HomeA la uneJULES TAPSOBA, EXPERT FISCALISTE « La fiscalité doit être un véritable outil de politique économique et sociale »

JULES TAPSOBA, EXPERT FISCALISTE « La fiscalité doit être un véritable outil de politique économique et sociale »


Notre invité de Tendances de ce mercredi, Jules Tapsoba, est rompu aux questions de fiscalité, puisqu’il en est un expert. Dans cette interview, il évoque le système d’imposition au Burkina, la question de la pression fiscale, de la TVA ainsi que de la fraude fiscale. En tant que Conseiller spécial du Premier ministre, il met en exergue l’importance des recettes fiscales pour la mise en œuvre des programmes de développement socio-économique.

« Le Pays » : Quel est le contenu de la journée d’un conseiller spécial du Premier ministre comme vous ?

Jules Tapsoba (J.T) : Avant tout propos, permettez moi de remercier votre organe, Les Editions ‘’Le Pays’’ qui abat, quotidiennement, un travail formidable et qui contribue particulièrement à cultiver le consentement volontaire à l’impôt. Disons tout d’abord que le décret N°2016-234/PRES/PM du 14 avril 2016, portant organisation des services du Premier ministère précise que les conseillers spéciaux sont des hauts cadres de diverses spécialités, notamment : affaires politiques, diplomatiques et institutionnelles ; grands travaux ; réformes bancaires et financières ; finances publiques ; commerce, industries et artisanat ; éducation, enseignement supérieur et formation professionnelle ; santé publique et action sociale ; économie numérique ; partenariat public-privé. Les conseillers spéciaux nommés en Conseil des ministres assistent le Premier ministre dans l’orientation de l’action gouvernementale et la gestion de dossiers jugés stratégiques ou sensibles. Ils assurent, en outre, les études et missions ad’ hoc qui leur sont confiées par le Premier ministre. Au niveau de la Primature, dès 7H30, le programme journalier permet de réaliser les missions qui sont assignées à chaque conseiller. En outre, on assiste ou participe à des audiences accordées par le Premier ministre, à des conseils de cabinet ou à des réunions de travail organisées avec les autres ministères, institutions, partenaires techniques et financiers, etc. En dehors de ces activités, chaque conseiller traite en fonction de sa spécialité, les dossiers de conseil des ministres en soumettant des
avis techniques à l’appréciation des autorités. Par ailleurs, le conseiller spécial est appelé à représenter parfois le Premier ministre à des cérémonies et instances relevant de la tutelle du Premier ministère.

Votre fonction est-elle plus technique que politique ou inversement ?

J’ai été appelé à exercer la fonction de conseiller spécial chargé des questions de finances publiques. A ce titre, les missions que j’assure et qui sont plus techniques que politiques, couvrent le domaine des finances publiques, notamment les orientations en matière de politique fiscale et douanière du gouvernement.

Comment appréciez-vous la stratégie actuelle de mobilisation des recettes fiscales au Burkina Faso ?

Nous apprécions positivement la vision du gouvernement qui est de construire avec les différents acteurs, « une administration fiscale moderne et performante qui soutient la politique budgétaire de l’Etat, accompagne l’activité économique et offre des services de qualité aux usagers ». Dans cette perspective, toute la difficulté réside dans la traduction de cette vision en actions pertinentes et cohérentes. Les axes stratégiques définis par les régies de recettes sont pertinents et portent essentiellement sur la lutte contre l’incivisme, la fraude et taxation adaptée du secteur informel, l’amélioration de la qualité des services aux usagers de l’administration fiscale, et la modernisation de l’administration fiscale et douanière.
Sur le terrain, les administrations fiscales et douanières s’efforcent de maîtriser le potentiel fiscal. Une étude économétrique mobilisant des données d’une profondeur temporelle suffisante pour assurer une bonne qualité des estimations, réalisée en 2016, indique que le potentiel fiscal existe au Burkina Faso. Ces estimations économétriques du modèle de Scully confirment l’existence d’un niveau optimal de taux de pression fiscale qui se situerait à 22,97% contre un taux de 15% réalisé en 2016.
Les principales mesures qui sont en train d’être mises en œuvre pour radicalement changer la donne en matière de mobilisation des recettes, sont la télédéclaration et le télépaiement, le recensement topographique à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso, le renforcement des contrôles fiscaux et douaniers, et le renforcement de l’efficacité du recouvrement.
Ces mesures doivent être soutenues par des actions de promotion du secteur privé telles que la diversification et la rationalisation du partage des contrats publics, la délivrance de l’attestation de situation fiscale sans condition afin de soutenir l’entreprenariat privé, la création d’avantages fiscaux pour les entreprises qui sous-traitent afin de faire émerger de nouvelles petites et moyennes entreprises, la révision des sanctions fiscales pour les alléger et les rendre plus rigoureuses et plus utiles, la participation active de la société civile pour aider à cultiver le civisme fiscal.
Depuis 2016, les administrations fiscale et douanière ont enregistré des avancées notables dont les plus importantes sont : la modernisation de la législation fiscale caractérisée par le code minier rénové et le code général des impôts, l’institution de la facture normalisée, (iii) l’amélioration de la gestion des contribuables par catégorie d’entreprises, la révision du seuil d’assujettissement à la TVA en 2015, la révision de l’immatriculation et la mise à jour des fichiers des services opérationnels par des initiatives d’élargissement d’assiette et de transfert des dossiers fiscaux entre segments, le déploiement des actions de recouvrement forcé et la réduction significative des arriérés d’impôts. En dépit de ces avancées, des marges de progrès restent nécessaires pour améliorer de manière significative le niveau des recettes. Ce d’autant plus que la législation fiscale et douanière n’est pas toujours adaptée aux projections de l’économie nationale, les manuels de procédures ne sont pas rigoureusement conformes à la législation en vigueur, la réactivité des services et partant le civisme fiscal demeurent faiblement déployées, le contrôle fiscal ne privilégie pas les contrôles ponctuels efficaces pour changer les comportements des contribuables et améliorer le recouvrement spontané et celui des redressements fiscaux, le renforcement de la gestion des directions des impôts des moyennes entreprises afin d’atteindre leur réel potentiel, étant donné que leur recouvrement représente en moyenne, sur les trois dernières années, 9% des recettes totales contre une norme de 20 à 30%. Ces défis sont pris en charge dans les différents plans stratégiques des régies et méritent d’être soutenus par des moyens humains, matériels et financiers adéquats et suffisants.

Est-ce qu’au Burkina Faso, il y a l’égalité des citoyens devant l’impôt ? Autrement dit, est-ce que tous les imposables payent l’impôt ?

La Constitution du Burkina Faso, en son article 17, dispose que : «le devoir de s’acquitter de ses obligations fiscales conformément à la loi, s’impose à chacun ». Cela veut dire qu’aucun citoyen n’est épargné de l’impôt. Seulement, chaque citoyen fait uniquement face aux impôts auxquels il est assujetti de par la loi fiscale et aussi paie un montant de l’impôt qui est fonction de sa faculté contributive. « Le paiement de l’impôt en fonction de la nature du revenu et de la faculté contributive est un des principes fondamentaux de l’impôt ». Donc, de ce point de vue, il y a bien l’égalité des citoyens face à l’impôt en ce qui concerne l’obligation de payer l’impôt, mais dans le montant à payer, il ne serait pas équitable qu’il y ait cette égalité.  A l’application des règles de prélèvement de l’impôt dans un système déclaratif, c’est d’une part le civisme du contribuable qui est en jeu, et d’autre part, la capacité de l’administration fiscale à cultiver le consentement volontaire à l’impôt en modernisant les procédures, en luttant efficacement contre l’indiscipline et la fraude fiscale. Tous les contribuables ne se présentent pas volontairement auprès de l’administration fiscale ou douanière pour remplir leurs obligations. Ils agissent ainsi soit par ignorance, soit volontairement en choisissant de ne pas payer ou de payer insuffisamment l’impôt. Certains contribuables ont le sentiment de n’avoir que des droits, oubliant leurs devoirs, dont celui de payer l’impôt.

Quels sont ceux qui ne payent pas l’impôt au Burkina ?

Comme indiqué ci-dessus, le devoir de s’acquitter de ses obligations fiscales s’impose à tous. Je voudrais citer seulement deux principales catégories de personnes qui ne payent pas l’impôt. D’une part, la loi fiscale elle-même peut décider que certaines personnes ne payent pas d’impôt. En dépit du devoir général de payer ses impôts qui pèse sur chacun, des exonérations fiscales ou douanières sont accordées à telle ou telle personne ou groupe de personnes (physique ou morale) par le législateur. Par exemple, pour la taxe de résidence, toute personne âgée de plus de 60 ans en est dispensée ; il en est de même du conjoint marié légalement. Donc il y a des personnes qui ne payent pas l’impôt car la loi en a décidé ainsi et très souvent, cela répond au rôle économique et/ou social que doit jouer l’impôt.
D’autre part, il y a ceux qui usent de manœuvres pour se soustraire à l’impôt, ou le payer partiellement. Dans ce cas, il incombe aux administrations fiscale et douanière de s’organiser pour limiter à son strict minimum, ces comportements inciviques. Nous sommes conscients que payer l’impôt n’est pas la chose des plus agréables, et ce genre de comportement s’observe ailleurs avec des proportions qui ne sont pas exactement les mêmes. Nous pouvons dire qu’au Burkina Faso, il y a encore des progrès à faire en matière de civisme fiscal.

Qu’est-ce qui est fait contre ceux qui ne payent pas leurs impôts et taxes ?

Ceux qui développement des stratégies d’évitement de l’impôt sont exposés à des demandes d’explication, de justification, des enquêtes, des contrôles et des redressements. Il existe des sanctions pécuniaires prévues par la loi fiscale comme des amendes et pénalités, mais aussi des sanctions pénales au regard de la gravité des infractions commises. Mais, pour qu’une sanction puisse être appliquée, il faut au préalable mettre à nu l’infraction.
Comme dit précédemment, cela relève de la responsabilité des administrations fiscales qui déploient déjà des efforts importants mais perfectibles, tenant compte des moyens mis à leur disposition. En matière de fiscalité intérieure, les priorités recommandées en cours d’exécution restent la maîtrise du fichier des contribuables, le renforcement de la recherche, les recoupements d’informations et une plus grande couverture du contrôle fiscal visant à accroître le nombre des contribuables connus du fisc et à améliorer la qualité de leurs déclarations fiscales. Le recensement fiscal envisagé à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso constitue, selon la direction générale des impôts (DGI), une activité majeure qui doit lui permettre de détecter de nouveaux contribuables à prendre en charge au niveau des centres des impôts et à fidéliser.En ce qui concerne la fiscalité de porte, des contrôles permanents sont effectués aux bureaux frontières afin de faciliter le dédouanement des marchandises à l’importation et à l’exportation. En outre, des enquêtes et investigations spécifiques sont menées à l’intérieur afin de vérifier la destination finale des opérations exonérées. Des contrôles conjoints douanes-impôts sont parfois utilisés pour détecter des cas de fraude.En outre, des actions de sensibilisation et des sanctions adaptées sont menées ou prises régulièrement par les administrations fiscale et douanière afin de cultiver le consentement volontaire à l’impôt.

Il semble qu’au Burkina, les riches payent moins d’impôts que les pauvres. Quelle est votre opinion ?

En principe, l’impôt est payé en fonction de la faculté contributive du contribuable. A titre d’illustration, conformément au barème en vigueur, les contributions des micro-entreprises se situent entre 2 000 à 200 000 F CFA par an. En revanche, les grandes et les moyennes entreprises qui constituent 20% du portefeuille global des contribuables contribuent pour plus de 80% des recettes fiscales. Les recoupements d’informations organisés notamment par les services des douanes et des impôts, permettent parfois de détecter des contribuables qui sont au forfait alors qu’ils doivent être traités comme des moyennes ou grandes entreprises.
Les données chiffrées sur les recouvrements au Burkina Faso attestent donc que la direction des Grandes entreprises dont le chiffre d’affaires annuel hors taxes est supérieur ou égal à 1 milliard de F CFA regroupe environ 600 entreprises qui contribuent entre 80% à 85% des recettes totales. Toutes les autres entreprises du pays qui sont des milliers, contribuent entre 15% et 20% des recettes fiscales. Elles sont composées de près 3500 moyennes entreprises dont le chiffre d’affaires annuel HT se situe entre 50 millions et 1 milliard de F CFA), de près de 50 000 petites et micro entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 50 millions de F CFA. Je n’ai pas d’autres éléments d’informations qui montrent que les riches payent moins d’impôts que les pauvres.

Les contribuables burkinabè se plaignent d’une forte pression fiscale. Quel commentaire faites-vous de l’adage selon lequel trop d’impôts tue l’impôt ?

Comme adage, cette assertion se justifie. Les économistes s’exercent même à déterminer le taux d’imposition qui permettrait d’atteindre l’optimum, c’est-à-dire le taux qui maximise les recettes fiscales et qui ne décourage pas les affaires. En ce qui concerne le Burkina Faso, on ne peut pas dire qu’il y a une très forte pression fiscale. D’ailleurs, nous n’avons même pas atteint le taux de pression fiscale fixé par les critères de convergence de l’UEMOA. Une étude sur les recettes budgétaires ordinaires et le potentiel fiscal à laquelle j’ai participé en 2016, a révélé que malgré́ la forte croissance des recettes enregistrées à partir de 2011, le taux de pression fiscale du Burkina Faso demeure en dessous du seuil minimum de 20% du PIB, fixé par l’UEMOA. Comparativement aux autres pays membres de l’UEMOA, le Burkina Faso reste l’un des pays les moins performants, derrière le Sénégal et le Togo. L’écart de performance est encore plus important, comparé aux pays développés qui présentaient un taux de pression fiscale moyen de l’ordre de 34,4% en 2014, selon les données de l’OCDE.Ceci étant, il n’y a pas plus d’impôts au Burkina Faso que dans les pays voisins. La surveillance des grandes entreprises étant des plus rigoureuses, celles-ci peuvent avoir le sentiment légitime de supporter une charge fiscale plus importante. Mais, nous reconnaissons que des efforts doivent continuer à être faits afin d’élargir l’assiette fiscale que de vouloir l’approfondir. L’élargissement consiste à inclure dans l’assiette fiscale, de nouveaux contribuables ou à faire payer davantage ceux qui payent insuffisamment. Dans la perspective d’élargir l’assiette, on pourrait également rationaliser les exonérations fiscales afin de protéger réellement les couches les plus vulnérables de la population.

Est-ce que d’une certaine façon, les impôts ne contribuent pas à la paupérisation des citoyens burkinabè ?

L’impôt, dans sa fonction sociale, permet à l’Etat, à partir des produits générés, de procéder à une redistribution des ressources en direction des couches les plus défavorisées à travers des bourses, des allocations familiales, la gratuité des soins de santé , des aides sociales, etc.
Cette affirmation se justifie en matière d’impôts indirects. A titre d’illustration, les biens et les services taxables à la TVA présentent des coûts élevés pour les consommateurs finaux.  Mais lorsque les effets de la taxation sont préjudiciables pour des couches défavorisées, le législateur fiscal intervient pour proposer une exonération ou une exemption. C’est pourquoi les articles scolaires, les médicaments et les soins médicaux sont exonérés de TVA. En tout état de cause, les prélèvements fiscaux restent obligatoires et proportionnels aux revenus de chacun ; ils permettent de financer les dépenses de fonctionnement et de dégager une épargne suffisante pour financer les investissements.

Les travailleurs demandent l’allègement, voire la suppression de l’IUTS. Comment réagissez-vous ?

Je voudrais d’abord défendre l’idée de la suppression de l’IUTS. La suppression pure et simple de cet impôt est difficilement envisageable pour deux raisons. La première raison qui est fondamentale, est relative à la question de justice fiscale. Le système fiscal burkinabè contient une gamme d’impôts dont les impôts sur les revenus. Je disais, aux journées du SODECO organisées par le CEDRES en 2013, que « nul n’a le droit de se faire un revenu sans prévoir la part de l’Etat ». Si on venait à supprimer l’IUTS, on devrait supprimer l’impôt sur les sociétés, l’IBICA, l’impôt sur les revenus fonciers, etc., sous peine de créer une injustice fiscale et c’est l’un des terreaux des comportements inciviques, fiscalement parlant. La deuxième raison est purement budgétaire. L’IUTS est le 4e impôt en termes de volume de recettes et sa suppression entraînerait un manque à gagner important. Actuellement, la tendance n’est pas à la suppression mais à l’identification des niches d’impôts afin d’instaurer un système d’imposition plus juste. A la faveur des tenues prochaines des assises nationales sur la fiscalité, des propositions dans ce sens, émanant des partenaires de l’administration fiscale, seraient bien accueillies.
L’allègement de l’IUTS est une revendication qui peut se comprendre dans un contexte mondial de renchérissement du prix des biens. Cela pourrait améliorer d’avantage le pouvoir d’achat des salariés. Il faut rappeler que le barème d’imposition à cet impôt a déjà subi plusieurs ajustements depuis sa création en 1973. Le barème actuel est en vigueur depuis 2013, avec un taux d’imposition le plus élevé fixé à 25% au lieu de 27,5% comme en matière d’impôt sur les bénéfices.
Le gouvernement est conscient que la fiscalité est un outil de politique économique et sociale. Mais le choix d’allègement d’impôt exige une étude pour maîtriser son impact sur l’économie y compris l’arbitrage entre les recettes auxquelles on renonce et les opportunités qui existent pour non seulement combler le manque à gagner et financer les dépenses supplémentaires à caractère économique ou social. Les réflexions menées dans le cadre du système de rémunération prennent en compte ces paramètres.

Au Burkina, l’impôt est déclaratif. Ce qui peut engendrer des fraudes, des deals et la corruption. Envisagez-vous un autre système ?

Les velléités de fraude et de tout ce qu’on peut imaginer de négatif sont bien réelles, mais ce n’est pas parce que le système est déclaratif. Dans notre système fiscal, les contribuables sont tenus de souscrire une déclaration et d’acquitter spontanément l’impôt. Ces déclarations de revenus, de chiffres d’affaires, de bénéfices, de valeurs, etc. présumées sincères sont donc faites sous la propre responsabilité du contribuable. Mais en contrepartie de cette liberté accordée aux contribuables, il y a un garde-fou, qui est le droit dont dispose l’administration fiscale d’effectuer des contrôles a posteriori. A côté de ce droit, il a le devoir d’informer, de former et de sensibiliser le contribuable sur ses obligations afin qu’il comprenne et accepte l’impôt. En outre, le droit de contrôle dont dispose l’administration s’étend sur les déclarations des trois dernières années. Des amendes et pénalités sont appliquées en cas de manquements constatés.Sous réserve d’un contrôle exhaustif des déclarations, on pourrait dire que c’est un système optimal en termes de coût de gestion de l’impôt. Les administrations fiscale et douanière fonctionnent sous ce système. Nous n’envisageons donc pas un autre système d’imposition. Toutefois, des plans d’actions sont régulièrement mis à jour afin de lutter efficacement contre l’incivisme, la fraude et pour une taxation adaptée du secteur informel. Dans cette perspective, en 2018, les services fiscaux ont opté pour le renforcement de trois choses principales. A savoir, le suivi des déclarations fiscales dans les délais, le recouvrement des arriérés d’impôts, l’efficacité du contrôle et la lutte contre la fraude et la corruption. Et cela a été diversement ressenti cette année par les contribuables.

Il semble que la méthode SYLVIE a montré ses limites et qu’elle permet même les fraudes. Quel commentaire faites-vous ?

Avant de répondre à votre question, je pense qu’il est important de comprendre SYLVIE, les objectifs recherchés, ses phases de mise en place, les difficultés rencontrées par l’équipe de pilotage et les perspectives de développement.
SYLVIE est le « Système de Liaison Virtuelle pour les opérations d’Importation et d’Exportation ». C’est une plateforme mettant en liaison plusieurs acteurs de la chaîne de dédouanement, notamment les importateurs, exportateurs, commissionnaires en douane agréés, banques, administrations publiques.
L’exploitation technique et commerciale de SYLVIE a été confiée à la Chambre de Commerce et d’Industrie, à
travers la Société de Gestion de la Plateforme SYLVIE (SOGESY SA). C’est un exemple de coopération entre l’Etat et la Chambre de commerce du Burkina Faso, qui marche très bien et qu’il faut saluer.
La mise en place de la plateforme SYLVIE poursuit, entre autres, la réduction des délais de la procédure de collecte des documents de pré-dédouanement, la réduction des coûts de transaction à travers la réduction du temps, l’intégration de l’ensemble des administrations publiques et privées de la chaine de dédouanement, la diminution du nombre de documents pour l’importation et l’exportation, la mise en place d’un système de paiement unique pour l’obtention des documents de pré-dédouanement ; la réduction de la fraude, de la contrefaçon et de la corruption, la transparence sur les documents requis pour l’exportation et l’importation.
La mise en place de cette plate-forme comporte deux phases dont la première est la phase d’interconnexion des administrations, qui correspond à la phase de collecte des certificats et autres autorisations. La seconde phase correspond à la dématérialisation et à la digitalisation intégrale des procédures.

Il faut noter que pour la première phase, la plateforme rencontre des difficultés qui, aplanies, permettraient à SYLVIE d’être performant. Il s’agit de la mauvaise qualité de la connexion internet, de la non maîtrise de la réglementation par les opérateurs économiques, de l’absence d’anticipation par les opérateurs économiques pour la collecte des documents qui est faite sur le territoire burkinabè à l’arrivée des marchandises, de la cohabitation de vieilles procédures dans les administrations, de la non prise en compte de certaines administrations dans SYLVIE qui délivrent des documents aux importateurs et aux exportateurs (CBC, DGPE, Bureau OZONE, Opérateurs portuaires et aéroportuaires…), de l’insuffisance de ressources humaines dans certaines administrations connectées sur la plateforme, d’une forte réticence au changement ou à l’évolution des procédures des administrations, de la lenteur dans le traitement des dossiers au niveau des pôles traitants publics et privés. Il y a des perspectives à même d’optimiser l’impact de la plateforme SYLVIE. Il s’agit de la maîtrise de l’énergie dans les administrations pour garantir la disponibilité des ressources, de rendre la plateforme disponible 24h/24 avec une connexion internet haut débit qui est indispensable au bon fonctionnement de toutes les solutions informatiques implémentées dans les administrations financières, de connecter l’ensemble des administrations délivrant des documents aux fins de dédouanement et dématérialiser tous les actes de commerce, de doter les administrations en ressources humaines et matériels nécessaires, d’amorcer la phase d’interfaçage entre SYDONIA et SYLVIE, de démarrer le paiement électronique, de réduire les coûts de délivrance des documents de certaines administrations qui se comportent comme des taxes (LNSP, ABNORM), de sensibiliser et former les opérateurs économiques sur la maîtrise des outils et textes en matière d’exportation et d’importation. Il faut le reconnaître, le Système a apporté ses preuves en matière de sécurisation des documents. La mise en place de SYLVIE est tout un processus et nous ne sommes qu’à la phase une. L’accélération de ce processus pourrait permettre de combler les insuffisances dans la phase suivante. Il est prévu que nous arrivions à une dématérialisation complète des procédures et une utilisation du système de paiement électronique à l’instar d’autres pays. La fraude et la corruption constituent des fléaux du monde qui touchent plusieurs secteurs de l’économie. SYLVIE, par son principe de mutualisation de l’information, inhibe la modification de l’information devant transiter d’un point A vers un point B. Le système en lui-même n’a rien à voir avec les procédés frauduleux. Des cas de fraudes ont été décelés et sont en cours d’instruction.C’est l’occasion, pour nous, de féliciter les initiateurs du projet, l’équipe de pilotage actuelle pour leur engagement, l’esprit de collaboration entre tous les acteurs et de les encourager à s’engager davantage pour faciliter les opérations de commerce extérieur à nos opérateurs économiques.SYLVIE est une fierté nationale et est de nos jours un acteur incontournable dans l’environnement des affaires au Burkina Faso. Il est administré par des Burkinabè et s’adapte à la réglementation du commerce extérieur du Burkina Faso. Il est judicieux et nécessaire que les autorités accompagnent la SOGESY, à travers un renforcement de ses capacités pour plus d’efficacité.

Le ministère de l’Economie et des finances a mis en place une plateforme de paiement en ligne des impôts à savoir le eSINTAX et le ePAYEMENT. Comment en appréciez-vous les résultats ?

C’est exact. Depuis avril 2018, le ministère des finances, à travers la DGI, s’est lancé dans les télé procédures qui comprennent la télé-déclarations et le télé-paiements avec pour objectifs de faciliter les interactions avec l’administration fiscale, de gagner du temps et rationnaliser les démarches fiscales en limitant les déplacements et le temps passé dans les centres des impôts, de consulter en ligne toutes ses déclarations et autres informations fiscales, de recentrer les échanges sur la situation fiscale et le contenu et non plus sur les dépôts papiers et le formalisme à travers l’aide et l’assistance en ligne à la saisie des déclarations et la sensibilisation sur les justificatifs demandés, de mettre en ligne le dossier fiscal complet du contribuable.
A fin octobre 2018, pour les 7 mois d’implémentation des télé procédures, au total plus de 500 contribuables ont adhéré à la plateforme dédiée, sur un potentiel d’environ 4 900 contribuables auxquels cette plate-forme est accessible pour le moment. Nous précisons que la plate-forme est destinée uniquement pour l’instant aux contribuables des grandes et moyennes entreprises. C’est une innovation majeure et au regard des objectifs sus-cités, les contribuables ont tout à gagner en y adhérant, c’est donc un appel que nous lançons dans ce sens.

Est-ce que ce nouveau système ne va pas jouer négativement sur la motivation des agents et baisser les recettes fiscales ?

Bien au contraire, le système libère les agents des tâches sans valeur ajoutée comme la saisie des déclarations, pour leur permettre de s’occuper des activités plus valorisantes comme les enquêtes et recherches, les contrôles fiscaux fondés sur l’analyse du risque. C’est d’ailleurs profitable pour tout le monde.

Comment se porte l’économie du Burkina Faso aujourd’hui dans un contexte d’insécurité permanente ?

L’économie du Burkina Faso est, d’une part, dépendante de l’économie au plan régional et international qui présente une situation relativement positive selon les économistes et d’autre part, du dynamisme de l’activité économique au niveau national.
Au plan mondial, le taux de croissance économique s’établirait en 2018 à 3,9% contre 3,7% en 2017. L’inflation globale devrait augmenter aussi bien dans les pays avancés que dans les pays émergents et les pays en développement, du fait du raffermissement du cours du pétrole. Au sein de l’Union économique et monétaire Ouest africaine (UEMOA), l’activité́ économique est restée dynamique en 2018. La progression du produit intérieur brut (PIB) réel serait de 6,8% en 2018 contre 6,6% en 2017, en lien avec la vigueur de la demande intérieure.
Au niveau national, l’activité́ économique, en 2018, évolue dans un contexte sociopolitique relativement difficile, marqué effectivement par la persistance des attaques terroristes et les revendications sociales dans le secteur public. Cette situation, bien évidemment, a des conséquences négatives sur l’activité économique, notamment dans le secteur du tourisme et des mines.
Malgré ce contexte difficile, le gouvernement a œuvré à la relance de l’activité économique depuis 2016. En effet, l’orientation des indicateurs macroéconomiques confirme la capacité de résilience de notre économie face à ces chocs. La reprise de l’activité économique se confirme progressivement, mais elle pourrait être meilleure si l’environnement intérieur s’améliorait davantage. Dans cet environnement difficile, nous notons également que les domaines des bâtiments et travaux publics, les mines, l’énergie, les Tics restent dynamiques, portés par l’intensification des investissements sous l’impulsion du PNDES. En particulier, dans le secteur primaire, la situation est empreinte d’optimisme pour l’année 2018. En effet, après un démarrage assez tardif de la saison des pluies conjugué avec les attaques de chenilles et autres nuisances sur les cultures, la campagne agricole est jugée positive au plan national. Tout cela pousse à estimer que le taux de croissance du PIB va s’améliorer et s’établirait à 6,7% en 2018, contre 6,3% en 2017 et 5,9% en 2016 et à peine 4,2% entre 2014 et 2015. L’action du gouvernement va se poursuivre en vue d’atténuer les difficultés sus-citées qui freinent le rythme de certaines activités économiques.
Par ailleurs, l’inflation reste relativement modérée, avec des niveaux en deçà de la norme communautaire. Elle atteignait 2,1 % à fin décembre 2017 et est restée à ce niveau en 2018.
Les grands défis se situent au niveau de la gestion des finances publiques qui enregistrent un fléchissement des investissements dans les secteurs économiques et sociaux, un accroissement des dépenses courantes ou de fonctionnement et un renforcement de la mobilisation des ressources, même si celles-ci restent sous pression avec des niveaux importants des dépenses courantes dominées par les charges de personnel. Bien évidemment, cette situation, conjuguée aux efforts d’investissements, a un impact sur le niveau du déficit budgétaire qui est actuellement au-dessus de la norme de l’UEMOA de 3% maximum. En matière de dépenses publiques, les mesures particulières qui sont prises pour assurer une meilleure répartition de la richesse nationale créée sont la gratuité des soins de santé, le programme de financement des activités des jeunes et des femmes, la prise en compte des personnes vivant avec un handicap, etc. En définitive, le fléchissement de certains secteurs de l’économie n’est pas le seul fait de l’insécurité. Il faudrait associer les autres aléas tels que la pluviométrie,  les revendications sociales qui paralysent très souvent le fonctionnement des administrations publiques et privées, le cours des matières premières et les turbulences du contexte international qui ont des répercussions sur notre économie.

Propos recueillis par Drissa TRAORE

L’expertise de l’invité

Economiste et inspecteur des impôts, Jules Tapsoba est actuellement Conseiller spécial du Premier ministre pour les questions de Finances publiques. Ce titulaire d’un DEA en économie a 22 années d’expérience comme formateur et concepteur de modules de formation destinés aux étudiants et à l’attention des professionnels privés et publics sur la fiscalité. Il a contribué au développement de curricula et gestion des enseignements au profit de l’ENAREF, de l’Université de Ouagadougou (UFR/SEG), de l’ENAM et du CERPAMAD.
A l’international, Monsieur Tapsoba est retenu par le FMI comme expert en matière d’administration fiscale ; à ce titre, il a effectué de nombreuses missions d’assistance technique pour le renforcement des capacités des cadres des administrations fiscales du Bénin, du Tchad, de la Mauritanie, du Mali et du Niger. Il est aussi évaluateur accrédité TADAT (un outil qui permet d’évaluer les performances de l’administration fiscale d’un pays). En tant que membre du panel des experts du FMI en matière de fiscalité depuis 2014, il a eu à conduire et suivre des réformes fiscales au Burkina Faso, au Bénin, au Mali, en Mauritanie à travers des appuis à l’élaboration des lois et procédures fiscales, l’assistance, l’amélioration du dispositif de suivi des déclarations fiscales et élargissement de l’assiette fiscale, le renforcement des capacités en contrôle fiscal, la gestion des Restes à recouvrer et amélioration de l’action en recouvrement.En tant que consultant en finances publiques pour l’Union Européenne (UE) et l’Agence Française pour le Développement (AFD), il a participé à l’élaboration d’un programme d’appui à l’amélioration des finances publiques au profit de l’AFD et du gouvernement malien. Il a également mené une étude de l’impact fiscal, économique et social de l’institution de la TVA en République Démocratique du Congo (RDC). Tout récemment, à la demande du gouvernement tchadien, notre invité a été désigné par le FMI pour apporter une assistance technique sur la mobilisation des recettes fiscales.


Comments
  • La clarté, la concision, l’exhaustivités des réponses et l’élargissements de certaines questions témoignent d’une part de l’expertise confirmée de l’interviewé et d’autre part des recherches, études et investigations personnelles pour toujours cerner et maîtriser l’information juste et les interactions socio-politico-économiques.
    Des connaissances à partager au maximum pour rassurer et susciter l’adhésion des contribuables.
    Toutes mes félicitations à M. TAPSOBA

    14 décembre 2018

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