HomeBaromètreINSURRECTION POPULAIRE AU BURKINA :« Il faut repenser les droits de l’Homme et le civisme »

INSURRECTION POPULAIRE AU BURKINA :« Il faut repenser les droits de l’Homme et le civisme »


Pour l’auteur du point de vue ci-dessous, l’avènement de la révolution des 30 et 31 octobre derniers qui a permis de chasser Blaise Compaoré du pouvoir, doit servir d’occasion pour « repenser les droits de l’Homme et le civisme » au pays des Hommes intègres. Lisez !

 

Cet écrit étant solennel, je ne saurai l’entamer sans rendre un vibrant hommage aux martyrs de l’insurrection populaire, tombés sous les balles meurtrières des servants locaux de l’impérialisme et de l’oppression sauvage. Vos différentes morts ne seront pas vaines. Le sang qui a giclé sur le sol burkinabè confirme et endurcit la sacralisation de notre Constitution que plus personne ne peut manipuler à sa guise. Ce sang giclé a pétri le mortier qui servira de fondement de la démocratie vraie dans laquelle l’ilotisme du peuple fera place à un contrôle averti et permanent. Hommage à vous, ô martyrs vivants, chevaliers des temps modernes, héros de légendes…

Aux parents des victimes, voici ce que les vôtres tombés vous disent : « il est mille fois plus agréable de mourir mille fois pour la quête et la conquête de la liberté à la Thomas Sankara, à la Norbert Zongo, à la Dabo Boukary…que de vivre à la Blaise Compaoré, à la François Compaoré et acolytes, vampires, buveurs de sang de leurs frères.»   En cela, parents de nobles martyrs, je ne vous blâme pas de pleurer l’absence des vôtres – des nôtres – j’ai d’ailleurs aussi le visage inondé … Mais je vous blâmerai si vous vous retenez de vous réjouir de l’espoir de liberté qu’ils nous ont offert.

Le combat doit continuer et c’est en cela tout le sens de mon écrit. Le processus de transition civile étant amorcé, les ébauches des grandes orientations de la politique transitionnelle étant déclinées au cours des différentes interviews du président intérimaire, je me fais le devoir d’attirer l’attention des nouvelles autorités sur ce que je qualifie de primordial et de principal : l’avenir des droits de l’Homme au Burkina Faso. Peut-être aurais-je dû le faire plutôt avant la formation du gouvernement ? Peut-être ! Mais j’ai craint que de l’extérieur, l’on ne dise que je défends avec voracité la survivance de mon ministère ou de l’intérieur, que je plaide pour sa suppression. Que nenni  ! Je ne poursuis ni l’un ni l’autre. Je suis interpellé par le sort des droits de l’Homme. Après tout, quel ministère ne devrais-je pas blâmer si je reste convaincu qu’il est consciemment ou inconsciemment complice de la mauvaise fortune des droits de l’Homme depuis sa création ? Ses silences sur des sujets sur lesquels il aurait dû se prononcer techniquement, en bon conseiller du roi, ses contre-vérités, mensonges et contradictions, sont aussi la base de ce rêve, sinon de ce cauchemar du saut du verrou de la limitation du nombre de mandats présidentiels. Réagissant à un internaute qui interpellait le désormais ex-ministre des droits humains à se prononcer sur la légalité et la légitimé de la modification de l’article 37 de la Constitution devant permettre à Blaise Compaoré de s’assurer un pouvoir à vie, je disais ceci : « voilà une belle occasion offerte à Madame Prudence Nignan d’entrer dans l’histoire, en disant haut et fort qu’il n’était pas conforme à l’esprit ni à la lettre des droits de l’Homme et de la démocratie, de modifier l’article 37 ou tout simplement en démissionnant pour ne pas être complice de cette forfaiture ». Mais voix aphone d’un écervelé, d’un illusionniste qui refuse de se réveiller. Peut-être que je m’étais trompé puisque dans tous les cas, Madame Nignan est entrée dans l’histoire mais hélas tristement, elle sur qui beaucoup d’espoirs étaient fondés…bref !

Oui, j’ai un devoir d’attirer l’attention des nouvelles autorités sur le devenir des droits de l’Homme au Burkina Faso : devoir de citoyen burkinabè, devoir de juriste, devoir d’acteur des droits de l’Homme.

Excellences et Messieurs les autorités, nous convenons tous que la transition se fixe pour principal objectif de tracer « les sillons » d’une démocratie forte au Burkina Faso. Cette démocratie que nous recherchons, on ne sait si c’est elle qui a engendré les droits de l’Homme ou si ce sont les droits de l’Homme qui l’ont engendrée. Dans l’un ou l’autre des cas, droits de l’Homme et démocratie sont intimement liés et les extrémistes diront même inséparables. La quête de la démocratie serait chose vaine si les droits de l’Homme sont escamotés. Et c’est l’erreur monumentale qui a été commise sous cette IVe République.

Rappelons-nous le contexte dans lequel a été créé le ministère des Droits humains ; cette création n’a pas été de gaieté de cœur. Elle a été une application d’une recommandation du célèbre rapport du Collège de sages comme l’a été la limitation du nombre de mandats présidentiels. Le rapport, en recommandant à l’Etat de mettre davantage l’accent sur la réalisation des droits de l’homme, n’avait pas déterminé de forme. Toutefois, il sera d’abord créé un secrétariat d’Etat aux droits humains alors rattaché au ministère de la Justice. En 2001, ce secrétariat est érigé en un ministère plein.

Mais regardons comment a fonctionné ce ministère, de 2001 à nos jours. Dans un premier temps, ses missions. Chargé de mettre en œuvre la politique du gouvernement en matière de droits humains, le ministère n’a jamais réussi à rassembler en son sein que l’enveloppe vide des droits de l’Homme. D’autres départements ministériels disposaient de la réalité des missions des droits de l’Homme que le ministère de tutelle. Les droits de l’enfant, les droits de la personne âgée, les droits des personnes handicapées ne sont-ils pas des droits de l’Homme ? Ils n’ont pourtant jamais été véritablement exercés par le ministère des Droits humains. La réponse qui a toujours été servie lorsque cette remarque est soulevée est que le ministère qui exerce ces missions, en l’occurrence le ministère de l’Action sociale et de la solidarité nationale, a existé avant le ministère des Droits humains. Réponse aussi perplexe et irréfléchie que les faits eux-mêmes. Doit-on chercher à savoir qui a existé avant qui ? Ou bien à qui doivent être dévolues des missions ? Si on veut, pour une raison ou une autre, qu’une catégorie des droits de l’homme soit exercée par une structure autre que le ministère des Droits humains, qu’on crée, pour cette catégorie, un ministère et on ne s’en plaindrait pas. En créant le ministère de la Promotion de la femme, on a voulu que la question des droits de la femme soit exercée par ce ministère et on ne s’en plaint pas. Si on veut que les droits de l’enfant, des personnes âgées ou des personnes handicapées ne soient pas des missions entrant dans la généralité des droits de l’Homme, qu’on crée des ministères spécifiques pour ces questions et on ne s’en plaindrait pas. La redistribution des missions entre les ministères doit faire l’objet de nouvelles réflexions. La future commission en charge des affaires institutionnelles est interpellée pour la suite à venir.

Outre la distribution des missions des droits de l’Homme entre le ministère des Droits humains et d’autres ministères, voyons ‘’la part’’ impartie au ministère des Droits humains. Quelles missions aussi vagues et confuses, tâtonnantes, sujettes à toutes interprétations et tergiversations, que celles traduites dans les décret et arrêté d’organisation du ministère des Droits humains et de la promotion civique et de ses démembrements. Missions taillées sur mesures pour servir des intérêts individuels. Tenez par exemple ; l’interprétation de certains Droits de l’Homme au ministère des droits humains fait tomber des nues. Voyez comment, pendant longtemps, le ministère des Droits humains a soutenu que le vote est un acte citoyen comme si « ne pas voter » ne l’était pas. Voter est un droit, et un droit, lorsque je ne l’exerce pas, n’est pas incivique. Le sujet d’un droit décide d’en jouir ou de ne pas en jouir. Dans l’un ou l’autre des cas, on ne peut rien lui reprocher. Ne pas voter est un choix démocratique qui recherche les mêmes effets que le boycott : la dénonciation d’agissements illégaux, anti-démocratiques… Diriez-vous, si le fameux référendum avait eu lieu et que les anti-référendums refusaient d’aller voter pour dénoncer la tentative de confiscation du pouvoir par Blaise Compaoré, qu’ils sont inciviques ?

Tenez encore par exemple ; l’interprétation de la liberté de manifester, par un gouverneur de la région du Mouhoun, dans les festivités du 11-Décembre 2013 qui dit : « celui qui aime son pays ne va pas battre le macadam tout le temps». Quelles malheureuses interprétations subjectives des droits de l’Homme. Non messieurs les spécialistes des droits de l’Homme et des libertés publiques, c’est au contraire par amour de la patrie qu’on bat le macadam sous le soleil, sous la pluie, sous les gaz lacrymogènes et les balles meurtrières de vampires d’un nouvel ordre. Tant d’exemples, les uns aussi révoltants que les autres, je pourrai en citer et qui traduisent la mise en œuvre de la politique du gouvernement en matière des droits de l’Homme. Doit-on continuer à faire des droits de l’Homme la porte ouverte à toutes sortes d’interprétations ?

Tiens ! J’en oubliais : cette autre mission qu’est la promotion civique. Mission juteuse, pain bénit des plus intelligents du ministère, toujours en mission, disponibles et disposer à faire, refaire, défaire pour méfaire sciemment la notion du civisme pour l’adapter aux intérêts du pouvoir. Mais une certaine génération s’y refusait et le manifestait. Je relaie encore haut et fort leur idée, n’en déplaise…, « l’objectif de la mission de promotion du civisme, telle qu’elle était faite, était d’endormir les consciences qui s’étaient réveillées depuis 1998 avec le crapuleux assassinat de Norbert Zongo et de ses six compagnons ». Jamais ministère de la république n’a défié les églises, les mosquées dans l’évangélisation que le ministère de la promotion civique, au point où j’ai été tenté de l’appeler ministère de l’Evangélisation. Comment concevoir que le rôle d’un ministère de la République soit de promouvoir l’altruisme ? C’est bien ce qui ressort de l’arrêté qui organise les directions régionales des droits humains et de la promotion civique. L’altruisme, la morale, la politesse, c’est l’église, la mosquée et le cercle familiale qui les promeuvent. C’est lorsqu’un Etat est sans idées, sans vision qu’il s’en charge. Comment concevoir que le rôle d’un ministère des Droits humains soit de négocier, d’implorer le respect des droits de l’Homme. Les droits de l’Homme ne sont pas des règles de bienséance dont la sanction est principalement sinon purement morale. Ce sont des règles faisant parties du corpus juridique du Burkina Faso, susceptibles d’être jugées. Or, au Burkina Faso, aucune décision de Justice, je crains de m’être trompé, n’a jusque-là fait référence à une règle des droits de l’Homme en tant qu’obligation ou droit découlant d’une convention des droits de l’Homme.

Non content de tout ça, c’est la seule jeunesse qui est accusée et fustigée dans la prétendue promotion du civisme : au forum national sur le civisme en mai 2013, le professeur Albert Ouédraogo, ancien ministre des Droits humains, n’a-t-il pas fait de l’incivisme le propre des seuls jeunes ? La télévision nationale ne faisait-elle pas passer à longueur de journée des messages de sensibilisation adressés à la jeunesse, notamment aux scolaires, pour leur dire de ne pas faire usage de leur droit de manifester ? L’on me dira que ce n’est pas ce qui a été dit. L’on me dira que le message était de ne pas brûler, de ne pas casser, de s’atteler aux études, de penser aux parents qui paient les scolarités. On a fermé les écoles avant les marches des 28 et 29 et l’assaut final des 30 et 31 octobre, mais ces jeunes étaient dans la rue. Ont-ils été manipulés dans la cour de leurs parents ? Sont-ils des inciviques pour oser demander qu’un seul homme ou un groupe d’hommes ne confisquent éternellement le pouvoir d’Etat ? Non, ce sont des éclairés, des héros, des combattants de la liberté comme Martin Luther King, Malcom X, Rosa Parcks, Nelson Mandela…qui ont permis qu’aujourd’hui les droits de l’Homme, les droits des noirs, la démocratie soient une réalité. Non, l’incivisme n’est pas l’apanage de la jeunesse : c’est encore un mensonge qu’il faut rectifier. Dans tous les exemples pris par les conférenciers du ministère des Droits humains pour dire ce que c’est que l’incivisme, des adultes et des vieux en sont quotidiennement aussi auteurs. Des mots grossiers aux crachats en circulation, des communications en circulation aux non-respect des feux tricolores, de la borderie dans les espaces publics à l’ivrognerie…on en trouve « des pas jeunes ».

Ô civisme ! Quel beau concept ! Mais combien de fois a-t-il été perverti. Pour le réhabiliter, il est nécessaire de le définir, de lui donner un contenu que de le laisser à des interprétations subjectives et malicieuses.

Ô droits de l’Homme ! Quelle notion lourde de sens et d’histoires, bâtie sur et avec des ossements et du sang humains. Pour les réhabiliter, il est nécessaire de les repenser que de les laisser aux mains d’individus avides qui y voient du « gombo », s’octroyant deux missions le même jour, à la même heure, dans deux localités distantes l’une de l’autre de plus de cent kilomètres. Ah ! Que les droits de l’Homme ont cette magie de permettre de se trouver en deux lieux différents à la même heure. Le pouvoir de la IVe République avait laissé le sort des droits de l’homme aux mains d’hommes qui les haïssent.

Vivement que la transition n’oublie pas de repenser les droits de l’Homme !… Et le civisme aussi.

Zakaria BAYOULOU, conseiller en droits humains

Tél : 76 04 59 68/ 79 63 52 68


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