HomeA la uneINSURRECTION POPULAIRE AU BURKINA : Dramane Konaté avait prévenu

INSURRECTION POPULAIRE AU BURKINA : Dramane Konaté avait prévenu


Sur invitation du Conseil économique et social (CES) au mois de février 2014, Docteur Dramane Konaté de la SAGES et d’autres éminences grises de la société civile avaient diagnostiqué les maux qui risquaient de faire exploser le front socio-politique au Burkina Faso. Voici une synthèse des propositions faites dont la pertinence est toujours d’actualité, au moment où notre pays est à la recherche de repères pour amorcer une vie politique et sociale apaisée.

Lorsque l’Etat de droit est mis à rude épreuve, la démocratie, la paix et la cohésion sociale deviennent problématiques. En l’espèce, les populations exercent diverses pressions sur l’Etat à travers des effervescences de masses, des tensions plus ou moins vives, ce qui pourrait déboucher sur une défiance vis-à-vis de l’autorité publique, sinon une insurrection généralisée.

Quelles sont les causes profondes de la situation et quelles en sont les conséquences ? Surtout quelles solutions faut-il préconiser pour la restauration de l’autorité de l’Etat ainsi que pour la promotion d’une vie politique inclusive et apaisée ?

 

1-Des causes indirectes ou externes

 

Les causes externes sont inhérentes au contexte international. Partant, il s’agit d’un problème complexe d’autant que les fondements des sociétés reposent certes sur les principes d’égalité et de solidarité, mais malheureusement, celles-ci subissent des avatars qu’il convient de mettre sur le compte du «  mal de civilisation ». En somme, toute société engendre les atouts de son épanouissement ainsi que, paradoxalement, les ferments de sa propre destruction.

Les influences extérieures se rapportent à des facteurs non négligeables dans la défiance de l’autorité publique. Il s’agit de la gouvernance politique mondiale, du contexte de la mondialisation, de l’influence des réseaux sociaux et du syndrome de la diversité culturelle.

 

La gouvernance politique mondiale

 

Les relations internationales se font à l’aune de la paix et de la sécurité mondiales. La communauté internationale a édicté des clauses universelles en la matière, et s’emploie à   mettre en œuvre les instruments devant faciliter l’émergence de l’Etat de droit et l’ancrage de la démocratie dans les pays qui connaissent fréquemment des troubles.

L’on a souvenance que le vent de démocratisation a soufflé dans les années 90 en Afrique francophone, suite au discours de la Baule. Le contexte de l’époque était favorable à toutes sortes de revendications de la part des acteurs politiques, mais surtout de la société civile qui réclame plus de droits et de liberté d’expression.

Affaiblie par des crises à répétition et de vives tensions,   l’autorité publique, dans les pays du Sud, s’effrite face à la pression de la rue. L’organisation d’élections démocratiques et la mise en place d’institutions républicaines permettront d’élargir les espaces de libertés et de dialogue afin de faire régner un climat politique apaisé dans nombre de pays.

Démocratie rime avec Etat de droit. L’inscription des droits fondamentaux comme principes inaliénables dans la Constitution n’en garantit pas l’effectivité. Le front social est prêt à se mettre en ébullition face aux exigences du moment, avec son cortège de manifestations violentes, de saccages, de pillages, de destruction de biens publics, etc.

 

Le contexte de la mondialisation

 

Le contexte de la mondialisation impose aux sociétés d’être en phase avec le développement urbain ainsi que l’évolution technologique et industrielle. Avec le commerce globalisé et la libéralisation des économies, de nouveaux besoins se créent ; la consommation connaît un accroissement tandis que les conditions de vie de la grande masse se dégradent. L’accélération de la croissance dans tous les secteurs d’activités, les déséquilibres dans le domaine du commerce mondial, la marchandisation à outrance, la propension à l’accumulation de la richesse sont autant de facteurs qui conduisent au délitement du tissu social, à l’émergence des inégalités, à la paupérisation généralisée.

Les agglomérations se retrouvent avec des banlieues peuplées et des ghettos où la précarité et la promiscuité engendrent des vices de la pire espèce. Naturellement, la jeunesse issue de ces milieux fait partie de la grande masse des laissés-pour-compte (…). En Afrique, et précisément au Burkina Faso, le développement urbain sera une attraction pour les populations rurales qui vivent dans l’extrême pauvreté, espérant trouver en ville du travail plus valorisant, du moins, plus rentable que celui de la terre dont les changements climatiques rendent de plus en plus difficile l’exploitation.

Cette masse informe qui croupit dans la misère a beaucoup d’attentes en termes de scolarisation des enfants, d’accès aux soins sanitaires, à l’eau potable, à l’électricité, bref, à un mieux-être. Dans tous les esprits, ces attentes ne peuvent être comblées que par l’Etat. Au cas contraire, les populations connaissent des frustrations parce que se sentant abandonnées, les pouvoirs publics ne réussissant pas à améliorer leurs conditions de vie.

 

L’influence des réseaux sociaux

 

Une autre dimension du contexte international à prendre en compte dans le « mal nécessaire de la civilisation » est le développement des technologies de l’information et de la communication. Les réseaux sociaux sont un maillage planétaire de l’information, ce qui fait que les événements, dans toutes les contrées du monde, sont connus de tous en temps réel, à l’instar du « printemps arabe ».

 

Le syndrome de la diversité culturelle

 

Il est établi que l’ouverture aux apports extérieurs crée de la diversité sur le plan socioculturel. La diversité culturelle est nécessaire, tant pour l’hétérogénéité des sensibilités que pour la pluralité des formes d’expression. Cependant, la jeunesse en perte de repères est plutôt en quête de snobisme. Une telle situation peut influer négativement sur les comportements et les habitudes car l’on a coutume de prendre l’exemple chez les autres, oubliant parfois que les contextes politiques, les cultures et les pratiques ne sont pas forcément les mêmes. Si la jeunesse burkinabè, par exemple, se met à détruire le peu de biens (routes, édifices) dont dispose le Burkina Faso, il serait difficile d’amorcer une émergence avec les maigres ressources du pays.

 

2-Des causes internes ou directes

 

Le contexte national se caractérise par des réformes politiques dont certains points non consensuels suscitent la méfiance vis-à-vis des pouvoirs publics qui sont l’émanation de l’Etat (…).

Les causes internes sont également à rechercher dans l’impunité et l’injustice qui sont les deux faces d’une même médaille. L’impunité semble traduire l’impuissance de l’Etat à sévir contre la corruption, la délinquance fiscale, les scandales financiers et toutes formes de détournements de deniers publics. Pourtant, des structures de contrôle et d’éthique font régulièrement leurs rapports, malheureusement non suivis d’effets.

Juridiquement, s’ils ne se reprochent rien, les présumés coupables de crimes économiques doivent exiger d’être entendus à travers un procès équitable. Contre toute attente, les faits et les cas connus de tous restent sans suites judiciaires. Cette impuissance à sévir est la source même de la défiance vis-à-vis de l’Etat. Car, faut-il encore rappeler ce principe sacré selon lequel  « en démocratie, l’état de la justice est un marqueur extrêmement fiable de l’état des libertés, de l’égalité réelle et de la séparation des pouvoirs ».

C’est donc dépité et exaspéré par une justice qui ne semble pas se soucier de son sort que le peuple ne croit plus aux vertus de l’Etat de droit (…).

L’instabilité institutionnelle est à l’origine des dysfonctionnements constatés dans les structures de l’Etat. S’il est vrai que l’administration est une continuité, les changements récurrents et inopportuns ne permettent pas une exploitation judicieuse des compétences et une valorisation du capital expérience. Les dossiers et autres projets sont à chaque fois retardés ou non exécutés par manque de suivi. En chômage technique, les déflatés administratifs ne disposant pas de la carte du parti ne peuvent que grossir les rangs de ceux qui se sentent lésés.

 

A l’évidence, les sanctions arbitraires et les frustrations de toutes sortes dans leurs carrières annihilent la conscience professionnelle des agents dévoués. A compétences égales, l’Etat montre qu’il n’est pas juste et ne peut donc faire respecter son autorité par la masse des frustrés de l’Administration publique.

Aussi, l’appareil d’Etat est paralysé par la mal gouvernance à travers une bureaucratie rigide, partisane qui crée des inégalités criardes entre dirigeants et exécutants. La pathologie administrative au Burkina Faso inhibe toute responsabilité, instaure le népotisme et l’affairisme. L’autorité de l’Etat ne peut s’exercer dans un contexte de suspicion, de délation, de clientélisme politique, etc.

 

Le secteur économique est gangrené par la corruption et le libéralisme indéfini. L’accaparement du milieu des affaires par des clans crée des distorsions, génère des sans-emplois et des sous-emplois, favorise l’évasion fiscale. La croissance dans le Burkina émergent ne semble pas profiter à la grande masse des indigents. Pendant ce temps, la prolétarisation urbaine croît dans un contexte où tous les paramètres du secteur informel ne sont pas encore maîtrisés, de sorte qu’il ne génère pas de projets structurants pouvant lutter durablement contre la pauvreté et impulser une dynamique de croissance. L’insuffisance de mesures d’accompagnement pour atténuer les effets néfastes de l’essor effréné du néo-libéralisme est criarde, et les citoyens sont des laissés-pour-compte de la mondialisation.

 

L’Etat providence connaît des limites dans un pays aux maigres ressources. Des actions ponctuelles d’aide aux défavorisés ne peuvent les sortir durablement de la misère qui revêt trois caractéristiques principales : la pauvreté, la précarité et la vulnérabilité. La pauvreté existentielle crée forcément les conditions de la misère morale. Dans ce cas, l’autorité de l’Etat ne peut se prévaloir auprès de gens qui savent qu’ils ne représentent rien dans un système de compétition et d’exclusion. Aussi, manifester quand l’occasion se présente, de façon bruyante et parfois violente, est la seule voie pour la jeunesse d’assurer sa propre survie et de préserver sa dignité.

 

3-Des voies de solutions

 

Les crises à répétitions et les manifestations violentes compromettent la paix, la cohésion sociale et le développement de la nation. Aussi, des voies de solutions peuvent être explorées selon quatre dimensions : institutionnelle, économique, culturelle et sociale.

 

La dimension institutionnelle

 

La dimension institutionnelle repose essentiellement sur une véritable politique de promotion de la démocratie et de l’Etat de droit. Dans ce cas, il faut :

-veiller à la mise en œuvre des réformes consensuelles et éviter d’imposer aux populations des décisions arbitraires;

-rapprocher davantage les institutions de la République des citoyens en adaptant leur fonctionnement qui semble parfois trop occidentalisé et complexe dans un pays à 80% analphabète. Cela devrait permettre d’éviter les lenteurs, blocages et autres incompréhensions des lois, décrets, décisions, etc.

-diminuer le train de vie de l’Etat pour donner l’exemple dans la moralisation de la vie publique ;

-s’assurer de l’effectivité de la réforme de la Justice afin de la mettre au service du justiciable ;

-donner suite aux dossiers pendants et aux rapports des structures de contrôle ;

-consolider les acquis de l’administration et valoriser les compétences par un contrat de nomination à durée déterminée ;

-débureaucratiser l’administration par une intelligence des services beaucoup plus souple, créative et productive ;

-encourager l’excellence dans le travail en proposant entre autres récompenses des décorations sur la base d’un dossier technique comportant un avis illustratif et motivé.

 

La dimension économique

 

La dimension économique se rapporte à une gouvernance réformatrice afin d’atténuer les effets néfastes de la mondialisation néolibérale. Il s’agira, de façon prioritaire, de :

-déverrouiller les réseaux financiers et le milieu des affaires ainsi que les marchés publics afin de permettre une meilleure participation de jeunes entrepreneurs ;

-créer un environnement juridique et fiscal propice à l’essor de la petite et moyenne entreprise ;

-allier croissance économique et décroissance des activités polluantes tout en développant le secteur des énergies renouvelables : solaire, éolienne, etc.

-développer une économie de proximité par l’octroi de micro-crédits afin de booster le secteur de l’agriculture, de l’élevage, du maraîchage, de l’artisanat, etc.

-faire de l’employabilité de la jeunesse le socle du développement par des projets structurants proposés par la jeunesse et menés par la jeunesse elle-même, en évitant le saupoudrage ou encore l’exploitation à des fins partisanes ;

-promouvoir le développement participatif de sorte que chaque citoyen se sente concerné à la base.

 

La dimension culturelle

 

La dimension culturelle englobe à la fois l’éducation et les médias. Au titre des propositions :

-faire de la culture burkinabè non pas un agrégat hétéroclite d’événements et de folklores, mais plutôt un système de valeurs, autrement dit une mémoire collective, identitaire, dynamique et salvatrice en vue de la préservation de la paix et de la cohésion sociale;

-édicter en points essentiels une Charte du civisme et en faire un crédo dans les établissements, les universités, les services et les lieux publics ;

-enseigner le civisme et la pratique du civisme par des mises en situation et des simulations ;

-repenser le système scolaire, et pour les matières à forte charge culturelle (langues, littérature, philosophie, etc.) inscrire les productions d’auteurs burkinabè dans les programmes d’enseignement de sorte à minimiser l’importation d’ouvrages et des schèmes de pensée étrangers ;

-revoir les programmes télévisuels et adapter l’image aux réalités du Burkina Faso ;

-initier des Cadres permanents d’échanges (CPE) sous forme de « l’arbre à palabre » afin d’établir un pont intergénérationnel entre la jeunesse et les hommes/femmes d’expérience et de sagesse.

 

La dimension sociale

 

La dimension sociale se rapporte à la réduction des inégalités, à la paix et à la solidarité nationale. A ce titre, il faudrait :

-lutter efficacement contre la pauvreté à travers l’émergence d’un véritable Etat d’investissement social qui mettrait en place une gouvernance cohérente en matière d’assistance publique, humaine et économique ;

-promouvoir la solidarité et l’assistance familiales en vue d’une meilleure insertion des personnes déshéritées ou marginalisées ;

– œuvrer à la solvabilité sociale des sous-emplois et autres petits métiers par des subventions et des mesures d’accompagnement efficaces ;

-mettre en place un Observatoire national de la pauvreté et des inégalités (ONPI) qui ferait annuellement le point sur ces deux fléaux, et proposerait des solutions en vue de leur réduction.

Pour conclure, il faudrait envisager l’élaboration d’un Pacte social qui engage les gouvernants, les partis politiques, la société civile, les responsables religieux, les coutumiers, les représentants de jeunes, de femmes.

A l’évidence, l’histoire a montré que les grandes nations sont celles dont les fils et les filles puisent dans le tréfonds de leur âme les ressources intellectuelles, spirituelles et culturelles indispensables à leur régénérescence.

 

« La patrie, c’est ce qui reste quand on a tout perdu ».

 

Dr Dramane KONATE,

Spécialiste culture et civilisations

Président de la Société des Auteurs, des Gens de l’Ecrit et des Savoirs (SAGES)

 

 

 

 


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