HomeA la uneINVALIDATION PAR LA COUR SUPREME KENYANE, DE L’ELECTION PRESIDENTIELLE : Historique !  

INVALIDATION PAR LA COUR SUPREME KENYANE, DE L’ELECTION PRESIDENTIELLE : Historique !  


 

C’est à un véritable coup de tonnerre qu’on a assisté le 1er septembre dernier au Kenya, et plus généralement en Afrique, avec l’invalidation des résultats de l’élection présidentielle qui avaient donné le président sortant, Uhuru Kenyatta, vainqueur avec un peu plus de 54% des voix. Car, autant que l’on se souvienne, c’est bien la première fois en Afrique au sud du Sahara, qu’une Cour suprême tranche en défaveur d’un président en exercice, à l’issue d’un scrutin électoral, alors même que les observateurs venus de divers horizons ont tous salué le bon déroulement et la transparence du vote. Pour  un coup de massue, c’en est véritablement un, aussi bien pour le camp du président candidat à sa propre succession que pour tous ces envoyés spéciaux qui avaient accouru à Nairobi et à l’intérieur du pays, pour prétendument veiller à la régularité des opérations de vote et de compilation des résultats. Leur triomphalisme et leur satisfecit ont, en effet, été très rapidement douchés par la décision courageuse au superlatif absolu, de la Cour suprême kényane, de remettre les compteurs à zéro, au regard des « illégalités et des irrégularités qui ont affecté l’intégrité de l’élection ».

On espère que cette décision historique fera tache d’huile

Le président de cette haute institution judiciaire, David Malaga, et quatre autres membres ont, par voie de conséquence, instruit la Commission électorale de reprendre le scrutin dans les 60 jours qui suivent, conformément à la Constitution. « Well done and congratulations, guys ! », pourrait-on dire à l’endroit de ces juges constitutionnels qui ont fait preuve d’intégrité, de responsabilité et de courage pour ne pas dire de témérité extraordinaire, en statuant en toute indépendance sur le recours introduit par Raïla Odinga, classé 2e selon les résultats officiels, et qui n’a cessé de crier haro sur le baudet depuis le premier jour du scrutin, le 8 août dernier. Raïla Odinga et les siens reprochent au baudet, la Commission électorale en l’occurrence, des fraudes massives et « humainement inimaginables » organisées au profit de son adversaire par le truchement du génie informatique des partisans du pouvoir en place à Naïrobi. Et s’il a été réticent à introduire le recours en annulation devant une Cour a priori aux ordres, c’est parce que le champion de l’opposition kényane n’y voyait aucun intérêt, sauf celui d’utiliser les voies de contestation prévues par les textes mais qui, dans le contexte kényan et africain d’une manière générale, aboutissent toujours au même résultat, c’est-à-dire à la victoire limpide et sans bavure du président sortant. Il a certainement oublié que les membres de cette Cour ne sont plus les mêmes que ceux qui l’avaient envoyé paître en 2013 quand il avait formulé un recours similaire, et que ce pays immensément riche en patrimoine faunique, dispose encore de quelques oiseaux rares de la trempe et de l’acabit de David Malaga, qui sont capables de voler au-dessus des intérêts claniques ou partisans pour dire le droit et pour démontrer au monde entier qu’en Afrique, il n’y a pas que des juges béni-oui-oui, « tube-digestivistes et à plat-ventristes ». La Cour suprême kényane vient d’administrer à ses consœurs du continent, une magistrale leçon d’intégrité et de vie tout simplement, et on espère que cette décision historique fera tache d’huile dans tous ces pays et pas seulement africains, qui nous ont habitué à des simulacres d’élections et à des résultats truqués, avec la complicité passive de la communauté internationale à travers les observateurs internationaux.

La communauté internationale et la CPI devraient continuer à surveiller le Kenya

Et l’exposé des motifs, brillamment fait vendredi dernier par le président de la Cour devant un parterre de journalistes médusés et incrédules pour justifier l’invalidation du scrutin du 8 août dernier, pourrait être interprété comme le chant du cygne de ces discours creux et indigestes débités par ses collègues d’autres pays à l’occasion des proclamations des résultats qui consacrent les chefs d’Etat sortants, « présidents à vie ». Bien des satrapes seraient sans doute aujourd’hui tombés de leur piédestal « nabal », à l’instar de Pierre Nkurunziza, Sassou N’Guesso, Ali Bongo et autres, si le courage avait prévalu chez ceux qui sont censés dire le droit et rien que le droit à ce haut et crucial niveau de responsabilité.  Au-delà de son caractère historique et audacieux, la décision des juges kényans a eu le mérite de contribuer à baisser considérablement la tension politico-ethnique qui était dangereusement montée dans les quartiers précaires de Nairobi majoritairement acquis à l’opposition, dans la ville de Kisumu et dans tout le comté éponyme d’où est originaire Raïla Odinga. Cette brusque décrispation est également à verser au compte des principaux acteurs politiques dont le président Uhuru Kenyatta qui a dû puiser dans le plus profond de son être pour sortir un discours rassembleur et apaisant à l’endroit de ses partisans, quelques heures seulement après avoir reçu le coup d’assommoir. Il le fallait en effet pour calmer les ardeurs de ses supporters qui auraient sans doute considéré l’annulation des résultats favorables à leur candidat comme un crime de lèse-majesté, avec tout ce que cela induit dans ce Kenya plus d’une fois meurtri par des affrontements aux relents ethniques. Le leader de l’opposition n’est pas en reste dans ce calme bien que précaire à Nairobi et dans le reste du pays, puisqu’il a fini par demander à ses fidèles, après moult réflexions et autres hésitations, de baisser les armes au propre comme au figuré, et de s’en tenir à la décision de la Cour. Certes, l’épée de Fatou Bensouda de la Cour pénale internationale (CPI) n’est pas étrangère à cette inhabituelle sagesse des protagonistes, et si c’est la menace à brandir pour que le Kenya ne revive plus les heures sombres de la crise postélectorale de 2007-2008, cela est plus que nécésaire jusqu’à la fin du processus électoral prévue pour novembre prochain. Car, avec cette décision de la Cour lourde de conséquences politiques, notamment pour le parti Jubilee au pouvoir, il est à craindre que des militants zélés, instrumentalisés ou non, s’en prennent aux héros du moment (les membres de la Cour) et aux militants de Raïla Odinga, surtout si ce dernier venait à remporter le scrutin à venir. La communauté internationale et la CPI devraient donc continuer à surveiller le Kenya comme de l’huile sur le feu afin non seulement de préserver cette sublimissime image de pays démocratique, mais aussi et surtout de faire en sorte que l’acte quasiment suicidaire de David Malaga fasse office de jurisprudence en Afrique et partout ailleurs dans le monde où la démocratie connaît des balbutiements.

« Le Pays »


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