trahison de son serment au moment des débats sur la Fédération du Mali à Dakar, ses amis, pour prendre sa défense, ont prétendu, toute honte bue, « qu’il n’a pas prêté serment à Dakar, mais qu’il a simplement levé le bras pour rajuster la manche de sa veste… ».

Bon et beau jongleur, ce Monsieur pensait sérieusement que la Haute-Volta était un objet entre ses mains. Il pouvait donc en disposer à sa guise. Mais il avait oublié ou minimisé un aspect sensible : la dignité humaine. Il ne se rendra compte de la moisissure de tout ce qui constituait ses remparts et autres garde-fous que le 3 janvier 1966. Ce jour- là, ses serments, maintes fois répétés, mais jamais tenus ont été dénoncés, condamnés et rejetés par un mouvement “révolutionnaire” du peuple qui lui retira sa confiance. Le rabattement des salaires est très sensible pour s’accorder d’une décision inflexible.

Ainsi prit fin le règne d’un homme qui se croyait en terrain conquis, se pavanant, hilare et sûr de la solidité de la trame qu’il a tissée.

L’histoire se répète les 30 et 31 octobre 2014 avec le renvoi de Blaise Compaoré de la Présidence du Faso.

Venu frauduleusement en politique avec le coup d’Etat du 7 novembre 1982, Blaise Compaoré a eu un parcours tumultueux dans cette arène surtout, à partir du 15 Octobre1987, date de l’assassinat du très populaire Thomas Sankara. Les marches de son ascension sont émaillées de beaucoup de sang versé dans l’impunité. Et à chaque étape de ce long cheminement, des cris d’orfraie ont été poussés pour traduire la profondeur de la blessure de ceux qui en sont les victimes.

Les quelques bons résultats réalisés sur le plan économique ne sont pas arrivés à atténuer la douleur ou le ressentiment de nos concitoyens dont le nombre, au fil du temps, grossissait. Les cœurs ont été profondément atteints et les esprits ont fini par prendre un détour irréversible. Lorsque le cœur et l’esprit harmonieusement se rebellent, ils sont comparables à l’eau versée ; ça ne se récupère pas. Blaise Compaoré, aujourd’hui en cavale, ne dira pas le contraire. C’est aussi la rançon d’une cécité audio- visuelle auto-provoquée pour éviter la controverse.

La politique n’a de sens que si et si seulement elle est le fait d’une conviction et d’un engagement à se mettre au service des gens au nom desquels l’on parle et l’on décide. Le vedettariat est antinomique au comportement de l’homme politique acquis à la promotion de la justice, de la solidarité et du progrès qui sont des vertus démocratiques et républicaines. Que signifie alors le double jeu qui consiste à :

– Se rendre disponible pour résoudre les antagonismes dans les pays étrangers tout en en créant et minimisant ceux qui existent chez soi avec une amplitude égale et parfois plus prononcée ;

– Entretenir un parc animalier personnel et coûteux dans un pays où les priorités sont ailleurs : santé, éducation, alimentation, logement, emploi des jeunes, eau et électricité, etc. ;

– Elever le niveau des avantages matériels et financiers des responsables politiques en fonction de ce qui se passe ailleurs sans en faire autant pour les vrais producteurs des richesses nationales ;

– Constituer le parc automobile de l’Etat de grosses cylindrées numériquement supérieures au besoin de l’Etat alors que de nombreux services vitaux croulent dans une déshérence indescriptible ;

– Accentuer par une politique dilettante, les disparités sociales géographiques et économiques dans un pays pauvre fortement endetté dont les habitants souffrent des mêmes maux.

Ce sont autant de travers qui ont masqué les embellies économiques engendrées par le régime de Blaise Compaoré. D’où la reconnaissance de la supériorité de la sensibilité du sociopolitique sur l’économique quand bien même l’un et l’autre sont intimement liés de façon indissoluble. C’est dire aussi que l’être humain est doué d’une perspicacité dont l’apanage lui est reconnu singulièrement. Le devoir de veille, de vigilance et l’esprit de sacrifice sont plus que jamais une exigence pour celui qui a à cœur de contribuer à l’édification d’un Etat de droit respectueux des valeurs cardinales de la démocratie dont le centre névralgique est la prise en compte constante du bien commun du peuple.

A un moment donné, Blaise Compaoré a perdu de vue cet aspect des choses pour ne retenir que son épanouissement personnel ainsi que celui de son entourage immédiat sans oublier sa famille de pensée politique réduite aux courtisans et autres opportunistes prompts à proférer des injures. Et ce qui devait arriver arriva les 30 et 31 octobre 2014 :

Des millions de Burkinabè, excédés, crient leur ras-le-bol et envahissent toutes les artères des villes et des campagnes en scandant : « trop c’est trop ». N’en pouvant plus, les gens étaient prêts aux sacrifices suprêmes pour reconquérir leur dignité confisquée depuis de longues années.

La masse des gens dans les rues était indescriptible. Leur détermination historique à la dimension des dégoûts et des exaspérations.

Le 30 octobre 2014 était prophétisé, « journée de tous les dangers ». Mais les marcheurs n’avaient dans le cœur et dans l’esprit que de démontrer à Blaise Compaoré et à sa valetaille l’invincibilité du peuple uni et débout. Les blessures et même les morts étaient un détail pour nombre d’entre eux. La prise de l’Assemblée nationale et sa mise en flammes sont venues accentuer le goût du risque qui les galvanisait. Ce fut un moment ardent et exaltant où le désir d’empêcher, coûte que coûte, l’adoption de la loi assassine de la démocratie et de la république était incontestablement réel. Dès lors, l’espoir changea de camp. Et dans un tumulte et une opacité de fumée, les députés félons, dans des sauts périlleux indescriptibles, renversent chaises et bureaux sur leur passage pour disparaître comme des sauterelles surprises par un feu de brousse, rappelant l’épisode de l’attentat contre le président Egyptien El Anouar Sadate en 1981.

La marche triomphale vers Kosyam était ainsi ainsi amorcée. N’eût été l’intervention de personnes d’une notoriété certaine, les balles auraient sifflé aux portes ou sous les fenêtres de Blaise Compaoré contre les marcheurs qui, au mépris de leurs vies, étaient décidés à en découdre avec lui.

Blaise Compaoré, esseulé et sans voix, n’avait plus le choix. Démissionner et partir étaient la seule et unique issue. Le temps était compté et les issues de secours réduites à la portion congrue. Une “fenêtre ” était ouverte. Blaise Compaoré s’y engouffra avec armes et bagages en enjambant de nombreux morts et blessés. L’homme fort est devenu une brindille qui n’a pas résisté au souffle des échos de séisme sous ses pieds.

Les morts et blessés d’un nombre sans précédant dans l’histoire des luttes de libération dans le Burkina Faso indépendant expriment le niveau d’engagement et de prise de conscience de notre peuple. La nation entière leur en est reconnaissante. Et les mesures annoncées par les autorités pour immortaliser le sacrifice qu’ils ont consenti va dans le bon sens. Il est à espérer que toutes celles et ceux qui aspirent à gérer le pouvoir d’Etat réfléchiront intensément avant de s’y engager. Car le devenir du peuple ne saurait être un jouet entre les mains d’une oligarchie dévoreuse des biens communs dans l’impunité.

L’attelage Kafando-Zida est au pied du mûr. Les préjugés favorables qui leurs sont reconnus, loin d’être un blanc-seing, sont une invite à se mettre debout, en sentinelles comme le jeune soldat français qui, de façon stoïque, refusa le passage à Napoléon, pourtant chef suprême. Le nom du peuple est sacré. Et nul ne peut et ne doit se mesurer à lui. Il est la source et le détenteur du pouvoir qu’il délègue en tant que force incontournable. Que retiendra l’histoire à propos de Kafando et Zida ? De leur bilan viendra la réponse.

Maurice Yaméogo et Blaise Compaoré l’ont compris à leur dépens. L’impédimenta de leurs pouvoirs est venu de l’assurance excessive que l’un et l’autre fondaient sur l’omnipotence du pouvoir politique. Alors, ils ont tous brisé, de la même façon, leurs rêves et compromis leurs honneurs et leurs dignités sur l’autel de la suffisance et de l’aveuglement. Sur la pointe des pieds, ils ont quitté bureaux feutrés et salons paradisiaques pour une errance avec des remords et des insomnies qui forment logiquement un couple de raisons. Ainsi va la vie des dirigeants qui tournent le dos aux exigences de l’Etat de droit, de la démocratie et de la République.

Aujourd’hui, nous entendons et écoutons des débats contradictoires nourris, bien enrobés avec des phrases chatoyantes mais qui ne prennent pas toujours en compte nos préoccupations communes et quotidiennes. Pour espérer réussir à se coller à nos besoins à partir de nos réalités, il me semble que nous devrions apprendre à cesser ou, à tout le moins, à amoindrir notre goût à copier, à recopier et à réciter ce que d’autres, au prix d’une concentration stimulée, ont pu offrir à la conscience humaine. Il s’agit d’un effort nécessaire si nous voulons et tenons à sauvegarder notre identité dans ses valeurs positives ; par exemple, le respect de la parole donnée. La réalisation de notre indépendance en dépend. Essayons de nous départir un peu des incantations universalistes, surtout dans des domaines comme l’idéologie qui méritent d’être sous l’influence du contexte, du milieu et des réalités concrètes. En tous les cas, l’homme et tout ce qui conditionne la satisfaction de ses aspirations profondes doivent être au cœur des cogitations.

Gardons en mémoire et en pensée les morts et les blessés !

Honneur et gloire au peuple uni et debout qui est le seul invincible !

Nan laara an sara !

Ouagadougou, le 25 novembre 2014.

Hassane Wèrème


Comments
  • C’est faut maurice yameogo n’a pas tue

    28 novembre 2014
  • Quelle belle analyse comparée ! quel beau texte ! Y a rien à dire. J’ai eu beaucoup de plaisir à lire cet article. Bon courage M. Wérèmé

    29 novembre 2014
  • Ce qui s’est passé montre bien que le peuple est le vrai détenteur du pouvoir . Pour des raisons organisationnelles, un délégué (président) est désigné pour décider à sa place. Malheureusement il arrive que certains délégués une fois installés méprisent le même peuple qui leur à donné le pouvoir. Plus jamais de morts en politique au Burkina.

    30 novembre 2014

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