HomeA la uneLEONCE KONE, PRESIDENT DE LA COMMISSION AD HOC DU CDP : « Je ne regrette pas d’avoir déclaré que je ne condamnais pas la tentative de putsch »

LEONCE KONE, PRESIDENT DE LA COMMISSION AD HOC DU CDP : « Je ne regrette pas d’avoir déclaré que je ne condamnais pas la tentative de putsch »


 

 

De l’insurrection populaire d’octobre 2014 au putsch manqué de septembre 2015, Léonce Koné est un des politiciens qui ont été les plus éprouvés par ces deux événements, avec le saccage de son domicile familial dans son fief à Banfora et sa mise en examen dans le cadre du coup d’Etat manqué du Conseil national de la démocratie (CND). Outre ces épreuves, il est de ceux des anciens dignitaires du régime déchu qui jouent les premiers rôles pour redorer le blason du CDP, l’ex-parti au pouvoir. Entre peaufinage de stratégies pour donner un nouveau souffle à son parti, mission  pour laquelle il lui est échu le poste de président de la Commission ad hoc et ennuis judiciaires, Léonce Koné se confie à ‘’Mardi Politique’’. Lisez plutôt !

 

Le Pays : Vous êtes président de la Commission ad hoc du CDP alors qu’il existe un président. En quoi consiste votre rôle ?

 

Léonce Koné (L.K) : La création de la Commission ad hoc obéit à la volonté de notre parti de mettre en place une structure et des mécanismes exceptionnels, pour répondre à un défi exceptionnel. Depuis trois ans, nos adversaires de tous bords n’ont eu de cesse de tenter de désarticuler le CDP, de l’anéantir ou de l’affaiblir de façon irrémédiable. On ne peut pas résister à une adversité de cette ampleur, de cette violence,  en fondant uniquement l’action du parti sur la routine du fonctionnement de ses organes permanents. D’autant que ces organes ont eux-mêmes été fragilisés par un climat d’hostilité, entretenu par le caractère massif et répétitif des attaques que leurs membres ont subies. Cette entreprise d’intimidation a provoqué le découragement de certains de nos militants et la désorganisation de nos structures. La mission de la Commission ad hoc est à la fois simple à énoncer et complexe dans sa mise en œuvre. Il s’agit de remobiliser nos forces politiques, en restaurant nos structures sur l’ensemble du territoire national. En même temps que ce travail de réorganisation, il s’agit également de relancer l’action du CDP sur les scènes politiques nationale et locales, afin de lui permettre de jouer pleinement son rôle d’élément majeur de l’opposition républicaine. Notre but ultime étant de participer pleinement à la compétition démocratique, ainsi que la Constitution du Burkina nous en donne le droit, pour apporter notre contribution à l’amélioration des conditions de vie de nos concitoyens.

 

L’insurrection populaire a-t-elle donc eu raison de l’assise du CDP?

 

Effectivement, notre parti a été fortement ébranlé par l’insurrection de 2014, par la perte du pouvoir et ses conséquences multiples, par les violences qui ont été exercées sur ses dirigeants, ses militants et ses sympathisants, supposés ou réels. Un de ses dirigeants, le doyen Salif Ouédraogo, qui était secrétaire national  chargé des anciens a été tué durant l’attaque du siège du parti le 30 Octobre 2014. Il est, à ma connaissance, le seul militant avéré d’un parti politique qui a trouvé la mort durant ces émeutes. Si je signale cela, ce n’est évidemment pas pour minimiser la tragédie que constitue, pour leurs familles, pour leurs proches et pour la Nation entière la disparition des autres citoyens, victimes des violences qui ont accompagné ces manifestations. C’est seulement pour relever un fait, qui ajoute au désarroi que nos membres et nos structures ont pu ressentir du fait de ces évènements. En plus, les domiciles de plusieurs de nos militants ont été incendiés, de même que les sièges de notre parti à Ouagadougou et dans de nombreuses localités.

Il ne vous a certainement pas échappé que depuis la Transition, notre parti est en butte à un harcèlement continuel. Il a fait l’objet d’une mesure de suspension en fin 2014, qui pouvait laisser craindre qu’il ne fût dissous purement et simplement. En avril 2015, le CNT a voté une modification liberticide du Code électoral qui a eu pour effet d’écarter arbitrairement des militants du CDP et d’autres partis de l’ancienne majorité des scrutins qui devaient clôturer la période de transition. Ce texte a été pris en violation flagrante de la Constitution burkinabè, des traités internationaux signés et ratifiés par notre pays et au mépris d’un jugement explicite rendu par la Cour de Justice de la CEDEAO. Ensuite, des poursuites judiciaires ont été engagées contre les membres du dernier Gouvernement du président Compaoré, accusés de complicité pour les homicides et dégâts matériels causés par l’insurrection, sur un fondement juridique totalement absurde. Enfin, après la tentative de putsch de 2015, on s’est évertué à établir une responsabilité du CDP et de ses membres dans cette opération. Cette allégation n’a pas prospéré en ce qui concerne le parti lui-même, mais plusieurs de ses membres, dont moi-même, sont sous le coup de poursuites pour leur complicité présumée dans ce putsch. Sans compter l’accusation scandaleuse et farfelue, énoncée  par les plus hauts responsables du pouvoir, qui tend à nous présenter devant l’opinion comme les commanditaires des attaques terroristes et troubles variés qui menacent la stabilité du pays et la tranquillité de ses habitants.

Peu de formations politiques survivraient à un tel acharnement hostile. Or le CDP, non seulement a su résister face à l’épreuve, mais fait preuve d’une nouvelle vigueur. Cela illustre un trait de caractère de nos compatriotes, qui sont des hommes et des femmes courageux, fidèles à leurs engagements.

Quant à mon rôle personnel dans cette démarche, il consiste à coordonner l’action de réorganisation et de relance du parti. J’exerce cette mission en parfaite intelligence avec mon camarade Achille Tapsoba, premier vice-président du parti, à qui le Bureau politique national a confié l’intérim de la présidence du CDP jusqu’au prochain congrès statutaire prévu en 2018. L’un et l’autre, nous faisons ce qui est nécessaire pour que cet attelage fonctionne au mieux de l’intérêt de notre parti et les choses se passent bien.

 

L’un des objectifs que nous nous sommes fixés et que nous sommes en passe d’atteindre, est de mettre fin à la diabolisation du CDP

   

Où en est-on avec la restructuration du parti pour laquelle vous avez été porté à la tête de la Commission ad hoc ?

 

Je crois pouvoir dire que la restructuration du parti se développe de façon tout à fait convenable. Nous avons déjà renouvelé presque toutes nos sections provinciales, dans un climat de rassemblement, d’unité et de dialogue démocratique. Cela n’interdit pas la compétition et les rivalités qui sont inhérentes à l’action politique. Mais dans la plupart des cas, une fois que ces débats démocratiques ont été épuisés, le consensus a prévalu pour achever la désignation des membres des sections provinciales. Les 4 ou 5 sections qui restent à renouveler, le seront dans les prochaines semaines. Nous avons choisi délibérément de laisser à nos militants le temps nécessaire pour se concerter et trouver par eux-mêmes un  consensus pour la désignation des membres de leurs sections respectives. Le fait que cela s’accompagne parfois de discussions vives, de rivalités, est plutôt un bon signal pour le regain d’intérêt que suscite le parti et pour le dynamisme de ses pratiques démocratiques. C’est la même démarche qui est suivie pour le renouvellement de nos structures à l’échelon des communes, des secteurs et des villages. Là aussi, les choses vont bon train. Le CDP est donc présent et debout sur toute l’étendue du territoire national.

A vrai dire, dans cette action de remise sur pied de nos structures, les organes de la Commission ad hoc ont surtout joué un rôle de catalyseur de l’énergie de nos militants de base, de leur volonté invincible de relever le parti dans lequel ils croient.

Mais le travail de la Commission ad hoc ne se limite pas à la remise sur pied de nos structures territoriales. Il a porté également sur l’instauration d’une meilleure coordination entre le groupe parlementaire du CDP et la direction du parti. Cette action aussi a porté ses fruits. Je crois pouvoir dire que notre groupe parlementaire joue, au sein de l’Assemblée nationale, le rôle d’une opposition républicaine cohérente, active et résolue. De surcroît, nos députés ont à plusieurs reprises apporté une contribution financière substantielle à la vie du parti.

L’autre chantier de la Commission est celui de la communication. Nous voulons insuffler un nouveau dynamisme à notre communication, en la rendant à la fois proactive et réactive. Comme vous avez pu le voir, le parti réagit de façon proportionnée aux attaques qui sont faites contre nous, de manière factuelle et modérée ou avec vigueur suivant les cas. Mais nous avons surtout l’ambition d’organiser une communication positive, qui explique à nos militants et à l’opinion nos positions politiques sur les sujets importants. Cette approche est complétée d’ailleurs par un effort accru de formation de nos militants, particulièrement les jeunes et les femmes.

L’un des objectifs que nous nous sommes fixés et que nous sommes en passe d’atteindre, est de mettre fin à la diabolisation du CDP pour le faire reconnaître par l’opinion comme un parti normal, qui participe à la vie politique du pays au sein d’une opposition républicaine, respectueuse des institutions, mais combative. Il y a encore des gens pour nous contester ce droit, mais ils sont quantité et qualité négligeables.

 

Vous dites que votre parti est maintenant debout et présent sur toute l’étendue du territoire national ; alors comment comptez-vous rebondir pour l’échéance de 2020 ?

 

Ce que je viens de vous expliquer sur notre action, montre que nous sommes en train de reconquérir une position importante sur la scène politique. Certes, nous n’avons plus la place hégémonique que nous occupions par le passé, mais cela n’est pas une situation dramatique. Au contraire, elle est stimulante, en ce qu’elle nous appelle à réfléchir pour tirer leçon de nos échecs, de nos insuffisances, de façon lucide et intelligente. Depuis 2014, le Burkina est entré dans une nouvelle étape de son évolution démocratique, avec des forces politiques plus équilibrées, un niveau d’exigence accru de la part de la société civile sur la gouvernance du pays. Nous devons nous mettre en position de répondre à ces nouvelles attentes, avec ouverture d’esprit, sans renier pour autant les avancées majeures qui ont été accomplies par notre pays sous la direction de Blaise Compaoré. Elles touchent aux données macroéconomiques, aux secteurs sociaux, à l’environnement des affaires, aux libertés publiques, à la vie démocratique, à la sécurité, à la diplomatie, etc. Tout n’était pas parfait, loin s’en faut. Mais quand j’écoute ce que disent nos compatriotes extérieurs aux luttes de positionnement politiques, il apparaît évident qu’une grande partie de l’opinion nationale considère que la vie devient de plus en plus difficile sur tous ces plans. Lorsqu’il n’existe pas d’éléments de comparaison, on peut raconter aux citoyens qu’avant c’était l’enfer et qu’ils découvriront le paradis. Lorsqu’ils ont eu à subir plus de deux années de galère et d’insécurité permanente, avec des promesses mirobolantes confrontées à une réalité  et à des perspectives sombres, ils peuvent juger sur pièces.

Donc, nous ne sommes certainement pas le parti qui a le plus à redouter des échéances électorales de 2020. Nous nous y préparons avec application et détermination.

Et à quand le prochain congrès du CDP ?

 

L’échéance statutaire pour notre prochain congrès est l’année 2018. Nous nous organisons pour la respecter. C’est devenu d’ailleurs une nécessité impérieuse, pour mettre le parti en ordre de bataille et en ordre tout court, en prévision des élections de 2020. Mais il n’y a pas que les élections futures. Dans l’intervalle, le parti doit être bien organisé pour participer à l’animation de la vie démocratique et politique.

 

Je ne suis pas obsédé par l’idée de devenir président du CDP. Mais l’une des maximes de la politique est qu’il ne faut jamais dire jamais

 

Léonce Koné serait-il candidat à la présidence du CDP ?

 

Le moment venu, les instances que nous aurons désignées à cette fin se concerteront pour choisir les candidats aux différents postes de direction du parti et ces propositions seront soumises à la décision du Congrès. A ce stade, je n’ai aucune idée de la procédure qui sera retenue, ni de l’identité des candidats aux différentes fonctions, pour la raison simple que la direction du parti n’a pas encore statué sur ces questions, ni même commencé à travailler sur les organes de préparation du Congrès. Cela viendra en son temps. Maintenant, pour répondre de façon précise à votre question, je ne suis pas obsédé par l’idée de devenir président du CDP. Mais l’une des maximes de la politique est qu’il ne faut jamais dire jamais. L’essentiel est que le parti soit dirigé par une personne sérieuse, crédible, entourée par une équipe solidaire et engagée. Nous avons besoin d’une direction forte et soudée, composée d’hommes et de femmes aguerris, qui ont donné la preuve de leur constance et de leur fidélité au parti face à l’adversité. Nous avons besoin d’une direction capable de mener l’action du parti, de manière résolue et cohérente, dans les bons comme dans les mauvais jours. Nous appartenons à l’opposition et nous devons nous attendre à un durcissement de la lutte politique à mesure qu’approcheront les prochaines échéances électorales, avec tout ce que cela peut supposer de manœuvres de déstabilisation et d’intimidation. Nous en faisons l’amère et rude expérience depuis 3 ans.  Cela dit, nous aborderons également ces défis avec une sérénité et un calme résolus, parce que je pense qu’il est temps que le dialogue démocratique et la compétition politique dans notre pays se déroulent dans un climat apaisé, civilisé.

Quel type de relations entretenez-vous avec Eddie Komboïgo ?

 

Nous avons des relations cordiales, conformes à ce que doivent être les rapports entre les membres d’un même parti.

 

Après avoir été blanchi dans le cadre du dossier du putsch manqué, on s’attendait à ce qu’il reprenne les rênes du CDP. Or, tel n’est pas le cas jusque-là. Comment expliquez-vous cela ?

 

Cela s’explique par une raison simple. Le 30 septembre dernier, le bureau politique national du CDP, prenant en considération les conditions dans lesquelles le parti a fonctionné depuis près de deux ans, a décidé de proroger l’intérim de la présidence du parti, confié à Achille Tapsoba, jusqu’à la tenue du prochain Congrès, laquelle interviendra courant 2018. La même session du bureau politique a décidé que la mission de la Commission ad hoc continuera jusqu’au Congrès. Ce que l’instance dirigeante qui prend les décisions importantes entre deux congrès a privilégié en la circonstance,  c’est l’intérêt du parti dans cette période de transition où nous sommes en train de reconstituer les forces du CDP pour sortir d’une situation qui a été périlleuse et qui demande un dépassement de soi de la part de chacun. Cette dynamique exige que nous fassions tous preuve de discernement et de sens des responsabilités. Dans cet esprit, le bureau politique a recommandé que le président statutaire, le président par intérim et le président de la Commission ad hoc œuvrent de concert pour assurer le fonctionnement harmonieux du parti, en attendant le prochain congrès. C’est ce à quoi nous nous employons.

Lorsqu’une manifestation dégénère au point d’entraîner des homicides, des coups et blessures et des dégâts matériels, les organisateurs de cette manifestation sont présumés responsables de ces faits

 

Il semble que Blaise Compaoré devait rentrer au pays le 17 décembre dernier. Etiez-vous au courant ?

 

Certains de nos compatriotes ont entrepris un plaidoyer et des démarches actives pour obtenir que le président Compaoré puisse revenir dans son pays, dans des conditions dignes. Je pense qu’ils ont du mérite et ont fait preuve de courage en prenant cette initiative. Evidemment les spéculations sur la date et les conditions de son retour sont prématurées. Mais la question de fond demeure. Blaise Compaoré a été président de ce pays pendant près de trois décennies. Certaines de ses actions peuvent être critiquées, comme il est normal dans tout parcours politique. Cela ne doit pas faire oublier que sous sa direction, notre pays a réalisé des progrès décisifs dans de nombreux domaines. Il n’a pas été le tyran sanguinaire que certains s’obstinent à dépeindre, dans un déni flagrant de la réalité.  En dépit des drames que le pays a connus et que je ne nie pas, il faut reconnaître à Blaise Compaoré le mérite d’avoir mis fin à l’Etat d’exception et à ses excès, en instaurant un système démocratique, sans doute imparfait – c’est l’essence même de la démocratie – mais en amélioration constante. De façon plus spécifique, nous devons garder à l’esprit que lui-même, tout au long de sa présidence, s’est employé à faire en sorte qu’aucun Burkinabè ne soit contraint à l’exil pour des raisons politiques. Au moment de sa chute, il n’y avait au Burkina ni prisonnier politique, ni exilé politique. Pendant toute la période tumultueuse qui a précédé l’insurrection, durant laquelle ses opposants appelaient ouvertement à la subversion, aucun d’entre eux n’a eu à subir les moindres représailles, ni emprisonnement arbitraire, ni interpellation préventive par les services de sécurité. La presse et les réseaux sociaux, pourtant hostiles, ont fonctionné librement. Les libertés de manifestation et d’expression n’ont pas été entravées. Quand on compare cette situation avec celle qui prévaut actuellement dans notre pays, il est évident que l’exercice des libertés a régressé. Alors est-il concevable, dans ces conditions, de refuser à Blaise Compaoré le droit de résider au Burkina sans être astreint à un traitement humiliant ? Disant cela, je ne prétends pas que Blaise Compaoré soit un citoyen au-dessus de la loi, bénéficiant du privilège de l’impunité. Encore faut-il que l’on puisse invoquer à son encontre des infractions précises, clairement punies par la loi burkinabè, sur la base d’une procédure régulière, obéissant aux normes de la justice équitable. Que lui reproche-t-on réellement aujourd’hui ? D’avoir ordonné le massacre de citoyens pour réprimer les émeutes de 2014 ? Tous les gens de bonne foi savent que cela n’est pas vrai et que c’est précisément pour éviter que cette crise ne dégénère en un bain de sang, qu’il a choisi de démissionner. Tout cela relève d’une logique de chasse aux sorcières.  Il n’est que d’entendre la hargne vindicative avec laquelle les autorités actuelles parlent de l’éventualité de son retour, pour deviner le sort dégradant  qu’elles s’apprêtent à lui réserver. J’ai fini d’ailleurs par en tirer la conclusion que le souhait véritable du pouvoir actuel est qu’il reste à l’étranger le plus longtemps possible, parce que le régime en place redoute sa présence au Burkina. Alors pour le dissuader de rentrer dans son pays, on invente des poursuites judiciaires absurdes, assorties de la menace d’un traitement humiliant. S’agissant des suites dommageables de l’insurrection, on se garde bien d’ouvrir les poursuites que prévoit la loi burkinabè. Lorsqu’une manifestation dégénère au point d’entraîner des homicides, des coups et blessures et des dégâts matériels, les organisateurs de cette manifestation sont présumés responsables de ces faits. Si on veut occulter cette responsabilité pour s’en tenir à la mise en cause des forces de sécurité et de leurs supérieurs, alors pourquoi n’y a-t-il pas la moindre tentative sérieuse de faire venir au Burkina le Général Yacouba Isaac Zida, qui est présenté comme le chef opérationnel des unités qui étaient chargées du maintien de l’ordre durant ces évènements ? Là aussi, il faut bien se rendre à l’évidence que sa présence au Burkina n’est pas souhaitée par le pouvoir. C’est tout cela qui crée dans l’opinion, le sentiment que la Justice est manipulée à des fins politiques.

Donc, vous voyez, la question du retour éventuel de Blaise Compaoré n’est pas un sujet anecdotique, qui prête à moquer l’enthousiasme de ceux qui ont décidé de plaider pour cette cause. Au-delà de l’ancien président, elle concerne également tous ceux de nos compatriotes qui vivent actuellement les vicissitudes de l’exil politique. Ce qui est en jeu, c’est le respect de la dignité des personnes, le droit pour les citoyens de vivre librement dans leur pays, la fin de l’ostracisme politique. Et ce qui est en jeu c’est également la dignité,  la cohésion de notre Nation, l’apaisement des tensions sociales et politiques.

N’allez pas croire que les membres du CDP sont des disciples illuminés, envoûtés par un sentiment de dévotion envers leur maître, qui passent leur temps à se lamenter pour exiger son retour

 

Blaise Compaoré doit-il oui ou non rentrer au Burkina Faso ? Quel est le meilleur scénario pour le CDP ?

 

Je suppose qu’il y a un brin de provocation ironique  dans votre question. Vous et moi, avons-nous le droit de vivre au Burkina qui est notre pays ? Si vous considérez que nous avons ce droit et que l’Etat doit en garantir la jouissance, alors la réponse est exactement la même pour le président Compaoré. Le Burkina est sa patrie. Il a combattu pour elle comme jeune officier. Ensuite, comme Chef de l’Etat, il a servi son pays avec honneur et dignité. Le Burkina, sous sa présidence, était reconnu et respecté comme une pièce maîtresse de la stabilité sous régionale. Et puis, même s’il n’avait été qu’un citoyen ordinaire, il n’est pas normal que l’on en vienne à demander si un Burkinabè peut, ou ne peut pas  rentrer dans son pays, en bénéficiant pleinement de la protection de la loi, interprétée de façon juste, sans être soumis à des poursuites abusives dictées par des motifs politiques. Cela est le signe d’une société malade, dans laquelle la primauté du droit est bafouée. Il est de notre intérêt à tous que ce climat de haine et d’ostracisme prenne fin. J’avoue que je ne comprends pas l’avantage que les autorités actuelles trouvent à entretenir et à exacerber ces tensions. N’allez pas croire que les membres du CDP sont des disciples illuminés, envoûtés par un sentiment de dévotion envers leur maître, qui passent leur temps à se lamenter pour exiger son retour. C’est un fait que les militants de notre parti lui sont restés fidèles, d’abord par loyauté, mais surtout  parce que, face aux errements de la gouvernance actuelle, ils ont fini par se convaincre que les choses allaient mieux sous sa présidence. Du reste, ce sentiment est partagé  par de nombreux Burkinabè, y compris parmi ceux qui l’ont combattu et manifesté pour réclamer sa démission. Le pouvoir peut choisir d’ignorer cette évolution de l’opinion, en suscitant des mouvements qui se donnent pour seule vocation de poursuivre le président Compaoré de leur vindicte. Cela n’y change pas grand-chose. Les Burkinabè sont des gens épris de justice et d’équité, qui savent faire le tri entre le vrai et le faux. Ceux qui prospèrent dans le commerce de la haine, sont une infime minorité. Regardez comment les choses se sont passées au Zimbabwe, même si les pays, les personnes en cause et les circonstances sont différents. Le choix de la décence et de la dignité est toujours préférable à celui de la mesquinerie et de la vindicte hargneuse.

Certains font mine d’être outrés par le fait que le président Compaoré ait pris la nationalité ivoirienne après sa chute, en plus de son statut de citoyen burkinabè. C’est de la mauvaise foi. Au moins, cela confirme que tout au long de sa présidence il n’appartenait qu’à la seule nationalité burkinabè. Dès lors qu’il n’était plus président, que les autorités de la Transition l’avaient privé de son passeport et ne faisaient pas mystère de leur intention de l’appréhender pour assouvir je ne sais quelle revanche, je ne vois pas pourquoi il aurait décliné l’offre de ses hôtes de lui accorder la nationalité ivoirienne pour lui conférer une protection juridique et faciliter ses déplacements. Il ne sera ni le premier, ni le dernier Burkinabè à bénéficier de la double nationalité et, dans son cas, ce choix, à l’évidence, était dicté par des contraintes exceptionnelles. Ce n’est pas parce qu’il a pris la nationalité ivoirienne, dans ces circonstances particulières, qu’il n’est plus un citoyen burkinabè, digne de respect.

Je suis persuadé que les autorités actuelles finiront par entendre raison et par favoriser le retour du Président Compaoré, lorsqu‘elles cesseront de nourrir des fantasmes sur les dangers que sa présence au Burkina pourrait susciter. Ce moment n’est peut-être pas encore arrivé, parce que je crois comprendre que même sa présence sur le territoire voisin et ami de la Côte d’Ivoire leur paraît trop proche et menaçante. C’est idiot, je ne vois pas d’autre manière de qualifier cette crainte irrationnelle, mêlée à un désir de prendre une revanche implacable contre quelqu’un qui ne vous a rien fait et bien au contraire, a favorisé votre ascension sociale dans son sillage, en même temps qu’il a rendu des services incontestables à son pays.

Quel scénario le CDP envisage-t-il pour ce retour ? Aucun. Les clés de ce retour sont entre les mains des autorités du Burkina, de celles de la Côte d’Ivoire et du président Compaoré lui-même, lorsque les conditions seront remplies pour rendre cette opération possible et digne. Quand le moment viendra, le CDP et la multitude de sympathisants qu’il compte au Burkina sauront s’organiser pour lui souhaiter la bienvenue dans son pays et lui témoigner leur affection, en veillant à ne pas troubler l’ordre public. Et je suis convaincu que ce retour, en lui-même, contribuera à l’apaisement des tensions dans notre  pays. Il constituera un symbole de la réconciliation des Burkinabè.

Dire que le régime de la Transition est issu d’un coup d’Etat n’est pas faire injure à ses dirigeants ni aux insurgés. C’est juste la constatation d’un fait

 

Venons-en à un des épisodes qui auront marqué votre vie politique, à savoir le putsch manqué de septembre 2015. Vous avez eu à déclarer publiquement que vous ne condamnez pas cette tentative de coup d’Etat. Avec le recul, regrettez-vous vos propos ?

 

Quand un journaliste m’interroge, comme c’était le cas, j’essaie de lui répondre franchement et de manière sensée, pour ne pas avoir à me rétracter.   Donc, je ne regrette pas d’avoir déclaré, lors de l’interview à laquelle vous faites référence, que je ne condamnais pas la tentative de putsch du 16 septembre 2015, parce que c’est très exactement ce que je pensais, à l’annonce de ce coup d’Etat. Il est vrai que ces propos m’ont valu quelques déboires, mais je ne vois aucune raison de les renier aujourd’hui encore. Cela ne fait pas de moi un adepte des coups d’Etat. Je suis animé au contraire de fortes convictions démocratiques et républicaines. J’aspire à ce que la vie politique dans notre pays soit animée par des institutions solides, qui jouent pleinement leurs rôles respectifs et sont capables de réguler les contradictions et les  tensions inévitables par l’application de règles et de procédures démocratiques instaurées par la loi. En résumé, cela implique le respect scrupuleux de la primauté du droit, la reconnaissance des droits et des libertés des citoyens, le fonctionnement normal des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Si ces mécanismes de régulation de la vie politique s’avèrent défaillants du fait de la volonté délibérée du pouvoir en place de les bafouer, alors j’accepte sans état d’âme et sans m’abriter derrière une rhétorique fumeuse qu’un putsch vienne mettre fin à un régime oppressif et anti-démocratique, en ayant l’espoir que de ce mal nécessaire sortira un bienfait. Mais une chose est de s’abstenir de condamner un coup d’Etat, ou même de l’approuver, une autre est de le perpétrer, en participant à sa préparation, à son organisation et à son exécution.

Cette prise de position nécessite sans doute quelques explications. Il faut rappeler que le régime de la Transition tirait lui-même son origine d’un coup d’Etat. Même si la classe politique et la communauté internationale s’étaient accommodées de cette situation par réalisme. Après la démission du président Compaoré, consécutive à l’insurrection, la Constitution du Burkina était supposée être demeurée en vigueur, en dépit du bref intermède de la présidence du Lieutenant-Colonel Zida, durant lequel il avait proclamé sa suspension. Elle a été affublée d’un appendice dicté par les circonstances, représenté par la Charte de la transition. Ce montage juridique vaut ce qu’il vaut, mais c’est cela qui a permis de préserver le semblant de légalité constitutionnelle sur lequel la communauté internationale s’est appuyée pour ne pas tirer la conséquence des évènements qui étaient intervenus au Burkina, en prononçant contre le pays la batterie de sanctions qui sont prises habituellement dans ce genre de circonstances. Ils ont privilégié le réalisme et le souci de trouver rapidement une solution de sortie de crise, par l’organisation d’élections libres, démocratiques et inclusives, dans le but d’assurer le retour du pays à un système constitutionnel normal, dans le délai le plus bref possible. Par réalisme également, les partis de l’ancienne majorité se sont résignés à cet état de fait pour aller de l’avant et pour reconstituer leurs forces, en prévision des élections. Cette démarche pragmatique ne nous empêche pas de porter un regard lucide sur le déroulement de ces évènements, au strict plan du respect de la Constitution. De ce point de vue, les choses sont claires,  la Constitution ne prévoit que deux modes de succession à la fonction de président du Faso : l’élection à l’échéance du mandat présidentiel, ou la suppléance du Chef de l’Etat par le président du Parlement en cas de vacance anticipée de ce poste. Tout autre mode de dévolution du pouvoir présidentiel est un coup d’Etat, quelles qu’en soient les justifications. Dire que le régime de la Transition est issu d’un coup d’Etat n’est pas faire injure à ses dirigeants ni aux insurgés. C’est juste la constatation d’un fait.

Alors, déjà entaché par cette tare originelle, le régime de la Transition a pris délibérément la décision de violer encore la Constitution et les traités internationaux que le Burkina avait signés en adoptant une modification du Code électoral contraire aux droits et aux libertés des citoyens. Il a poussé l’arbitraire jusqu’à refuser d’appliquer un jugement obligatoire de la Cour de Justice de la CEDEAO, qui lui enjoignait de rapporter cette législation liberticide. Par ce refus arrogant de respecter la primauté du droit, le régime de la Transition avait perdu définitivement toute légitimité à mes yeux et à ceux de nombre de nos concitoyens.  Pour dire les choses simplement, l’Etat de droit, c’est celui qui respecte le droit ou qui montre à tout le moins sa volonté d’agir dans ce sens, en dépit des aléas. Ce n’était pas le cas du régime de la Transition qui montrait clairement que le respect de la primauté du droit était le cadet de ses soucis, préoccupé qu’il était de régler d’abord des comptes politiques et de verrouiller les élections en faveur de ses amis.

Dans ces conditions, à moins d’être stupide ou hypocrite, je vois mal pourquoi je condamnerais a priori une opération qui était susceptible d’arrêter cette dérive, sans même connaître les intentions précises des gens qui étaient en train de s’emparer du pouvoir. Etais-je supposé me lamenter de la chute probable de ceux qui n’avaient eu de cesse, depuis leur arrivée au pouvoir, d’entraver nos libertés et nos droits politiques ? Je ne sais pas faire ce genre de contorsions. Quand on me demande si je condamne la mise à l’écart de mon oppresseur, je considère comme une réponse sensée et très mesurée de dire que je ne la condamne pas. Vous savez, au Burkina, on est toujours le putschiste de quelqu’un. Parmi ceux qui nous traitent de putschistes pour le simple fait de n’avoir pas condamné ou d’avoir approuvé cette tentative de renversement de la Transition, il en est beaucoup qui, après la chute de Sankara, se sont répandus dans les médias pour saluer cet évènement et prononcer des imprécations contre lui. Mon séjour à la MACA (ndlr : Maison d’arrêt et de correction des armées), au contact de certains officiers de l’ex-RSP, m’a permis de savoir que dès l’annonce du putsch du 16 septembre 2015, certains responsables en vue du régime actuel se sont dépêchés de téléphoner aux auteurs de la tentative de coup d’Etat pour les féliciter et leur exprimer leur soutien. Je suis habitué maintenant à la comédie du pouvoir, à la vacuité et à l’hypocrisie foncière que cachent certaines postures jugées politiquement correctes. En ce qui me concerne, dans cette affaire, je pense avoir usé simplement de ma liberté d’opinion et d’expression. Et je ne le regrette aucunement.

 

N’avez-vous pas apporté un quelconque soutien à ce putsch qui vous vaut aujourd’hui des ennuis judiciaires ?

 

Comme vous le savez, cette affaire est en cours d’examen devant le Tribunal militaire. Mais je ne vais pas éluder votre question. Dans ce genre de situation, ce sont les avocats qui sont tenus par la loi, à une obligation de discrétion à l’égard du dossier d’instruction. Cette règle ne s’applique pas à l’inculpé, même si j’ai bien conscience que les membres du parquet militaire ont tendance à avoir une conception outrageusement restrictive des droits de la défense. Je connais mes droits et je les exerce avec responsabilité. Donc je suis actuellement inculpé de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, pour une participation présumée au putsch du 16 septembre 2015. Naturellement, je réfute cette accusation. Me suis-je déclaré favorable à ce coup d’Etat lorsqu’il a été annoncé ? Oui je l’ai fait, pour les raisons de bon sens que je vous ai indiquées précédemment. Encore que la seule déclaration publique qui m’est personnellement imputable, se bornait à dire que je ne le condamnais pas a priori. Je revendique ce droit qui relève de la liberté d’opinion. Comme je l’ai dit à mes interlocuteurs durant cette procédure d’instruction, si on devait arrêter  tous les gens qui étaient favorables à ce putsch, ce sont des milliers de personnes qui se trouveraient poursuivies aujourd’hui devant la Justice militaire. Ai-je été commanditaire, co-auteur ou complice de ce putsch ? Non, je n’ai joué aucun de ces rôles. Les faits montrent que je n’en étais pas informé à l’avance et j’ai même été sceptique au premier abord sur la réalité de ce putsch. Une fois que le putsch fut annoncé, je me suis comporté face à cette situation comme un homme politique. En cette qualité, j’ai participé aux concertations qui ont été organisées par les chefs d’Etat de la CEDEAO et notamment par le Président Macky Sall, pour trouver une solution à cette nouvelle crise. Le groupe de l’ancienne majorité politique du Burkina auquel j’appartenais, était partisan de l’ouverture d’un dialogue politique inclusif, organisé sous l’égide de la CEDEAO, dans le but de redéfinir les modalités de la poursuite de la Transition, particulièrement en mettant fin aux mesures d’ostracisme électoral. Pour appuyer ce plaidoyer, nous avons invité nos militants et sympathisants à manifester pacifiquement devant l’hôtel où résidaient les chefs d’Etat de la CEDEAO, avec des messages qui réclamaient l’inclusion et rejetaient l’exclusion. Ces démonstrations ont pu connaître quelques débordements, comme il est fréquent dans ce genre de circonstances, mais je n’ai pas connaissance qu’elles aient causé ni pertes en vies humaines, ni blessures graves, ni dégradation de biens. En tout cas, cela n’avait rien de comparable avec le déchaînement de violences et de vandalisme que le pays a connu durant l’insurrection, qui n’a donné suite étrangement à aucune enquête judiciaire sérieuse. De même, l’accusation selon laquelle quelques amis politiques et moi aurions reçu des fonds d’une puissance étrangère pour financer le putsch, est fausse et farfelue. Nous avons bénéficié, comme il est fréquent en politique, de soutiens multiples de la part de relations personnelles et privées, dont l’identité n’a pas été dissimulée aux enquêteurs. Cet appui, mobilisé bien avant le putsch, était destiné à préparer les élections qui devaient se tenir le mois suivant. C’est l’une des contraintes de la politique qu’à l’approche des grandes échéances, vous êtes obligés de collecter  des ressources localement et à l’étranger, en tendant votre sébile à ceux de vos amis qui ont la bonté et les moyens de vous apporter une contribution, même modique. Ces ressources ont été affectées au financement d’activités politiques normales et licites.

En ce qui vous concerne, comment évolue le dossier au plan judiciaire ?

 

Le dossier est actuellement en cours d’examen devant la Chambre de contrôle de l’instruction, qui rendra son délibéré à une date que je suppose prochaine. Nous serons fixés ensuite sur la suite de la procédure.

Dans le contexte actuel du Burkina, toutes les tendances politiques ont des griefs sérieux à faire valoir

 

La réconciliation nationale que les Burkinabè appellent de leurs vœux piétine jusque-là. Quel est, selon vous, le meilleur schéma pour y parvenir ?

 

C’est un sujet vaste et complexe. Depuis l’indépendance, le Burkina a connu de nombreuses crises, conduisant à des exactions ou à des violences qui ont causé à nos compatriotes des dommages moraux, physiques et matériels.  Singulièrement, la période de la révolution et, dans une moindre mesure,  celle qui a suivi, ont été marquées par des actes de violence liés à des évènements politiques. Dans bien des cas, les circonstances de ces violences n’ont pas été clairement élucidées et leurs auteurs n’ont pas été identifiés, ce qui les a mis à l’abri de poursuites judiciaires. D’autant que plusieurs de ces faits sont tombés à présent sous le coup de la prescription légale, qui empêche qu’ils donnent lieu à des poursuites. Des mécanismes ont parfois été mis en place pour offrir une réparation pécuniaire aux victimes de ces violences ou à leurs ayants droits. Une Journée nationale du pardon a aussi  été organisée pour sceller solennellement une sorte de rémission mutuelle et collective des offenses à l’échelle nationale. Après cela, d’autres crises et d’autres drames à caractère politique sont survenus qui, à tort ou à raison, ont accentué le sentiment que notre Nation était divisée, parce que les griefs et les torts causés à certains de ses membres n’avaient pas trouvé de réparation adéquate. Cette frustration est plus vive pour les victimes diverses des crises les plus récentes que sont l’insurrection de 2014 et le putsch de 2015.

Concernant ces évènements récents, le pouvoir a semblé jusqu’ici vouloir esquiver la question  de la réconciliation, en s’abritant derrière le triptyque «Vérité, Justice, Réconciliation » que ses représentants répètent inlassablement comme une formule magique qui voudrait faire croire que le problème est résolu avant même d’être posé. A mon niveau personnel, j’avoue humblement que je ne connais pas de solution miraculeuse pour traiter ce sujet. Cela demande de la réflexion, de la concertation, l’examen des expériences des autres pays dans la conduite des processus de réconciliation. Ce que je sais, c’est que les gens informés de ces questions, semblent  unanimes à recommander le recours à des mécanismes de justice transitionnelle, que chaque pays concerné définit en fonction de ses données propres. La CODER a élaboré un mémorandum dans ce sens, qui a été soumis au CFOP, avec l’espoir que le projet, une fois amendé par cette instance, puisse être porté par l’ensemble de l’opposition. Naturellement, je suis solidaire de cette démarche.

A titre personnel, je pense qu’il est temps que nous cessions de louvoyer sur cette question. Il est de l’intérêt de notre Nation que nous nous fixions comme objectif de faire adopter une loi d’amnistie générale pour tous les faits délictueux liés aux évènements politiques passés. Cela nous permettra de tourner la page des douleurs et des griefs du passé pour regarder vers l’avenir. Je ne dis pas cela pour réclamer une forme d’impunité en faveur des membres de l’ancien régime. Dans le contexte actuel du Burkina, toutes les tendances politiques ont des griefs sérieux à faire valoir. Le seul moyen d’arrêter la spirale des revanches et de la haine est de se pardonner mutuellement. Le but que nous devons nous fixer, à travers la justice transitionnelle, ou tout autre processus de réconciliation, n’est pas de punir, mais de définir par quel chemin nous pouvons parvenir à ce résultat. Plus tôt nous aborderons la question de la réconciliation dans cet esprit, mieux ce sera pour tout le monde. A partir de là nous pourrons réfléchir ensemble à ce qu’il convient de faire pour bannir la violence politique de nos mœurs.

Avez-vous un commentaire sur la méthode d’approche du  HCRUN?

 

C’est déjà une bonne chose que le HCRUN (ndlr : Haut conseil pour la réconciliation et l’unité nationale) ait été créé. Il reste à savoir si le pouvoir entend lui faire endosser totalement le dossier de la réconciliation, ou si son rôle se limitera à définir une clé de répartition de la dotation que le Gouvernement mettra à sa disposition pour distribuer des dédommagements forfaitaires à toutes les victimes de violences qu’il aura identifiées, pour solde de tout compte avec le passé. Si telle est son approche, je pense qu’il ne règlera pas la question de la réconciliation. Mais je crois avoir lu une interview du président intérimaire du HCRUN, qui mentionnait la nécessité de mettre en place un processus de justice transitionnelle. Si cette approche est retenue, comment comptent-ils la concilier avec le maintien parallèle de poursuites pénales conduites par des juridictions d’exception à caractère politique comme la Haute Cour de Justice et le Tribunal militaire ? Vous savez, dans nos Etats qui s’inspirent sur ce plan d’une pratique néfaste de la tradition gouvernementale française, lorsqu’on veut se débarrasser d’un problème auquel on n’accorde pas la priorité ou qui semble compliqué à traiter, on crée une commission ou un conseil sans trop se soucier de savoir s’il en sortira vraiment une solution utile et définitive. Je pense que la réconciliation devrait impliquer un engagement plus fort et plus actif de la part du chef de l’Etat et du Gouvernement, à travers des actes et des paroles qui dépassent les arrangements bureaucratiques. Mais je ne crois pas  que ce  soit  leur option. Pour l’instant, ils semblent occupés à chasser les sorcières à travers le pays et à l’étranger.

La Justice burkinabè demande l’extradition de François Compaoré dans le cadre de la réouverture du dossier Norbert Zongo. Quelle réaction cela vous inspire-t-il ?

 

J’ai suivi comme tout le monde l’évolution de la demande d’extradition de François Compaoré devant les juridictions françaises. J’attends donc de savoir ce qu’il en résultera, lorsque la juridiction saisie rendra sa décision. J’ai seulement été un peu surpris par  les déclarations que le président français, Emmanuel Macron, a faites sur ce dossier durant sa récente visite au Burkina. D’abord, il rappelle le principe de l’indépendance de la justice française, qui lui interdit d’interférer dans cette procédure. Puis, dans le même élan, il dit être persuadé qu’elle ne manquera pas de donner une suite favorable à cette demande d’extradition, ou quelque chose d’approchant. Je ne me souviens plus de ses propos exacts, mais ils avaient à peu près ce sens. Ce qui est absurde, parce que si la Justice française est indépendante- ce que je crois- il n’a aucun moyen de savoir dans quel sens elle tranchera. En plus, on pourrait y voir une façon détournée de tenter de l’influencer, mais je ne crois même pas qu’il ait eu vraiment cette intention. Je pense qu’il s’agissait, au fond, d’une déclaration à l’usage exclusif d’une certaine opinion burkinabè. On avait dû lui dire, comme il l’a reconnu lui-même, que le milieu estudiantin burkinabè dans lequel il avait choisi de s’exprimer, était plutôt hostile à la France et que pour tenter de l’amadouer, il serait bon qu’il donne des gages aux étudiants sur ce dossier sensible. Je ne pense pas que le gage de bonne volonté qu’il a exprimé concernant la demande d’extradition de François Compaoré, ait un effet sur l’issue de cette procédure. C’est en cela que réside l’intérêt d’avoir une Justice indépendante.

 

On est bien obligé de se rendre à l’évidence qu’il y a une défaillance de la direction de la politique économique du pays

 

Deux ans après l’arrivée du MPP au pouvoir, la relance économique reste toujours un défi. Comment expliquez-vous cela ? Et quelles solutions préconisez-vous ?

 

A en juger par la formulation de votre question, je note que vous faites le même constat que l’ensemble des Burkinabè, qui est que l’économie de notre pays va mal. Le Premier ministre semble être le seul des Burkinabè à trouver que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, si on se réfère à certains propos récents qui lui ont été prêtés. Pendant l’année de la Transition, tout laissait prévoir que le MPP gagnerait fatalement les élections. Pourtant, on est frappé par l’impression d’impréparation que ce régime a donnée, depuis son arrivée au pouvoir. Il lui a fallu une année entière pour élaborer son Programme National de Développement Economique et Social (PNDES), qui se veut l’instrument de réalisation des promesses de campagne du président. Lorsqu’on accède au pouvoir après une crise comme celle que le Burkina a connue, qui ne peut manquer d’avoir un effet négatif sur l’activité économique, le bon sens commande d’entreprendre une action vigoureuse pour restaurer la confiance, relancer les investissements, créer un environnement favorable au développement des entreprises pour offrir davantage d’emplois aux jeunes, etc. Ce régime donne l’impression d’avoir pris son temps pour régler les luttes de positionnement politique en son propre sein, redistribuer les privilèges à ses féaux en guise de récompense et harceler ses adversaires, tandis que la gestion du pays était abandonnée à des dilettantes qui s’accoutumaient tranquillement au pouvoir.

Je veux éviter, dans cette interview, de donner le sentiment que je me livre à un dénigrement systématique d’opposant aigri. Alors je vous renvoie aux exhortations répétées que le défunt président de l’Assemblée nationale, Salifou Diallo, adressait au gouvernement pour l’inviter à sortir de sa torpeur,  de même qu’aux révélations cruelles de l’ancien ministre de la Culture démissionnaire, Tahirou Barry, sur  la léthargie de l’Exécutif, ses tâtonnements perpétuels et l’absence d’un leadership résolu à la tête de l’Etat. Le concède que toutes les périodes de transition sont difficiles, qu’il n’est pas aisé de remettre en marche la machine de l’Etat après l’effondrement brutal d’un régime qui a dirigé le pays pendant 27 ans. Mais les gens du MPP ne sont pas des novices. Pour l’essentiel, ils incarnaient l’ancien régime et occupaient les principaux rouages du pouvoir. Donc, on est bien obligé de se rendre à l’évidence qu’il y a une défaillance de la direction de la politique économique du pays, qui s’étend également à d’autres domaines de l’action gouvernementale.

C’est vrai que les situations des deux pays ne sont pas comparables, mais regardez la dynamique des réformes importantes qui ont été engagées par Emmanuel Macron en France après seulement 7 mois de pouvoir, même si je suis mal placé pour juger de leur pertinence.  Plus près de nous, voyez à quel point et avec quelle rapidité la physionomie de l’économie ivoirienne a changé, en profondeur, en l’espace de quelques années, après une décennie de crise politique et de stagnation. Il me semble que le point commun dans ces deux démarches, c’est l’existence d’une vision claire et ambitieuse de l’avenir auquel ces gouvernements aspirent pour leur population et la mise en œuvre vigoureuse, cohérente, des politiques qui ont été élaborées à cette fin.

Après la réunion des bailleurs de fonds qu’il a organisé en fin 2016, le Gouvernement a annoncé triomphalement qu’il avait obtenu des engagements de financement qui se chiffraient à la somme mirifique de 18 000 milliards de F CFA. Depuis lors, la réalisation de ces promesses semble quelque peu aléatoire, comme il fallait s’y attendre. En tout cas, le Gouvernement est moins disert à ce sujet. Puis en mars 2017, comme s’il était engagé subitement dans une course contre la montre devant l’échéance électorale de 2020, le voilà qui décide soudainement d’accélérer la réalisation d’un grand nombre d’investissements en généralisant les marchés de gré à gré dans le cadre de Partenariats Public-Privés (PPP).

Cette manière de faire hâtivement des investissements pour des raisons purement électoralistes, est malsaine. Le développement est une œuvre de longue haleine. Il faut accepter d’engager des réformes profondes, d’entamer la réalisation de projets d’infrastructures sérieux, sans être sûr qu’on sera en mesure de les inaugurer. Personne ne doute que le Burkina a un besoin pressant d’investissements dans presque tous les secteurs de la vie économique et sociale. Personne ne conteste également que le partenariat public-privé soit une bonne formule pour promouvoir les investissements, à condition qu’elle soit utilisée à bon escient. Ce qui est critiquable, c’est la généralisation subite, massive et incontrôlée des marchés de gré à gré. Ce n’est pas pour rien que les marchés publics sont soumis à une règlementation stricte, destinée à garantir autant que possible leur régularité et leur transparence.

Au demeurant, le partenariat public-privé n’est pas une innovation introduite au Burkina par le régime du MPP. La loi qui régit ce mode d’investissement a été votée en 2013, sous le régime de Blaise Compaoré. C’est une bonne loi, qui prévoyait déjà dans ses dispositions, les circonstances et les modalités suivant lesquelles on pouvait déroger aux procédures normales de passation de marchés de PPP par appel à concurrence, pour recourir à la formule du gré à gré. L’initiative que le Gouvernement a prise en mars 2017 vise en réalité à élargir davantage encore le champ de ces allègements exceptionnels, pour en faire la règle générale en quelque sorte. Cela aussi est malsain. Mais je crois me souvenir qu’ils avaient demandé ce système dérogatoire pour une durée de 6 mois. Celle-ci a dû expirer à présent. Donc il est temps d’évaluer ce qui a été réalisé sous ce régime, qui est vraisemblablement appelé à être prorogé.

La lutte contre le terrorisme nécessite une adhésion forte des populations des zones concernées

 

Quelle est, selon vous, la meilleure approche stratégique et politique pour combattre efficacement le terrorisme ?

 

Honnêtement, je ne sais pas comment on combat le terrorisme, parce que ce n’est pas mon métier et, ne disposant pas d’informations précises sur la menace à laquelle notre pays est exposé, je ne suis pas en mesure de me faire une opinion avertie sur cette question. Ce n’est pas plus mal d’ailleurs, parce que je ne crois pas que ce genre de questions doit être traité sur la place publique, dans la presse et sur les réseaux sociaux. Les terroristes aussi savent lire. Ils ont accès à la télévision et à la radio et vous ne les avez jamais vus tenir des points de presse pour dire quelle est leur stratégie pour combattre le Burkina et les pays voisins. Je préfère, sur ce plan, m’en remettre au professionnalisme de nos forces de défense et de sécurité et au discernement des autorités politiques compétentes. Je crois que c’est cela le sens de l’union nationale que ce genre de situation exige, c’est-à-dire apporter le soutien de la Nation à ceux qui se battent pour elle au péril de leur vie. Car nous sommes en guerre. Quand le pays subit des attaques sporadiques presque quotidiennes, qui ont causé plus d’une centaine de morts en une année, qu’une partie du territoire a pratiquement échappé au contrôle de l’Etat, que la continuité des services publics destinés aux populations est gravement perturbée, voire suspendue, c’est qu’il y a bien une guerre. Bien que je ne sois pas en mesure de définir une approche stratégique meilleure que celle qui a cours, je note deux choses : l’une positive et l’autre négative. Côté positif, je pense que c’est évidemment une bonne chose que le G5 Sahel ait été créé pour permettre aux Etats concernés de mener une bataille coalisée contre le terrorisme, en mutualisant leurs moyens et en mobilisant plus efficacement des ressources. Côté négatif, je pense que le Gouvernement devrait mettre fin à la propagande néfaste qu’il entretient en essayant de faire croire que toutes ces attaques terroristes sont orchestrées par le président Compaoré et ses proches, dans le but de déstabiliser le pays pour revenir au pouvoir. Cette obsession leur fait négliger les facteurs sociaux qui provoquent un sentiment croissant de défiance des populations du Sahel à l’égard de l’Etat et de ses représentants. C’est à ces questions qu’il faut s’attaquer en priorité. La lutte contre le terrorisme nécessite une adhésion forte des populations des zones concernées.

Quel  peut être l’apport des dozos et des koglwéogos ?

 

Pour le peu que j’en sais, les dozos et les koglwéogos n’ont pas exactement la même fonction dans leurs communautés respectives. Il y a des dozos dans mon village. Ils sont chasseurs, connaissent les plantes médicinales du fait de leur proximité avec la brousse et on leur prête certains pouvoirs mystiques. Ce n’est qu’accessoirement qu’ils sont appelés à assurer parfois un service de sécurité. Je crois savoir que les koglwéogos ont une fonction de groupe d’auto-défense communautaire plus affirmée. Je ne suis pas sûr qu’il soit judicieux de les confondre et de les assimiler. Parfois, il vaut mieux laisser ces organisations sociales communautaires jouer le rôle qui leur a été assigné par la tradition, en les contrôlant pour éviter les débordements, sans chercher nécessairement à leur donner une mission de service public national. Mais je n’ai pas vraiment un avis définitif sur cette question. Maintenant, si votre question porte sur leur participation à la lutte contre le terrorisme comme supplétifs des forces de défense et de sécurité, il vaut mieux laisser cela à l’appréciation des instances compétentes.

 

Le déclic qui m’a conduit à écrire ce livre a été indubitablement mon incarcération à la MACA

 

Vous avez écrit un ouvrage intitulé : « Mémoires d’une saison à Balolé». Quelle a été votre source d’inspiration ? Et quel est le message politique que vous avez voulu porter à la connaissance du public ?

 

Le déclic qui m’a conduit à écrire ce livre a été indubitablement mon incarcération à la MACA. Cela m’a servi d’exutoire pour supporter la privation de liberté. J’ai pu ainsi comme je l’ai écrit, joindre l’utile au désagréable. On peut dire que d’une certaine manière la justice militaire m’a rendu service en m’offrant une sorte de lieu de retraite au confort un peu spartiate, où j’ai eu tout le loisir d’écrire. Je les en ai remerciés d’ailleurs, en leur signalant, toutefois, qu’ils ne seront pas forcément contents de ce que j’écris à leur sujet. Pour le reste, ce livre n’a pas pour ambition de délivrer un message  particulier. J’y fais le récit de ma vie personnelle, professionnelle et politique. Ce n’est qu’à la fin que j’ai réalisé que la partie politique représentait presque la moitié du livre, sans doute parce que cela a été la séquence  la plus mouvementée de ma vie.  Comme vous voyez, je ne suis pas encore sorti des turbulences.

Interview réalisée par Drissa Traoré

 

 

 

 

 

 


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