HomeOmbre et lumièreLE BATONNIER A PROPOS DE LA CONDAMNATION D’UN AVOCAT : « Ni l’autoritarisme ni la sanction ne peuvent donner au juge le respect qu’il veut »

LE BATONNIER A PROPOS DE LA CONDAMNATION D’UN AVOCAT : « Ni l’autoritarisme ni la sanction ne peuvent donner au juge le respect qu’il veut »


L’Ordre des avocats du Burkina a organisé une cérémonie de présentation de vœux au bâtonnier de l’Ordre du barreau burkinabè, le 28 janvier 2015, à la Maison de l’avocat, à Ouagadougou. Au cours de cette cérémonie, les avocats ont fait le bilan des résultats engrangés par le barreau au cours de l’année écoulée et ont soumis leurs doléances au bâtonnier. Ce sont, entre autres, le climat délétère qui existe entre les avocats et les magistrats, et la mise en place d’une formation initiale et continue au profit des avocats.

« Il règne, depuis un certain temps, une grande frilosité dans les rapports entre avocats et magistrats… Pour un oui ou pour un non, l’avocat est accusé de diffamation, d’injures et d’outrage à magistrat » ; telle a été l’appréciation portée par le secrétaire général de l’Ordre des avocats du Burkina Faso, Paulin Salambéré, sur les rapports entre magistrats et avocats. C’était à l’occasion de la cérémonie de présentation des vœux organisée par le barreau, le 28 janvier dernier. L’atmosphère de plus en plus délétère entre magistrats et avocats fait partie des doléances que les avocats ont soumises au bâtonnier, au cours de cette cérémonie. En effet, selon Paulin Salambéré, un de leurs confrères, Me Silvère Kientaremboumbou, a été condamné par le tribunal correctionnel de Ouagadougou à une peine d’emprisonnement de 6 mois avec sursis, pour outrage à magistrat. « Son crime, c’est d’avoir voulu consulter le dossier d’instruction de son client, exagérément au goût du juge d’instruction, avec les échanges de lettres qui s’en sont suivis », a expliqué Paulin Salambéré. A l’en croire, outre cette situation, il y a un manque de respect de la part des magistrats vis-à-vis des avocats et des justiciables. Lorsque pour une audience qui est prévue à 8h, la juridiction monte à 9h sans aucune excuse présentée aux Avocats et aux justiciables, n’y a-t-il pas là, un manque de respect ? s’est-il demandé. S’adressant au bâtonnier de l’Ordre des avocats du Burkina, Mamadou Traoré, Paulin Salambéré a indiqué qu’il était urgent de prendre des dispositions idoines, afin d’éviter que les magistrats et les avocats ne finissent par se regarder en chiens de faïence et que les contentieux se règlent hors prétoire. Prenant la parole, Mamadou Traoré a aussi déploré cet état de fait dans les rapports entre magistrats et avocats. Pour lui, la décision de condamnation de Me Silvère Kientaremboumbou est une défaite des relations magistrat-avocats, mais également une défaite de la démocratie. « L’autoritarisme et la sanction ne peuvent donner au juge le respect qu’il veut. Au contraire, c’est dans la sagesse de maniement de la loi que le juge prend force de son autorité. Je ne dis pas que nous n’avons pas notre part de responsabilité, mais ceux qui rendent les décisions doivent faire très attention », a-t-il dit. Et d’ajouter que de nos jours, le Burkina est dans une phase où la rue a pris le pouvoir.

« Là où les problèmes du TGI de Ouagadougou vont, si on n’y prend garde, nous allons à la plus grande catastrophe »

Dans ce contexte, selon lui, le seul rempart est la justice, mais si cette justice montre des signes de faiblesse, de fatigue, d’affolement et de règlements de compte, il est évident qu’elle pourrait être aussi prise à partie par cette rue. « Le juge ne détient son office que par la volonté du peuple et si le peuple ne comprend plus ce que veut et ce que fait le juge, cela peut amener le chaos », a affirmé le bâtonnier. Et d’interpeller le Conseil d’Etat et la Cour de cassation, afin qu’ils regardent avec beaucoup d’attention ce qui se passe au niveau de la justice. « Car, sans être un prophète de malheur, là où les problèmes du TGI de Ouagadougou vont, si on n’y prend garde, nous allons à la plus grande catastrophe qui puisse nous arriver », a déploré Mamadou Traoré. En outre, le bâtonnier a indiqué que dans l’exercice de leur métier, l’avocat et le magistrat doivent s’en tenir à des principes. « L’impartialité pour le juge et l’indépendance pour l’avocat. L’impartialité doit permettre au juge de s’élever au-delà des considérations qui peuvent affecter sa décision et sa façon de voir. C’est cette impartialité qui fonde son indépendance, qui lui permet, en vertu du pouvoir quasi divin qu’il possède, de prononcer en âme et conscience une décision, quelle que soit sa dignité, qui est acceptée par les justiciables, au nom desquels il rend sa décision. L’avocat, dans cet exercice, doit être indépendant, devant le juge, de dire ce qu’il pense, ce qu’il veut, avec respect, courtoisie et avec la plus grande fermeté, sans avoir peur de défendre ceux qu’il assiste », a-t-il expliqué. S’agissant de la condamnation de Me Silvère Kientaremboumbou, le bâtonnier a souligné que c‘est un cas inquiétant, dans la mesure où ce dernier s’est constitué pour défendre un agent de recette des finances. Aussi, il a relevé que la notion d’outrage à magistrat concernant les avocats a évolué de sorte à amener les juges eux-mêmes à dire que, dans la défense de son client, dans la difficulté du procès, l’avocat peut être amené à dire tout et n’importe quoi. « C’est la raison pour laquelle il doit bénéficier de l’immunité de parole devant le juge. Mais depuis quelque temps, ce délit (outrage à magistrat Ndlr) fait florès », a regretté Mamadou Traoré. Mais, nous prenons l’engagement de résoudre ce problème, afin que les rapports entre magistrats et avocats soient plus assainis pour la bonne marche de l’appareil judiciaire, a-t-il assuré. « Au lendemain de l’insurrection populaire, le secteur qui a été le plus décrié, le plus vomis, le plus insulté et dont la dissolution a été demandée est celui de la justice. Quand on parle de la justice, cela nous concerne aussi. C’est la raison pour laquelle nous devons avoir des rapports de travail les plus conséquents », a souhaité le bâtonnier. A l’image de cet aspect, le bâtonnier s’est aussi engagé à prendre en compte les autres doléances qui lui ont été soumises, avant la fin de son mandat qui interviendra en juin prochain. Ce sont, entre autres, le problème de la formation continue des avocats et la mise en place d’un système de solidarité et de sécurité sociale des avocats. Par ailleurs, les avocats ont remercié le bâtonnier pour le travail qu’il a abattu au cours de l’année écoulée, pour de meilleures conditions de travail des avocats et pour avoir contribué à la mise en place d’un barreau uni et fort.

Adama SIGUE


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