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LA NOUVELLE DU VENDREDI


Lorsqu’on n’est ni joueur, ni entraîneur, ni acteur quelconque sur le terrain dans le domaine du football, le seul intérêt qu’on se procure en supportant une équipe, c’est le plaisir de gagner. Le plaisir de se sentir concerné par une victoire et d’appartenir à une famille.

Lorsqu’on se trouve en Afrique, au « pays des Hommes intègres », c’est normal et sans excès de supporter nos clubs locaux ou notre équipe nationale pour l’image de la patrie. Le sport étant un langage universel et sans folie, c’est acceptable que son équipe de cœur puisse se trouver de l’autre côté de l’océan en Espagne, en France, en Angleterre, en Italie ou en Allemagne, et que supporter et vibrer devant le petit écran devienne une dose salutaire pour l’esprit en cas de victoire, une sorte d’illusion bienfaitrice dans notre quotidien parfois encombrant, un échappatoire de la monotonie existentielle. A des milliers de kilomètres du Faso, regarder son équipe gagner ou perdre dans ce moment est un partage avec un monde si lointain, une famille imaginaire, des amis proches et invisibles. Supporter une équipe lointaine pour la beauté universelle du sport est beau et noble tant que l’on ne tombe pas dans le piège de la folie et ses excès.
Il y a quelques jours, j’allais voir mon oncle Sory dans sa belle résidence à l’autre bout de la ville de Ouagadougou pour une histoire familiale importante et urgente. Nous avions rendez-vous à 19h. Je fus surpris en arrivant de ne pas le voir à la maison.
– As-tu oublié que l’équipe de ton oncle joue sa qualification ce soir ? Il est allé suivre le match avec ses amis dans le quartier voisin. Il faut que tu attendes sagement la fin du match, qu’il rentre et j’espère qu’ils vont gagner. Sinon…
Par les dires de ma tante Gracias, une adorable femme qui supporte son homme malgré elle dans sa passion footballistique, je compris que je devais patienter pendant deux heures avant de voir mon cher oncle. Un match qui se joue à des milliers de kilomètres de notre cher Faso et par la magie des ondes et des nouvelles technologies, est devenu planétaire. Un match qui se présente plus important que nos histoires de famille. Tante Gracias alluma la télé, me donna un bon plat de riz. J’avais faim et j’appréciai plus le contenu de mon plat que les images du petit écran. Bon perdant, j’adore le beau jeu mais la défaite de mon équipe ne m’a jamais coupé l’appétit. Le match se termina par une lourde défaite de l’équipe de mon oncle. Une catastrophe !
– Je te conseille de revenir un autre jour si tu as des choses importantes avec ton oncle. Ainsi me conseilla sa tendre épouse.

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Je restai pensif. Que pouvais-je faire ? Nous avions un malade au village avec quelques couacs, je suis mandaté par le village pour en parler à l’oncle pour une possible évacuation.
J’attendis une heure après la fin du match.
Lorsque l’oncle arriva, par son visage, j’eus très peur. C’était le deuil et la tristesse absolue sur tout son corps de 56 ans. Dès son arrivée, il monta se coucher et par l’intermédiaire de sa femme, s’excusa d’un mal de tête.
– Reviens dans quelques jours lorsque l’orage aura passé, me dit-elle
Je rentrai chez moi. Je ne savais que dire. Pour moi, dans la philosophie du sport, supporter une équipe à mon sens nous apprend une culture et une valeur : savoir gagner et savoir perdre. Une équipe de football (ou dans d’autres domaines) est faite pour gagner souvent et perdre de temps en temps pour mieux savourer les victoires. Le plaisir de gagner se cache dans la probabilité de perdre.
Le lendemain, tante Gracias nous apprit que tonton était hospitalisé pour une histoire dans le cœur ou quelque chose de ce genre. La défaite de son équipe se digérait très mal. En allant le voir en clinique, tante Gracias me confia :
– Il faut que ton oncle fasse attention avec sa manière de supporter son club à l’autre bout du monde. Je crois que tout excès peut nuire.
Pendant que nous discutions dans le couloir, une amie de tante Gracias nous confia :
– Pourquoi certains ne font-ils pas la part des choses ? Regardez les joueurs, quand les deux équipes sortent des vestiaires ou après les matchs. Ils sont les meilleurs amis du monde. En dehors des terrains, ils se voient et se la coulent douce. Comme en politique, les adversaires ne sont pas des ennemis. Ce sont simplement des rivaux visant les mêmes places. Mais sitôt le rideau baissé, ils boivent, mangent ensemble et laissent l’animosité aux supporteurs et aux sympathisants. Dans mon village, pour une histoire de penalty entre deux équipes espagnoles, des jeunes se sont frappés et l’un deux évacué à l’hôpital, a failli perdre la vie. Il faut savoir perdre et savoir gagner. Telles sont pourtant les lois du sport. Après une semaine d’hospitalisation, oncle Sory a pris note et maintenant, c’est lui le défenseur de Foot sans Folie dans la famille et dans son quartier. Une belle manière d’apprendre aux jeunes que le plaisir de supporter une équipe de football réside aussi dans le plaisir de plaisanter et de taquiner l’équipe adverse et ses supporteurs. Comme le disait l’autre : « Le foot, c’est avant tout un jeu. »

Ousseni NIKIEMA
Tél. : 70 13 25 96
[email protected]


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