HomeA la uneLIBERATION DE LAURENT GBAGBO

LIBERATION DE LAURENT GBAGBO


 Une prime à l’impunité ?

Acquittés le 15 janvier dernier à la Cour pénale internationale (CPI) qui avait, dans la foulée, ordonné leur remise en liberté immédiate, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé qui avaient déjà fait leur baluchon pour Abidjan, ont dû prendre leur mal en patience pendant quelques heures encore, avant de pouvoir humer à nouveau l’air de la liberté. En effet, au lendemain de cette décision judiciaire qui avait créé l’euphorie dans les rangs de leurs partisans, le bureau du procureur a déposé une demande d’appel avec requête de maintenir les prisonniers dans les liens de la détention, le temps que la Cour statue sur cette demande. A l’appui de sa demande, il a invoqué les risques de fuite des prévenus et les risques de déstabilisation de leur pays que pourrait créer la libération des deux hommes.

La libération de Laurent Gbagbo n’est pas pour déplaire à nombre de dictateurs africains

Au finish, la Cour, à la majorité, a rejeté la requête du procureur et a décidé d’accorder la liberté aux deux prévenus.

Mais au-delà de la question de la sécurité des prévenus dans leur pays d’accueil, la question qui se pose est celle de la crédibilité même de la CPI. En effet, voilà une institution qui s’est dédite au moins trois fois, après avoir engagé des poursuites judiciaires contre des dirigeants africains. La première est celle du président kényan, Uhuru Kenyatta, qui a abouti à un abandon des charges, en décembre 2014 alors même que le chef de l’Etat kényan était poursuivi pour « crimes contre l’humanité » ; les juges avaient donné un ultimatum d’une semaine au procureur pour apporter des preuves solides contre le dirigeant kényan. La deuxième est celle de l’ex-seigneur de guerre congolais, Jean Pierre Bemba, qui sera acquitté à la surprise générale en appel, en juin 2018, après avoir été condamné en première instance à 18 ans de prison pour « crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en Centrafrique ». La troisième est celle de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, poursuivis aussi pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité dans le cadre de la crise postélectorale de 2010-2011 en Côte d’Ivoire.   Ils viennent d’être innocentés par l’institution pénale qui a finalement décidé de leur libération. Autant d’échecs de la CPI qui amène à se poser de sérieuses questions sur sa raison d’être. De quoi se demander si tout cela n’est pas une prime à l’impunité. En tout cas, la libération de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, au-delà de leurs partisans, n’est certainement pas pour déplaire à nombre de dictateurs africains qui voyaient en l’institution de Fatou Bensouda, un instrument des Occidentaux dirigé contre les Africains et qui, de ce fait, les empêchait de massacrer en rond. Et si la CPI ne peut plus faire peur aux satrapes du continent, il faut craindre que

les peuples africains en lutte, ne soient finalement des peuples orphelins livrés à eux-mêmes et qui restent à la totale merci des dictateurs. C’est pourquoi il n’est pas exagéré de dire que la CPI a elle même  « versé sa figure par terre ». Car, désormais, les mauvais dirigeants n’auront plus peur de l’épée de Damoclès qu’elle représentait.

Il est temps de considérer cette crise postélectorale ivoirienne, comme relevant d’une responsabilité collective

Et moins que l’élargissement de Laurent Gbagbo et de son bras-droit, c’est l’absence induite de coupable dans la tragédie ivoirienne qui a emporté quelque trois milliers de personnes, qui est le plus à déplorer. De quoi perdre son latin et s’en remettre à la justice immanente pour apaiser les cœurs des victimes qui pourraient, si elles pouvaient parler, s’écrier  en ces termes : « si ce n’est pas Gbagbo et les siens, qui donc nous a tués ? » Une question légitime, qui devrait interpeller sur le sort des parents des victimes.

Car, s’il y a bien quelqu’un à plaindre dans cette affaire, ce sont les familles des victimes qui ne sont pas loin de se retrouver groggy d’une décision qui risque de les laisser sur le bas côté de la route. En effet, elles ne sont pas loin d’être sacrifiées sur l’autel de cet imbroglio judiciaire qui risque de ne désigner aucun coupable. Et cet acquittement de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé, deux pièces maîtresses de cette crise postélectorale, ne peut que doucher leurs espoirs de voir la lumière éclater dans une affaire où ils attendent que justice leur soit rendue. En tout cas,  tout porte à croire que moins que l’innocence des deux prévenus, c’est la faiblesse des arguments de l’accusation qui a conduit à cette situation. En outre, il y a lieu de croire que le fait d’avoir voulu faire porter exclusivement  le chapeau de toute cette tragédie à Laurent Gbagbo et à son acolyte, a pu participer de la faiblesse du dossier d’accusation.  Car, quoi qu’on dise, il y avait deux camps qui se battaient sur le terrain et qui se sont porté des coups mortels. Mais l’on ne peut pas comprendre que huit ans après les faits, il n’y ait eu que des accusés d’un seul camp à comparaître à la barre, en l’occurrence celui des vaincus. Mais si Laurent Gbagbo a perdu la guerre des armes, il a su admirablement remporter la bataille judiciaire qui est de loin, un  plus cuisant revers pour ses adversaires.

De toute évidence, ce verdict aura un impact certain sur la vie politique en Côte d’Ivoire. Et à l’étape actuelle des choses, le pays de Houphouët Boigny reste un pays à l’avenir politique encore incertain, en raison des nuages annonciateurs de remous sociopolitiques qui s’amoncellent dans le ciel d’Abidjan.

C’est pourquoi il est temps de considérer cette crise postélectorale ivoirienne, comme relevant d’une responsabilité collective. Autrement, la question de la réconciliation qui est sur toutes les lèvres en Côte d’Ivoire, risque de rester un vœu pieux. Car, si pour les partisans de l’ancien président, elle était rendue impossible en raison de la détention de leur champion, pour les parents des victimes qui ne cachent pas leur amertume suite à cette décision de la CPI, elle risque de devenir aussi impossible en raison de l’élargissement de l’ancien locataire du palais de Cocody. En tout état de cause, la réconciliation ne se décrète pas. Et ce n’est pas par un coup de baguette magique que les Ivoiriens y parviendront à la suite d’une libération de prisonniers, même si ces derniers s’appellent Charles Blé Goudé ou Laurent Gbagbo que d’aucuns considèrent dans leur pays comme des martyrs. Il est temps, pour la Côte d’Ivoire, de tourner la page. Cela passe par un renouvellement de la classe politique, et la nouvelle classe émergente devrait éviter soigneusement de marcher sur les pas de l’ancienne, pour éviter que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets.

 « Le Pays » 


No Comments

Leave A Comment