HomeA la uneKEMI SEBA A PROPOS DE LA POLITIQUE FRANÇAISE EN AFRIQUE : « On a rajeuni le visage du président, mais le projet politique ne changera pas »

KEMI SEBA A PROPOS DE LA POLITIQUE FRANÇAISE EN AFRIQUE : « On a rajeuni le visage du président, mais le projet politique ne changera pas »


C’est depuis le 17 mai 2017 que Kémi Séba, activiste, chroniqueur géopolitique sur Vox Africa, président de l’ONG Urgences panafricanistes, et initiateur du Front anti-CFA, a entamé un séjour au pays des Hommes intègres. Un séjour qui, pour lui, s’apparente à une tournée de remobilisation des « troupes » à travers la sensibilisation afin de mettre fin à l’utilisation du F CFA sur le continent africain. Pour cela, il a animé des conférences et rencontré des leaders d’OSC. Mais ce n’est pas tout, l’initiateur du Front anti-CFA a mis à profit cette tournée pour rencontrer les autorités burkinabè. Le 19 mai dernier, c’est après une audience avec le président de l’Assemblée nationale, que nous lui avons tendu notre micro. Son séjour au Burkina Faso, ses espérances par rapport au mouvement anti-CFA et la politique africaine de la France sont, entre autres, les questions que nous avons abordées avec lui. Lisez plutôt !

 

« Le Pays » : Dans quel cadre s’inscrit votre visite à Ouagadougou ?

 

Kémi Séba : Nous sommes ici pour mobiliser nos troupes ; rencontrer nos frères et sœurs soldats, membres de cette résistance, pour la souveraineté monétaire. En plus de rencontrer le Front anti-CFA au Burkina Faso, nous sommes venu rencontrer les autorités traditionnelles et politiques du pays. Nous estimons qu’après notre visite au Tchad, auprès des autorités, il est opportun qu’en Afrique de l’Ouest, on aille vers l’Etat burkinabè qui, lui aussi, a montré qu’il était dans une démarche de sortir de l’impérialisme monétaire.

 

Est-ce votre première fois de venir au Burkina Faso ?

 

En effet, c’est notre première fois ici. Nous avions eu beaucoup d’invitations. Mais, parfois, certains détails, à mon sens, manquaient en ce qui concerne la visite. Il n’était pas question, pour moi, de venir au Burkina Faso si nous n’avions pas la possibilité de voir les autorités. C’est ce que nous faisons actuellement et nous sommes satisfait. On a trouvé des partenaires locaux avec qui nous sommes en harmonie. C’est ce qui fait qu’on espère avancer le plus loin possible avec ces derniers.

 

Ce que vous avez constaté sur le terrain reflète-t-il l’idée que vous vous faisiez du pays ?

 

Totalement. Nous avons été accueilli chaleureusement par la jeunesse. La mentalité du peuple correspond à ce qu’on a toujours pensé de ce pays. Le peuple burkinabè est fier, digne et plein d’espérance. On espère qu’avec le temps, il sera plus que jamais la cheville ouvrière de cette démarche de résistance. C’est en train, d’ailleurs, d’être le cas et on espère que cela va continuer.

 

Que retenez-vous après avoir rencontré certaines de ces autorités ?

 

Plus de confiance. Je pense qu’on est sur la même longueur d’onde. On attend maintenant de voir ce qui sera fait en matière de résolution technique. C’est cela aussi la réalité. Car nous, nous faisons un travail de la société civile qui est de mobiliser la masse. Nous le faisons et nous continuerons à le faire. Mais, il y a un rôle qui incombe aux autorités. On attend donc de voir si celles-ci iront au bout des propos qu’elles ont tenus. Nous comptons profondément là-dessus.

 

D’où vous est-il venu l’idée d’initier le Front anti-CFA ?

 

Simplement à travers les voyages. Nous avons parcouru un peu l’Afrique de la zone Franc et on s’est rendu compte que la problématique du F CFA a un impact réel sur les conditions de vie des populations africaines. Il était donc nécessaire, pour nous, de mettre au centre de nos réflexions cette question du souverainisme qui, il faut le dire, n’est pas seulement monétaire. C’est aussi une question politique et militaire. Nous savons tous qu’il y a des bases françaises qui sont présentes sur le continent africain, alors qu’il n’y a pas de bases africaines sur le continent européen. Nous aimons quand il y a la réciprocité dans les rapports. Nous sommes d’une génération qui a décidé de ne pas baisser la tête ni courber l’échine. C’est pourquoi nous tenons tant à la réciprocité. La question du F CFA ou du souverainisme monétaire a donc été pour nous une priorité. Toute chose qui nous a poussé à lancer, le 26 décembre 2016, un appel à toute la jeunesse africaine pour que s’organise le Front anti-CFA. A ce jour, nos espérances ont été dépassées. Plusieurs dizaines de milliers de gens et d’organisations de la société civile africaine se sont mobilisés et c’est ce qui a constitué le Front anti-CFA.

 

En dehors des sociétés civiles, y a-t-il des dirigeants africains qui soutiennent votre cause ?

 

D’abord, il y a les autorités tchadiennes. Le président Idriss Déby et ses ministres soutiennent profondément notre cause. Nous avons été reçu par certains d’entre eux il y a deux mois de cela. Nous venons de rencontrer le président de l’Assemblée nationale burkinabè qui nous a confirmé qu’il nous soutient et qu’il nous encourage à continuer. Je pense que nous sommes sur la bonne voie. C’est un travail de longue haleine. En dehors des autorités, nous avons rencontré différentes personnalités du monde de la culture, du sport et des économistes qui, voyant le succès du mouvement, ont décidé de nous rejoindre. Toutes ces personnes ont compris qu’il était important que la question du souverainisme monétaire soit mise à jour sur le continent africain.

 

Quel commentaire faites-vous de l’affirmation du nouveau président français selon laquelle le décrochage du F CFA dépendrait des chefs d’Etat ?

 

C’est une question qui est partiellement vraie. Tant que les chefs d’Etat africains ne prendront pas leurs responsabilités, rien ne bougera. C’est pour cela que notre rôle est de faire pression au sein de la société afin que chaque président, à l’image de ce qui se passe au Tchad et au Burkina Faso, prenne ses responsabilités. Mais, dire que cela ne dépend que des chefs d’Etat africains, c’est faux. La France a aussi une responsabilité dans tout ce qui se passe. C’est pour cela que nous continuerons la pression pour que des gens comme le président français, se sentent obligés de parler du F CFA. La question du F CFA a été posée lors de l’élection présidentielle française parce qu’ils ont peur de l’impact de notre mobilisation. Maintenant, on peut dire que tant que les Africains et les dirigeants africains ne joueront pas leurs rôles, c’est évident, on restera dans un état de stagnation.

 

« Laurent Gbagbo devrait être en Côte d’Ivoire avec les siens »

 

Vous parliez tantôt de votre combat pour la souveraineté de manière globale. Pensez-vous qu’avec l’élection de Emmanuel Macron, la politique française vis-à-vis de l’Afrique pourra changer ?

 

Je n’y crois absolument pas, surtout quand je sais que le Premier ministre nommé par Emmanuel Macron est un ancien dirigeant d’AREVA. Alors que c’est connu, AREVA est le symbole du néocolonialisme français sur le continent africain. On a rajeuni le visage du président, mais le projet politique ne changera absolument pas par rapport à ses prédécesseurs. La forme change, le sourire change avec de gentils coups d’amitié, mais dans le fond, la pièce de théâtre politique qui se joue, aura pour nous un arrière-goût.

 

Avez-vous espoir que votre lutte aboutira ?

 

Nous avons le profond sentiment qu’elle aboutira d’une façon ou d’une autre. A partir du moment où la jeunesse africaine prend conscience d’un certain nombre de choses, nous sommes en droit d’espérer que le changement peut se faire. On a commencé, il y a 6 mois. A ce moment, on ne pouvait pas imaginer que des dizaines de milliers de jeunes africains répondraient à l’appel. Et quand je parle de ceux qui se sentent concernés, ils sont des millions. Nous avons bon espoir. C’est un combat du XXIe siècle. Nous avons vu auparavant le combat contre le colonialisme. Nous avons vu le combat du président Thomas Sankara contre le néocolonialisme. Aujourd’hui, le combat, c’est contre le mondialisme dérégulé et son  ultime forme qui est la volonté d’éteindre le souverainisme des nations et des peuples libres. Nous voulons que le souverainisme se ré-ancre au sein de nos populations. On est prêt à tout pour cela et on continuera plus que jamais.

 

De plus en plus, des voix s’élèvent pour demander la libération de Laurent Gbagbo. Quelle est votre position sur cette question, surtout que certains voient en l’ancien président ivoirien, un panafricaniste ?

 

Il ne s’agit pas, pour moi, de panafricanisme. Il s’agit de droit et de légalité. Nous avons fait partie des premiers à défendre le président Laurent Gbagbo. Il n’a pas à être à La Haye. S’il est à La Haye, Alassane Dramane Ouattara devrait y être aussi. Si Alassane Dramane Ouattara n’est pas à La Haye et si Guillaume Soro n’y est pas non plus, le président Laurent Gbagbo ne devrait pas y être. Il devrait être en Côte d’Ivoire avec les siens. Tant qu’il n’y a pas de justice équitable pour ce dernier, une justice qui sera élargie à tous les participants de cette guerre, il est, à nos yeux, hors de question que Laurent Gbagbo soit à La Haye. On peut avoir des désaccords avec Laurent Gbagbo, mais il n’a pas à être là-bas. C’est un scandale politique, qu’il soit là-bas et nous lutterons contre cela. C’est un aspect qui fait partie de notre agenda. Nous avons contribué à faire libérer des militants anti-esclavagistes mauritaniens, l’année dernière.  Actuellement, nous sommes sur le front du F CFA. L’une des prochaines mobilisations, ce sera de traiter la question du président Laurent Gbagbo.

 

Interview réalisée par Adama SIGUE

 

 


Comments
  • Courage et merci vous tous je ne cesse de lire et de soutenir. Un grand courage a kemi seba

    30 mai 2017

Leave A Comment