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Le chemin de l’hémicycle


Les élèves du lycée départemental de Andemtenga, localité située à 15 km de Pouytenga et 17km de Koupéla, dans la province du Kouritenga, sont en grève depuis le 10 février 2014 et ce, pour une durée illimitée. Et pour cause : ils exigent, d’une part, la cessation de certaines pratiques (exactions, vandalisme, violences physiques et morales, intimidations et séquestrations) perpétrées par le proviseur François Guibré sur certains élèves de l’établissement et, d’autre part, réclament des manuels scolaires ainsi que des professeurs en nombre suffisant dans neuf classes qui sont sans professeurs dans certaines matières depuis octobre jusqu’à ce jour . Enfin, ils exigent la restitution pure et simple des cotisations spéciales qui s’élèvent à plus de 10 millions de F CFA, devant en principe servir à l’achat de manuels scolaires et à la construction de salles de classe.

Eux ils n’ont pas cru à ce que tout le monde dit, notamment quand on conseille de se résoudre à rester la queue d’un lion que de devenir la tête d’une souris. Ils ont eu de l’ambition en claquant bruyamment la porte du parti un matin. Au grand dam des gens qui sont idéologico-dépendants, qui s’en voudraient même de rêver un destin différent de celui d’un larbin ; les habits de candidats à la députation, ils y renoncent volontiers. Un adage dit : « Soit le meilleur quoi que tu sois ». Nul besoin donc de quitter un rôle dans lequel on a un talent reconnu. La fonction courtisanerie qui est nécessaire et dont on a besoin dans le parti, c’est eux. La fonction propagande qui a pour cible le grand public, c’est eux, avec tous les contacts qu’il faut pour aller dans les profondeurs de la masse. La fonction vaudou, avec ce que cela comporte comme attitude de veille et de surveillance des gens avec la géomancie, c’est encore leur truc ; ils ont les meilleurs contacts.

Garba, l’homme qui voyait ainsi ses anciens camarades, venait de tourner une page dans sa vie politique dont il ne pouvait que souhaiter une longévité à la mesure de ses ambitions. Après tant de tentatives de départ du parti, il s’était regardé un matin dans un miroir, et y avait vu un autre Garba, un député. Or, des “députables”, il ne saurait y en avoir au sein du Parti Démocratique Progressiste (PDP), tant que les cadres et anciens ministres rempileraient. Oui, tout fut décidé définitivement devant la glace qui lui renvoyait cette image de député, un destin finalement accepté. D’ordinaire, il voyait dans cette même glace un monsieur prêt à se plier en quatre pour le parti ; un monsieur qui tremble au moindre toussotement du chef de la section provinciale, un monsieur qui avait renoncé à lui-même et à son devenir, en faveur de celui du parti. Sur le fond, l’homme qu’il voyait dans la glace était un militant réduit par son second rôle et son manque d’ambition dans le parti. Les renoncements surtout ! Ouvrier de la première heure, il n’avait pas eu besoin de comprendre quoi que ce fût en politique lorsqu’il prit la carte du parti. Une carte prise depuis trois décennies, trois décennies de fidélité servile, trente années de ferveur et de confinement dans les seconds rôles. Ses « enfants » dans le parti avaient droit à de la promotion par des acrobaties pour le moins critiquables qu’encourageait le silence des responsables qui, eux-mêmes devaient leurs places à la corruption, à l’hypocrisie. Mais est-ce de la sorte qu’on gouverne un parti ? Assurément non, répondait-il chaque matin en face de son miroir dans lequel s’affichait le même quinquagénaire, un modeste fonctionnaire frustré et diminué par une profession ingrate, un vieux militant tout aussi dynamique que dilué dans la masse. C’est pourquoi il réussissait difficilement l’exercice mental de réprimer certains souvenirs qui ne pouvaient qu’affluer par intermittence, le temps qu’il restait là, à se raser, à se laver le menton et à traquer des rides rebelles. « Garba, tu ne peux pas devenir conseiller municipal, tu vas patienter encore parce qu’il faut que tu formes la jeunesse » ; « Garba, tu es une personne ressource, la hiérarchie depuis la capitale compte sur toi, tu ne peux pas demander un poste de candidat aux législative » ; « Garba, avant d’être député, il faut que tu aies occupé des postes assez importants dans le parti ». Des phrases de cette nature venaient en rajouter à l’amertume qui le rongeait après un bilan rapide et sa décision de partir. Il partirait. En politique, l’homme est un produit, il a un cycle de vie. Lui Garba, avait vu venir des gens qui avaient aussitôt décollé ; d’autres avaient dû attendre un peu plus… « Mais je décollerai quand ? », décida-t-il un jour de se demander. C’est alors que l’idée de la démission et du changement de parti se posa comme alternative à cette forme de vie politique au sein du PDP. Démissionner, aller se mettre en valeur ailleurs, être candidat aux législatives. Dans les images fortes qu’il visionna, un destin meilleur l’attendait, qui s’offrait même à lui. Mais pour le vivre, s’avisa-t-il, il y avait encore des étapes, de véritables défis à relever : une lettre de démission à présenter et à assumer, des amis à convaincre, un rêve à partager avec une épouse qui frissonne à l’annonce du moindre changement dans leur vie.

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Dans un angle du salon, le petit déjeuner patientait. La courtoisie que Fifi rendait à son homme dans les premiers moments de la journée, fut toujours de le lui préparer de bonne heure, et prendre place la première, sans pour autant grignoter le moindre bout de pain avant son arrivée. C’est avec un sourire invariable qu’elle recevait son homme. Le protocole qui s’en suivait était celui de la présentation de la table à mi-voix, un peu comme si la paresse s’y invitait. Mais l’annonce de la décision politique fut faite illico. Pas de phrase préalablement arrangée, pas d’entourloupe. Les mots, poussés par une force intérieure, sortirent d’eux-mêmes, se laissèrent apprécier par Fifi. Retour ligne manuel
– Je dois te dire ce matin que j’ai un programme.

– Des programmes tu en as toujours eu, n’est-ce pas ?

Garba sourit de ce sourire dont les grands hommes ont le secret dans les situations qui confondent les petits. Cette façon de voir les choses ne lui était pas du tout étrange ; elle était même attachée à la nature de Fifi. Naïve par nature, elle était aussi méprisante, confondant de fait les idées grandioses avec les élucubrations.

– Je vais de demander pour une fois de prendre cette affaire au sérieux et de devenir ma première associée. Je quitte le parti.
– Ah ! bon, tu quittes le PDP, ponctua-t-elle.
C’était plutôt une maman qui regardait un garçonnet, soucieuse à cause d’une décision pour le moins osée que celui-ci venait de prendre. Cette tête-là, Garba s’y attendait.
– Tu ne vends pas cher ma peau en dehors du PDP ?

Le spectacle de silence que sa femme livrait l’irritait outre mesure, seconde après seconde. Mais il s’avisa qu’il méritait meilleure image que celle d’un incapable, telle que Fifi le concevait après sa décision de quitter le parti.

Sous l’effet de l’eau, la poudre de lait versée au fond de la tasse coagulait tandis que la vapeur odorante s’estompait. Autant Garba dédaignait le contenu de la tasse, autant il restait sans absent devant les friandises qui s’offraient à lui.
– Et si tu mangeais en discutant, suggéra sa femme, quelque peu troublée par ce silence qui en disait long sur le conflit latent dont le projet de Garba devenait l’objet.

– Je comprends bien que tu ne m’encourages pas assez, mais c’en est fini du militantisme tout court. J’aspire à devenir un homme politique, fini le statut de militant de base.
La femme, sur un ton qui se voulut conciliant :
– Ton point de chute c’est où maintenant ?
– Je pars prendre des responsabilités au sein de l’Organisation Démocratique des Masses (ODM)… Jusque-là tu me trouves plaisantin, n’est-ce pas ? Ecoute je pars chercher une responsabilité digne de ce nom en vue de préparer ma candidature pour les législatives à venir. C’est ça le programme. Il faut que tu m’y aides !
– Je n’ai jamais fais un jour de politique, tu le sais. Même en devenant membre, je ne saurai comment te prêter main forte.
Fort de la volonté affichée par sa femme, Garba avança la stratégie en la matière, une manigance sur-mesure couramment utilisée au PDP.
– C’est vrai, l’ODM est dirigé par un cousin, mais j’y vais avec mes militants. Donc j’ai besoin de tes frères, de tes amis… Tu comprends un peu ?
– Parfait !

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Dopé ! la bénédiction et l’engagement dont son projet venait de bénéficier auprès de son épouse le dopa. Sans le savoir, celle qui hésitait souvent en tout venait de faire de son homme un futur monstre politique. Sans perdre davantage une seconde devant le petit déjeuner, qu’il trouvait difficilement à cause de ses yeux, il se leva et se dirigea vers la commode dans laquelle il gardait toujours enfermé un agenda et un stylo servant à consigner les décisions d’envergure et à les planifier. Puis il alla s’installer dans le divan, unique ameublement que Fifi trouva en entrant la première fois dans cette maison, il y a au moins vingt années. Il s’assit sur une extrémité pour profiter de l’accoudoir.

Garba se souvient, c’est assis ce matin-là dans son vieux divan qu’il écrivait la lettre de démission exigée par les responsables régionaux de l’ODM. Il est avec eux dans une salle close ; debout au milieu de l’assistance qu’ils forment, installée en forme de U. Il veut prêter allégeance, jurer fidélité et abnégation. Ce qu’il a de la peine à admettre, c’est la présence d’une caméra qui film le moindre détail sur lui. Etait-il si important au PDP au point de représenter un trophée de guerre pour ce parti d’opposition ? Le premier secrétaire exécutif régional est aussi le mentor du candidat ; c’est Madi son cousin. Il demande à Garba d’exhiber sa lettre de démission devant la caméra, de la tenir de sorte à permettre au technicien de mettre en exergue chacune de ces phrases qui montrent que le PDP, parti au pouvoir, est tombé, « carrément à terre ». Garba s’exécute volontiers, conscient que cela fait partie du prix à payer pour son adhésion. Ceci étant, on lui demande de sortir des insanités à l’endroit des ses anciens camarades ; il le fait au-delà des attentes de l’assistance ; il n’est pas jusqu’à la mère du président du parti qui n’est pas injuriée devant la camera qui tourne. Il doit maintenant gifler le parti majoritaire. Alors il envoie une gifle à un personnage imaginaire en rigolant. Enfin, c’est l’étape finale, la danse de l’affranchi ; ce sont des pas d’initiation dans son village qu’il exécute. Comme c’est vraiment terminé et qu’il est membre, on sort la bière.

Aimé BEOGO


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